Le Généraliste : Le ministère de la Santé a souvent été confié à une femme et/ou à un médecin, moins souvent à un décideur issu du système de santé. Vous êtes les trois à la fois. Cela vous paraît-il un atout ?
Agnès Buzyn : Je pense que c’est un atout d’avoir connu toutes les facettes du système de santé : j’ai été sur le terrain, pendant 20 ans dans un exercice hospitalier, puis à l’origine de politiques de santé publique à l’Inca ; et la HAS m’a permis de bien connaître l’ensemble du système, la question du financement, de la régulation de l’offre de soins. Donc j’ai effectivement eu une palette assez variée d’approches qui font que je comprends bien les enjeux de ce ministère. Les médecins libéraux me reprochent parfois d’avoir eu un exercice très hospitalier, mais je viens d’une famille où tout le monde était libéral, donc je connais aussi ce type d’exercice. Il y a peu de sujets sur le champ de la santé qui me soient étrangers, pour ne pas dire aucuns. L’autre avantage que je ressens quand j’ai des professionnels en face de moi -médecins ou fédérations hospitalières- c’est que je parle la même langue qu’eux et que je sais de quoi ils me parlent.
Le Généraliste : Une forte baisse des effectifs de médecins libéraux est à redouter pour les années à venir. Trouvez-vous cela préoccupant ? Et le cas échéant comment comptez-vous y remédier ?
[[asset:image:11918 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["GARO\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]A.B. : Cela ne concerne pas que les médecins libéraux, mais les médecins dans leur ensemble, et sur les dix prochaines années. Mais le problème est plus général. Certes, la médecine libérale est en difficulté sur les territoires et c’est le reflet d’une démographie médicale en baisse globalement. Ma priorité va être l’aménagement des territoires en termes d’offre médicale. Cela a été dit mardi par le Premier ministre dans son discours de politique générale. Il m’a demandé un plan pour lutter contre les déserts médicaux en septembre et je suis déjà en train d’y travailler avec mes équipes. Notre idée est de libérer toutes les initiatives de terrain qu’elles soient issues du monde libéral -les idées de généralistes ou de médecins de deuxième recours- qu’elles fassent intervenir des établissements de santé privés ou publics, ou d’autres professionnels de santé ou même la télémédecine. L’idée est que chaque territoire, en fonction de l’offre existante, puisse répondre au problème des déserts médicaux de la façon la plus pragmatique possible. Mon sujet va être d’accompagner ces initiatives et de lever les verrous réglementaires qui pourraient empêcher un médecin d’avoir un exercice mixte, de s’installer… J’entends beaucoup de remarques sur une régulation un peu contrainte et je crois qu’elle nuit à la possibilité qu’a un médecin d’accepter de répondre à des besoins locaux. Donc, priorité aux initiatives locales, déverrouillage, libération des énergies. C’est globalement la volonté du président de la République et cela s’applique bien à l’offre de soins. Je ne vais pas inventer 10 000 nouveaux médecins -ils n’existent pas- ni faire venir davantage de médecins de l’étranger. Je souhaite faire reposer cette responsabilité territoriale sur l’ensemble des professionnels. Je l’ai évoqué dans les discussions avec leurs syndicats. Je pense que beaucoup de jeunes médecins sont prêts à prendre une responsabilité en termes de santé publique, au-delà même de leur patientèle dans leur bassin de santé. C’est une nouveauté dans la façon dont les médecins et leurs représentants envisagent l’exercice médical et c’est intéressant.
Le Généraliste : Sur les déserts médicaux, alors que beaucoup de choses ont déjà été tentées par vos prédécesseurs, pensez-vous réussir à remédicaliser les coins les plus reculés de l’hexagone ?
