La commission spéciale de l’Assemblée nationale a proposé une nouvelle version du projet de loi sur l’accompagnement des malades et la fin de vie, enrichie de plusieurs amendements. Certains d’entre eux ont ouvert des droits plus larges, d’autres ont précisé des termes ou concepts flous. Parmi ces derniers, un amendement voté a fait remplacer la notion de maladie « engageant le pronostic vital à court ou moyen terme », par la condition d’être atteint « d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale ». Le gouvernement a déclaré vouloir revenir à la version initiale, au nom « de l’équilibre » du texte. Mais des deux formulations, laquelle est la plus précise, la plus applicable ou la plus souhaitable ?
La notion de pronostic vital engagé à court terme apparaît dans la loi Claeys-Leonetti comme un critère permettant aux patients qui le demandent d’accéder à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, s’ils présentent une souffrance réfractaire et qu’ils sont atteints d’une maladie incurable. Dans la recommandation de bonnes pratiques (02/2018) sur la mise en œuvre de ce nouveau droit des patients en fin de vie, le court terme est précisé s’étendre de quelques heures à quelques jours.
En opposition à ce court terme jugé trop restrictif, la notion de moyen terme apparaît pour la première fois dans l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) du 22/09/2022, sans aucun fondement médical : « Si le législateur décide de légiférer sur l’aide active à mourir, la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. » Elle est ensuite reprise dans la première version du projet de loi et commentée dans les médias comme un pronostic engagé à 6-12 mois. Mais ce terme a suscité de nombreuses réactions médicales défavorables, soulignant l’incapacité technique d’une telle prédiction de l’espérance de vie d’un patient dans les connaissances actuelles de médecine. Par exemple, pour un patient atteint de cancer, une méthode d’évaluation du pronostic a été élaborée à partir d’une simple question posée à l’oncologue : « seriez-vous surpris si votre patient décédait dans l’année ? ». Pour le groupe de patients pour lesquels la réponse est négative, le taux de survie à un an est de 25 %, témoignant d’une mauvaise prédiction une fois sur quatre (Ermesr D. Palliat Med, 2021). Dans une étude plus récente, l’utilisation de l’intelligence artificielle pour prédire une mortalité supérieure à 6 mois ne faisait guère mieux.
La nouvelle formulation, introduite par la commission, d’une affection grave incurable en phase avancée ou terminale présente pour avantage d’éviter le terme de « pronostic à moyen terme » qui faisait l’unanimité contre lui, puisqu’impossible à définir. Mais ces nouveaux termes sont-ils pour autant plus applicables eu égard à la pratique médicale ?
Le terme de phase terminale est lui relativement consensuel. Il s’adresse à des patients dont la pathologie grave et incurable, dont ils sont atteints, est considérée comme irréversible, et dont l’espérance de vie est de quelques mois, et inférieure à 6 mois. En revanche, le terme de « phase avancée » est très confus. En oncologie, le cancer du sein métastatique est considéré comme un stade avancé alors que l’espérance de vie est de plusieurs années. Une maladie peut être découverte à un stade avancé dès son diagnostic, en cas de prise en charge tardive ou de maladie agressive. Cette situation peut cependant être complètement réversible, avec la mise en route de traitements efficaces comme l’immunothérapie ou les thérapies ciblées. Le terme de phase avancée traduit surtout une notion d’extension ou de sévérité d’une maladie, et par conséquent une forte probabilité d’avoir des symptômes sévères avec un retentissement sur l’autonomie fonctionnelle et la qualité de vie. Mais la notion de maladie en phase avancée n'implique pas le caractère irréversible de cet état. Elle n’est pas clairement corrélée à la notion de pronostic engagé et d’espérance de vie courte. Le diabète, l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, certains cancers sont des affections graves et incurables. Il est possible de les contrôler pendant de nombreuses années par des traitements spécifiques ou de substitution, même si on ne peut pas les guérir.
Enfin, concernant la terminologie « d’affection grave », certains affirment qu’elle induit mécaniquement l’engagement du pronostic vital afin de rassurer l’opinion. C’est faux, eu égard à l’article L.160-14 du Code de la sécurité sociale qui dresse différentes caractéristiques de ces affections et qui renvoie à une liste, établie par la Haute Autorité de santé, dans laquelle figurent des pathologies comme l’insuffisance cardiaque, la paraplégie ou des formes sévères de diabète.
Dans les prochains jours, le législateur va donc devoir arbitrer entre deux « verrous » extrêmement flous, et qui, dans les deux cas, vont laisser le médecin dans une grande insécurité.
En réalité, le principe même d’un nouveau « droit à mourir » restreint par des critères médicalement non objectivables n’est pas tenable dans le temps. Les partisans de la législation ont beau jeu de souligner à bon droit le caractère indéfinissable du moyen terme. Quant au gouvernement, il feint de présenter son critère comme étant une sécurité afin de rassurer les hésitants, alors que son inapplicabilité rendra cette limite extrêmement provisoire et totalement abstraite pour les médecins, qui auront à juger de l’éligibilité d’une personne à « l’aide à mourir ».
Cette incapacité médicale à discriminer objectivement les patients dans leur accès à un nouveau « droit à mourir » explique ainsi en grande partie l’extension naturelle de ce droit dans les pays l’ayant légalisé. Dans les deux cas, il y a fort à parier que ces critères sans fondement scientifique mèneront mécaniquement à des élargissements. Alors, mesdames et messieurs les députés, lequel voulez-vous choisir ?
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