Émilien Houard-Vial, enseignant en science politique : « Une véritable prise de conscience chez Les Républicains »

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Publié le 01/12/2023
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Doctorant à Sciences Po, enseignant et spécialiste de la droite, Émilien Houard-Vial analyse le réinvestissement du parti Les Républicains (LR) dans la santé, à la fois par pragmatisme et par conviction pour certains sujets marqueurs comme l'AME.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Quelle est la place des Républicains aujourd’hui à l’Assemblée ?

ÉMILIEN HOUARD-VIAL : Ce qui change surtout, c’est qu’ils sont environ moitié moins qu’en 2017 et quatre fois moins qu’en 2012 ! Cela dit, le gouvernement actuel tient parce que les LR ne votent pas la censure… même s’ils menacent de le faire. L’exécutif a besoin de leur soutien pour voter ses textes. LR est en réalité dans un statut intermédiaire, entre opposition et majorité. Cette position leur permet parfois d’espérer voter leurs propres mesures sans trop faire de compromis, comme la loi immigration. Ce n’est pas en étant dans une opposition frontale et systématique qu’ils pourront gagner des voix, ni en apparaissant trop comptable de l’action du gouvernement… C’est donc une position compliquée, stratégique et ambiguë !

J'ajoute qu'il n’y a pas de clivage idéologique majeur au sein de LR, y compris pour les questions de santé. Ce sont leurs concurrents – la majorité et le Rassemblement national –, comme forces d’attraction, qui créent des désaccords, notamment stratégiques. Si l’on prend l’exemple de la réforme des retraites – qui a divisé le parti –, les LR ont globalement la même vision du monde…

Pourquoi Les Républicains se positionnent-ils davantage sur des questions de santé ?

Jusque-là, la santé n’était pas un secteur particulièrement travaillé par les Républicains. Mais ils ont eu une véritable prise de conscience : dans le discours de la droite aujourd’hui, il faut réinvestir des champs tels que l’écologie et la santé. Les Républicains sont pragmatiques ! En regardant les sondages, ils constatent que la santé reste, avec le pouvoir d’achat, parmi les premières préoccupations des Français.

J'ajoute que la santé regroupe un certain nombre de sujets centraux pour eux, comme les finances publiques ou les territoires. Beaucoup de députés LR ont été élus dans des circonscriptions plutôt rurales ou périphériques, donc l’accès aux soins est devenu un sujet central pour eux. Certains sont aussi médecins – comme Philippe Juvin ou Yannick Neuder – et ont un intérêt personnel et une expertise sur ces questions. Peut-être y a-t-il également chez LR le sentiment que les médecins ne sont pas défavorables à leur parti et que la santé est un moyen naturel d’aller les chercher. Enfin, l'électorat LR est assez âgé et les questions de santé sont toujours majeures pour les seniors.

Que dire du débat sur la suppression de l'AME, qui ne reposait pas toujours sur des données factuelles ?

Les LR sont attachés au réel mais cela peut se traduire aussi par des discours communs intuitifs comme : « Si nous sommes généreux avec les étrangers, alors ils vont venir chez nous ». Et les voix internes relativisant cet « appel d’air » ne sont pas assez puissantes pour se faire entendre. Les LR ne se disent pas forcément : « Allons plutôt regarder les études de l’Irdes et de la Drees » sur l'AME.  

C'est aussi une tentative pour LR d’aller chercher les voix d'électeurs RN ou de montrer qu’ils sont crédibles puisqu’ils sont capables de faire adopter des amendements et des lois. Aujourd’hui, le rejet de l’AME est même devenu consensuel au sein du parti. Si vous n’y adhérez pas, on vous dit que vous êtes mou ou irréaliste. C’était l’une des mesures du candidat Fillon en 2017 ; pas étonnant que Bruno Retailleau – son bras droit à l’époque – ait été l’un des plus fervents défenseurs de la suppression de l'AME au Sénat.

Pensez-vous que l'appropriation par LR de certaines questions de santé suive une stratégie présidentielle ?

Des sujets comme les déserts médicaux vont resurgir dans le débat public et avoir un peu d’écho. Mais généralement, il faut admettre que ces dossiers sont techniques, avec beaucoup de chiffres et pas très sexy ! En 2022, les questions de santé étaient certes importantes mais pas suffisamment pour que les propositions soient reprises sur les plateaux télévisés ou que les électeurs les retiennent.

Quant à 2027, je ne crois pas que LR puisse voir aussi loin ! Les parlementaires redressent ce parti au jour le jour. Mais c’est aussi une forme de test : « Peut-on avoir un écho sur les questions de santé ? » La droite cherche à voir si c’est porteur. Et ce, avec un discours un peu différent de celui d’il y a dix ans, qui était uniquement axé sur le budgétaire brut et aride. Je crois que Les Républicains veulent, pour les prochaines échéances, exhiber des réussites concrètes. Même si cela ne soulève pas les foules, ce sont des mesures qui pourraient changer le quotidien des Français.

Propos recueillis par L. J.

Source : Le Quotidien du médecin