A.B. : Beaucoup de choses ont été essayées, mais on note encore des verrous réglementaires, des difficultés à concilier des exercices pluriels, à faire intervenir des professionnels de santé non-médecins en termes de délégation de tâches ou d’utilisation de la télémédecine. Des expérimentations ont été mises en place, mais de façon un peu morcelées, en silo. Mon idée est de faire un appel à des expérimentations très libres, et de redonner toute confiance au territoire et à sa capacité à s’organiser. L’appel à projets fixera les objectifs, et libre aux CPTS, aux MSP, aux établissements de santé, aux GHT de proposer des solutions innovantes. Je suis 100 % confiante dans la capacité des acteurs à proposer de l’innovation. Le rôle de l’État n’est pas de proposer des recettes toutes faites sur un territoire, mais de veiller à l’équité des résultats pour nos concitoyens. Pour le reste, je fais confiance ; or la confiance a beaucoup manqué ces dernières années. Tous les protagonistes que j’ai eus en face de moi, que ce soit les fédérations hospitalières, publiques, privées, les syndicats… sont partants. Ils sont conscients que c’est notre responsabilité à tous ; et que ça n’est pas possible que certains n’aient pas accès à un ophtalmo ou un gynéco pendant un an, de ne pas avoir de médecin généraliste à moins d’une heure de route. Il a fallu du temps, mais aujourd’hui la prise de conscience est réelle. Mon plan sera rendu public en septembre, il y aura des financements pour accompagner ces expérimentations et si elles fonctionnent, elles auront vocation à devenir pérennes.
Le Généraliste : De son côté, la cnamts appelle à un développement des innovations organisationnelles et en médecine de ville. Ce quinquennat sera-t-il celui des changements des règles du jeu, notamment pour la médecine générale ?
[[asset:image:11919 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["GARO\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]A.B. : Je me pose plutôt la question sous l’angle des résultats : quels sont les besoins aujourd’hui pour que la France ait un système de santé plus accessible et plus équitable, où chacun puisse être soigné ? Tout ce qui permettra d’aboutir à de l’innovation organisationnelle, ou en e-santé et même l’innovation médicale sera facilité. Cette réflexion a déjà été engagée avec la CNAMTS. Si cela doit passer par un changement dans les modes d’exercice, nous le proposerons aux professionnels. Tout ce qui pourrait modifier l’exercice professionnel sera négocié. Si cela nécessite un changement de mode de rémunération, en fonction de la responsabilité populationnelle ou d’objectifs de santé publique par exemple, tout cela sera mis sur la table. Je ne souhaite pas faire d’annonce de méthode, puisque cette méthode, je vais la construire avec les professionnels.
Il faut que les médecins y trouvent leur compte et ne soient pas en difficulté (sur le TPG)
Le Généraliste : Sur l’extension du tiers payant qui a tant dégradé les relations entre les médecins et le précédent gouvernement, comment allez-vous procéder ?
A.B. : Nous lançons une mission Igas cette semaine dont l’objectif sera de faire un état des lieux de la réalité du terrain et des difficultés que rencontrent les professionnels à faire fonctionner le tiers payant. Nous partons sans aucun a priori. Le tiers payant doit être accessible à l’ensemble des concitoyens, les Français l’attendent. Comme un service, non comme une contrainte. Mais on doit être dans un objectif gagnant-gagnant : il faut que les médecins y trouvent leur compte et ne soient pas en difficulté. Je me suis engagée sur le fait que les médecins doivent retrouver du temps médical, ça n’est pas pour leur imposer du travail administratif supplémentaire. Dès que nous aurons un système qui fonctionne nous continuerons à avancer vers un tiers payant généralisable, mais si ce n’est pas fonctionnel, nous retarderons le processus. Les professionnels de santé y adhéreront si c’est simple. Et cela n’aura pas vocation à être obligatoire.
Ce que j’entends des médecins d’ailleurs, c’est qu’ils ont besoin de temps médical et je les comprends. Quand on fait ce métier, on le fait avant tout pour être dans la relation humaine, dans le temps dédié à notre patientèle et ce sera toujours un point de vigilance pour moi.
Le Généraliste : Sur la prévention, grande priorité de campagne d’Emmanuel Macron, considérez-vous que les généralistes n’en font pas assez ? Et que peut-on imaginer pour leur faire jouer un plus grand rôle ?
