Fin de vie : le projet de loi ouvrant l’aide à mourir présenté en Conseil des ministres

Par
Publié le 10/04/2024

Le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, qui précise les modalités de l’aide à mourir, a été présenté en Conseil des ministres ce 10 avril. Y est notamment précisé le rôle des médecins dans cette procédure inédite.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Le très attendu projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie », qui ouvre la possibilité d’une aide à mourir en même temps qu’il renforce les soins d’accompagnement et le droit des patients et des aidants, a été présenté ce 10 avril en Conseil des ministres. Promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2022, le texte se veut « une réponse éthique aux besoins d'accompagnement des malades », a plaidé la ministre de la Santé Catherine Vautrin, à la sortie du Conseil.

Après de longs mois de réflexion, ponctués par l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique en septembre 2022, puis par la Convention citoyenne qui a rendu ses conclusions au printemps 2023, ou encore par les analyses des Académies nationales de médecine et de chirurgie, cette présentation en Conseil des ministres ouvre un second acte politique, qui pourrait s’étirer sur deux années. Le texte sera examiné à partir du 27 mai par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat après l’été, mais il faudra deux lectures dans les deux chambres et sûrement une commission mixte paritaire. Le lancement en parallèle d’une stratégie décennale des soins d’accompagnement ne suffit pas en effet à éteindre les craintes d’une partie des soignants ou encore des instances religieuses qui se cristallisent autour de l’aide à mourir.

Conditions strictes

« Par l’institution d’une aide à mourir, le gouvernement a souhaité dessiner un cadre permettant d’assurer un point d’équilibre entre ce qu’une majorité des Français revendique et des conditions strictes d’accès à cette aide », lit-on dans l’exposé des motifs.

Comme voulu par le Président de la République Emmanuel Macron, le projet de loi n’emploie pas les termes d’assistance au suicide ou d’exception d’euthanasie. « L’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner la mise à disposition, à une personne qui en a exprimé la demande, d’une substance létale, dans les conditions et selon les modalités [strictes], afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne », stipule l’article 5.

Sont « éligibles » à cette aide à mourir : les majeurs, de nationalité française ou résidant de façon stable et régulière en France, souffrant d’une affection grave et incurable engageant le pronostic vital à court ou moyen terme, présentant une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, souffrance réfractaire aux traitements ou en l’absence de thérapeutiques, insupportable, et capables de manifester leur volonté de façon libre et éclairée.

Décision du médecin, après procédure collégiale

La personne doit faire la demande d’aide à mourir à un médecin en activité qui ne soit « ni un parent ni un allié ». Ce dernier doit l’informer des dispositifs d’accompagnement et des soins palliatifs, avant de lui expliquer les conditions de l’aide à mourir.

Il doit vérifier que le patient remplit toutes les conditions. « Les personnes dont une maladie psychiatrique altère gravement le discernement lors de la démarche ne peuvent être regardées comme manifestant une volonté libre et éclairée », est-il précisé. La procédure l’oblige à recueillir l’avis d’un médecin indépendant, spécialiste si lui ne l’est pas, et d’un auxiliaire médical ou d’un aide-soignant. Il peut aussi recueillir l’avis d’autres professionnels, notamment des psychologues, infirmiers ou aides-soignants.

Le médecin a maximum 15 jours pour « notifier sa décision motivée » au patient ; ce dernier a ensuite un délai de réflexion d’au moins deux jours pour confirmer sa demande. Alors le médecin l’informe sur les modalités d’administration de la substance létale et détermine avec lui, le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner pour l’administration de la substance létale. Si la date retenue est supérieure à trois mois, le médecin doit réévaluer le caractère libre et éclairé de la volonté du patient.

Le médecin ou l’infirmier choisi par le patient pour l’accompagner lors de mise en œuvre de l’aide à mourir doit retirer la substance auprès de la pharmacie d’officine (qui l’aura reçu d’une pharmacie à usage intérieur), vérifier sa détermination, et assurer la surveillance de l’administration de la substance, qu’il aura préparée.

« L’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même. Lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, l’administration est effectuée à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne, soit par le professionnel de santé présent », est-il écrit.

Clause de conscience

Un chapitre (le IV) est consacré à la clause de conscience des professionnels de santé, qui « ne sont pas tenus de concourir » à l’évaluation des conditions d’accès et à la procédure de l’aide à mourir. Dans ce cas, le soignant doit informer sans délai la personne de son refus et lui communiquer le nom de professionnels de santé susceptibles d’y participer.

Un établissement de santé ou un Ehpad est tenu de permettre l’intervention des professionnels de santé pour l’accompagnement d’une aide à mourir.

La loi prévoit encore une commission de contrôle et d’évaluation chargée de vérifier la légalité de chaque acte (tout devant être enregistré dans un système d’information). Elle est aussi censée tenir un registre de soignants qui accepteraient d’assurer ces procédures. Enfin, l’aide à mourir constitue une cause d’irresponsabilité pénale par autorisation de la loi, au sens de l’article 122-4 du Code pénal selon lequel « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Le Conseil d’État souligne cependant que des manquements dans la procédure peuvent donner lieu à des poursuites, notamment pour le délit d’homicide involontaire.

Réactions divisées

« Les équipes sont en état de stress pré-traumatique » a assuré la Dr Claire Fourcade, présidente la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), qui milite depuis des mois contre le projet au motif que « donner la mort n’est pas un soin ». Selon une consultation conduite entre février et mars 2024, auprès de près de 2 300 acteurs des soins palliatifs, plus de la moitié des médecins font part de leur opposition à la législation sur le suicide assisté (54 %) et utiliseront leur clause de conscience (52 %) ; 22 % démissionneront (ainsi que 17 % des infirmiers). « Derrière les situations désespérées, c’est une demande d’écoute, d’attention, de soulagement, d’amour qui s’exprime et à laquelle il faut répondre », a commenté Élisabeth Hubert. La présidente de la Fédération nationale des établissements d’aide à domicile s’interroge aussi sur le hiatus qui existe entre la clause de conscience des professionnels de santé et l’impossibilité pour un établissement de s’en prévaloir. « Nous inviterons les députés à aller sur le terrain rencontrer les soignants et les patients, a précisé la Dr Claire Fourcade, afin de connaître le réel des soins palliatifs ».

Le Pr Régis Aubry, qui a contribué à l’écriture de la stratégie décennale des soins d’accompagnement et a été co-rapporteur de l’avis 139 du CCNE, retient, la volonté du gouvernement d’engager d’ores et déjà une politique volontariste et financée en faveur des soins d’accompagnement. « Le CCNE en faisait une condition sine qua non à une évolution du droit “éthique”, rappelle-t-il au Quotidien. Il disait aussi que l’assistance au suicide respectait plus l’autonomie de la personne et engageait moins un tiers que l’euthanasie. Je pense qu’il y a des patients qui sont dans une souffrance existentielle telle qu’une évolution du droit bien encadrée et suivie, accompagnée de soins palliatifs, peut être pertinente ».

« J’entends les craintes relatives à des dérives que susciterait l’élargissement d’un droit, a fortiori dans un contexte de crise. Il faudra prendre le temps nécessaire pour écrire les textes réglementaires, qui seront difficiles à élaborer. Mais la difficulté ne doit pas nous rebuter », conclut-il.

Enfin, les partisans de l’aide à mourir regrettent des conditions trop restrictives, mais se montrent soulagés de voir arriver un texte qu'ils craignaient de voir enterré.


Source : lequotidiendumedecin.fr