Oui, la loi Leonetti-Claeys peut évoluer et les médecins pourraient prescrire un produit létal, sans forcément l’administrer, considère la commission juridique et éthique de l’Académie nationale de chirurgie (ANC) dans un avis adopté le 17 janvier, et présenté à la presse ce 28 février. Ce texte est le résultat de huit mois de réflexions initiées à la demande du bureau national, ponctuées d’auditions et d’échanges écrits et oraux. Il rejoint dans ses grandes lignes l’avis de l’Académie nationale de médecine de juillet 2023 ; les deux instances s’opposent notamment à toute euthanasie active de la part d’un médecin.
Si la fin de vie concerne l’ensemble des médecins, « les chirurgiens en particulier ont tous été confrontés à des prises de décisions cruciales en découvrant ce qui se passe dans un corps opéré », observe le Pr Albert-Claude Benhamou, ancien président de l’ANC.
L’Oregon pris en modèle
Comme la rue Bonaparte, l’Académie de chirurgie se prononce en faveur du protocole de l’État de l’Oregon aux États-Unis, qui date de l’automne 1997. « En 25 ans, 2 454 personnes sont décédées dans ce cadre, avec une augmentation modérée de la prise en charge. En 2022, 278 ont eu recours à ce dispositif, ce qui représente 0,6 % des décès de l’état ; l’âge moyen est supérieur à 70 ans », rappelle le Pr Olivier Jardé, président de l’ANC. L’intérêt : « ce modèle prévoit que le médecin puisse prescrire un produit létal, mais sans être obligé de l’administrer », poursuit l’ancien député. « C’est un accompagnement médical d’une décision prise par la personne. Une façon d’accompagner au maximum, avec des moyens médicaux, un patient qui décide pour lui-même d’abréger la fin de sa vie », commente le Pr Henry Coudane, ancien-président de l’ANC et président de la commission éthique. Dans l’Oregon, 54 % des patients ayant reçu une prescription létale l’auraient utilisée hors présence médicale.
Si le médecin n’est pas « forcément » celui qui administre la substance, peut-il le faire lorsque le patient en est incapable ? Oui, répondent les chirurgiens, ouvrant la voie à une « exception d’euthanasie ». « L’acte peut être réalisé par un tiers, une association, ou un médecin, à condition que la décision soit libre et éclairée », répond le Pr Jardé. En particulier pour soulager les souffrances des patients de la maladie de la Charcot qui perdent peu à peu leurs capacités motrices. « On considère que 200 à 800 Français se rendraient en Suisse ou en Belgique chaque année pour avoir une aide à mourir. Ce ne serait pas choquant de faire une loi, même pour seulement 250 personnes qui sont actuellement sans solution », assume le Pr Coudane.
Mais « il ne s’agit en aucun cas de donner l’autorisation de tuer à certaines personnes ; les médecins n’ont pas à suggérer l’idée qu’il faut accélérer la fin de la vie, ça doit être une décision personnelle. Nous refusons aussi d’y voir une façon de réduire les coûts de la mort », ajoute le Pr Benhamou.
Clause de conscience et garde-fous
Par ailleurs, l’Académie nationale de chirurgie insiste sur l’importance de la clause de conscience des médecins, qui doit être « solennellement affirmée dans le cadre de la notion de suicide assisté et ou de prise en charge de la fin de vie ». « On ne peut obliger un médecin à faire ce type de prescription », assure le Pr Benhamou. « Nous sommes formés à préserver, à sauver la vie », insiste le Pr Jardé.
Le président de l’Académie reprend à son compte les conditions du modèle de l’Oregon : pour être éligible, le patient doit souffrir d’une maladie incurable, avec un pronostic engagé à six mois. En outre, il faut être majeur et ne pas avoir de pathologie psychiatrique (à la différence de la Belgique, par exemple).
Alors que l’Académie nationale de médecine plaidait pour une procédure « obligatoirement » collégiale, les chirurgiens ont un avis moins tranché et attendent « des précisions sur les modalités législatives et réglementaires » de l’aide active à mourir avant de « prendre position sur le fond et la forme ». « La collégialité facilite ce genre de décision pour la personne concernée, la famille et l’équipe qui accompagne », note le Pr Benhamou.
Le chirurgien appelle par ailleurs à la prudence à l’égard de la notion d’incurabilité. « Il est impossible de fixer la date d’un décès : de nouvelles thérapeutiques peuvent redonner six mois, quinze mois de vie… », sans compter les erreurs de pronostics. Aussi est-il rappelé, au regard de l’expérience de l’Oregon, qu’avoir une ordonnance ne conduit pas automatiquement au suicide assisté. « Il faut continuer à accompagner un patient après la prescription et ne surtout pas l’abandonner », insiste le Pr Benhamou. Quant au risque de circulation de produits dangereux hors des pharmacies, « de telles dérives n’ont pas été observées en Oregon », note le Pr Jardé.
L’Académie nationale de chirurgie conclut enfin sur la nécessité de développer les soins palliatifs. Une stratégie décennale devait être dévoilée en janvier, suivie en février par le tant attendu projet de loi sur l’aide active à mourir. Un calendrier une nouvelle fois devenu caduc.
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