[[asset:image:11920 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["GARO\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]A.B. : Ça fait maintenant 20 ou 30 ans qu’on dit que les maladies chroniques augmentent, qu’il faut mettre l’accent sur la prévention. Cela devrait permettre de dépenser moins d’argent pour les soins, de vivre plus longtemps en bonne santé, de gagner en autonomie quand on vieillit... Le problème, c’est que nous ne nous sommes jamais vraiment donnés les moyens, parce que ce que nous déboursons en termes de prévention ne rapporte pas immédiatement. Je m’engage donc sur une politique de long terme. Les bénéfices se verront dans 5 ans. Nous sommes aussi le pays qui a le plus de mortalité évitable avant 65 ans. Notre système favorise la prise en charge des traitements et des maladies, mais ne fait pas assez en sorte que les gens ne tombent pas malades. C’est pour cela que je m’engage de façon très forte et volontariste sur le tabac. Ceux qui me connaissent savent que c’est pour moi une bataille de très longue date. 80 000 morts par an ! Le pays ne doit plus être le dernier de la classe en termes de prévalence du tabagisme, du tabagisme des femmes, des jeunes. Je comprends les débats qu’il y aura autour de cette augmentation progressive du prix du tabac à 10 euros qui vient d’être annoncée par le Premier ministre. Mais tous les pays qui ont réussi à lutter efficacement contre le tabagisme sont passés par des hausses importantes du prix du tabac. 80000 morts, c’est une douleur immense pour les familles, et un coût énorme pour la Sécurité sociale. Donc, cela suppose un vrai changement de stratégie par rapport à la prévention. Il faut la remettre au centre de nos préoccupations. Et, bien sûr, les médecins généralistes doivent jouer un rôle. Les Français croient leur médecin. Quand il leur donne un conseil, -« marchez plus », « faites attention à votre alimentation »- cela a 1000 fois plus d’impact que n’importe quelle campagne de prévention ! J’ai besoin que les médecins m’aident à porter ces messages de prévention. Ils sont pivots dans le parcours de soins mais également dans le parcours de santé. C’est aussi ça leur responsabilité territoriale, pas seulement répondre à un appel quand il y a 40° de fièvre. Ca doit être d’ailleurs un sujet qui concerne n’importe quel professionnel de santé. L’infirmière, le kiné, le pharmacien, tout le monde peut donner un conseil de prévention.
Mon objectif est d'atteindre l'objectif de l'OMS de 95% de vaccination. Quand la France y sera, on en rediscutera
Le Généraliste : Le gouvernement a fait sienne la proposition centrale du rapport Fischer sur l’extension temporaire de l’obligation vaccinale. Dans l’opinion, comme chez certains médecins généralistes, des voix discordantes doutent de sa pertinence ou de son efficacité. Comment comptez-vous convaincre ?
A.B. : Ce que les gens mettent potentiellement en cause, c’est le caractère obligatoire. C’est vrai que ce n’est jamais plaisant de devoir en passer par là. Le problème, c’est qu’on a laissé dériver les choses longtemps, et des messages se distiller dans la population,. On a la mémoire courte sur les vaccins. On a oublié les maladies. Cette dérive, qui s’est instaurée progressivement, fait qu’aujourd’hui malheureusement, on n’a pas d’autres moyens au vu des enquêtes d’opinion que d’élargir les obligations. On sait qu’aujourd’hui, si on enlevait par exemple l’obligation du DTPolio, 50 % des gens hésiteraient à se faire vacciner ! Peut-être que, 10 ans plus tôt, un message plus équilibré sur les bénéfices et les risques aurait suffi. Les vaccins, tout le monde a pensé que c’était tellement évident que c’était utile, que ce n’était même plus la peine de les rendre obligatoires. On a donc arrêté de le faire et puis au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux vaccins, on a laissé s’instaurer dans l’esprit des gens que, sous prétexte que c’était seulement recommandé, somme toute on pouvait peut être ne pas les faire. On voit donc aujourd’hui des enfants qui meurent de la rougeole, de la méningite. Je pense à ces familles et à ces parents et je condamne l’attitude de certains médecins qui font de faux certificats et qui prennent la responsabilité qu’un enfant meure un jour d’une maladie évitable. Je prends mes responsabilités en tant que ministre. J’assume et me réjouis que le premier ministre m’ait suivie : on ira vers une obligation pour les vaccins des petits enfants en 2018. Mon objectif est d’atteindre l’objectif de l’OMS de 95 % de vaccination. Quand la France y sera, on en rediscutera. Les Français sont ambivalents. Sur les maladies évitables, ils ne veulent plus se faire vacciner car ils ont perdu la conscience du risque, mais il y aurait un cas d’Ebola dans notre pays, tout le monde dirait : « mais pourquoi il n’y a pas de vaccins » ? Je rencontrerai également les industriels. Car, bien sûr, si les vaccins deviennent obligatoires, il ne faut pas qu’il y ait de rupture de stocks. Ce serait contradictoire. Un travail sera également fait sur le prix. Tout ça va être en discussions dans les six mois qui viennent.
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