Un arrêté publié au Journal officiel le 29 octobre 2023 parachève l'encadrement du don du corps à la science. Le scandale du centre des Saints-Pères (Paris Descartes), révélé en novembre 2019, avait en effet mis en lumière la nécessité d'une harmonisation des pratiques ; les principes avaient été inscrits dans la loi de bioéthique de 2021. Si le décret du 28 avril 2022 précise les règles de fonctionnement des centres, ce dernier texte affine les modalités de transport des corps. Quitte à les complexifier, selon le Pr Grégoire Moutel, chef du Service de médecine légale et droit de la santé de l'Université Caen Normandie.
LE QUOTIDIEN : Que change cet arrêté ?
PR MOUTEL : Implicitement, il change la philosophie du don, en donnant l'obligation aux centres d'accepter les corps, même quand ils n'ont pas de place. Il y a une sacralisation du don.
Jusqu'à présent, quand une structure était saturée, elle pouvait annoncer aux familles que le don ne pouvait être honoré. Désormais, l'arrêté nous impose de chercher de la place dans un autre centre de don. C'est complexe à mettre en œuvre, et cela risque de mettre en tension les équipes sur le terrain.
Les corps arrivent en effet à des heures imprévues ; les opérateurs du funéraire avec qui nous avons passé convention ont les badges, clefs et autorisations nécessaires pour nous les déposer n'importe quand. Mais si nous n'avons pas de place, qui contactera un autre centre la nuit ou le week-end ?
En outre, comment déterminer l'établissement le plus proche ? À Caen, nous pouvons penser à Rennes, Lille ou Rouen, mais comment trancher et que faire s'ils sont eux-mêmes pleins ?
Surtout, comment assumer le coût du transfert du corps, qui en interrégion est deux à trois fois plus cher qu'au sein d'une même région (d'autant que les forfaits varient de 200 à 700 euros sur le territoire national) ?
L'arrêté prévoit qu'un centre qui demande un corps honore les coûts du transport ; c'est normal. Mais si le centre manque de place, c'est l'université dont il dépend qui doit prendre en charge le transfert vers un autre établissement. Le risque est, dans un contexte où de plus en plus de personnes donnent leur corps à la science pour ne pas payer de funérailles, de créer un système parallèle d'obsèques gratuites, sur les fonds des universités.
Une formulation précisant que le centre « s'efforce » de trouver un centre de proximité eût été préférable. Cette obligation d'honorer un don n'existe pas en matière de don d'organes ou de sang !
Que se passe-t-il si la personne décède loin du centre qui a recueilli son consentement ?
Le texte prévoit qu'un centre de proximité puisse accepter le corps, ce qui est une bonne chose. Mais cela rend criante une lacune du système existant : l'absence de registre national des donneurs, que nous dénonçons de longue date. Comment le centre de proximité s'assurera-t-il que la personne est bien inscrite sur le registre des donneurs du centre d'origine, en dehors des heures et jours d'ouverture ?
Autre complexité administrative : le centre de proximité (par exemple Marseille, si un Normand décède dans le Sud) prend en charge l'acheminement du corps, mais l'établissement qui a délivré la carte de donneur, Caen, doit rembourser les frais. Même s'il n'a pas pu bénéficier du corps. Et c'est aussi Caen qui devra assumer les frais du retour du corps ou des cendres à la famille, ce qui est un coût supplémentaire.
On peut enfin noter que l'arrêté reste muet sur la question des décès à l'étranger. Jusqu’à présent, c’est à la famille et aux assurances de rapatrier le corps sur le territoire national.
Plus largement, quel regard portez-vous sur l'encadrement du don du corps à la science tel qu'il a été redéfini ces deux dernières années ?
Une réglementation nationale et l'harmonisation des pratiques, en matière d'information et de recueil du consentement des donneurs, de restitution des corps ou encore de durée de conservation, vont dans le bon sens. Auparavant, les pratiques étaient très hétérogènes, certains centres demandaient aux donneurs 300 voire 1 000 euros pour le retour des corps, d'autres, rien. Désormais, tous les centres sont soumis à un agrément avec des procédures précises à suivre.
Autre amélioration : chaque corps doit repartir du centre dans un cercueil individualisé au crématorium de la ville. Si le donateur le souhaite, ses cendres peuvent être remises à la famille. La loi prévoit aussi que le corps peut être restitué mais la majorité des centres privilégient la remise des cendres : après une séance d'anatomie ou de chirurgie, il n'est pas toujours possible de présenter les corps ad integrum aux proches. Les textes encouragent les cérémonies d'hommage aux donateurs, une pratique qui se généralise.
La loi de bioéthique a enfin bien fait de rappeler l'interdiction de la commercialisation des corps - comme ce fut le cas aux Saints-Pères.
La fin des associations support est encore à saluer : auparavant, les anatomistes étaient organisés en associations loi 1901, qui touchaient parfois de l'argent des donateurs. Mais il y avait trop de disparités au niveau national et cela manquait de transparence dans l'usage des fonds. Désormais c'est l'université qui a l'agrément, et qui dote les centres en ressources pour payer le personnel (trois salaires à Caen, par exemple), et s'acquitter des coûts induits (transports, rites funéraires).
Mais avec cet arrêté, les universités auront-elles les budgets supplémentaires pour honorer ces nouvelles missions ? Pour rappel, la prise en charge d'un corps coûte déjà entre 1 000 et 1 300 euros. Chaque centre (une vingtaine) en a entre 150 à 200 par an, les universités ont donc besoin d'une enveloppe de 150 000 à 200 000 euros pour faire tourner les centres du don. L'enjeu est de taille, car ces corps sont indispensables à la formation des internes et futurs chirurgiens : ils sont loin de ne servir qu'aux leçons d'anatomie.
Les grandes lignes de l'arrêté
Après le décès d'une personne ayant consenti au don de son corps, c'est l'établissement lui ayant délivré sa carte de donneur qui organise, à ses frais, le transport du corps depuis le lieu du décès jusqu'à ses locaux.
Lorsque cet établissement ne peut recevoir le corps, le « responsable de la structure d'accueil des corps saisit sans délai le responsable de la structure d'accueil des corps de l'établissement le plus proche ou le plus proche du lieu du décès du donneur d'une demande de transfert ». De même, si le décès intervient dans un lieu éloigné du centre d'origine, il est possible de solliciter un autre centre géographiquement plus proche (qui doit toutefois prévenir le premier centre).
Les frais de transfert incombent à l'établissement qui a délivré la carte de donneur, y compris lorsqu'il demande qu'un autre centre prenne en charge le corps. En cas de crémation, c'est le centre ayant accueilli le corps qui est responsable et doit assumer les frais. Mais la restitution du corps ou des cendres est organisée sous la responsabilité et aux frais de l'établissement ayant délivré la carte de donneur.
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