Européennes : relocaliser la production de médicaments, tout le monde est pour (mais personne ne sait comment)

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Publié le 07/06/2024
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Dans les programmes des candidats aux élections européennes, une mesure santé fait office de consensus : la relocalisation de l’industrie du médicament. Pas si simple à mettre en œuvre.

Quel est le point commun entre le Rassemblement national (RN), la majorité présidentielle (Renaissance), la France Insoumise (LFI), les Républicains (LR) et le Parti socialiste (PS) ? Tous défendent, dans le cadre des élections européennes du 9 juin, le principe de relocalisation du médicament. Une mesure « de bon sens », alors que les pénuries au sein de l’Union européenne sont de plus en plus remarquées, pour les médicaments essentiels. Elle est d’ailleurs la seule proposition concernant la santé qui a su se faire une place dans les débats.

Et pour cause : selon les chiffres du ministère de la Santé, 40 % des médicaments commercialisés dans l’Union proviennent de pays tiers ; 60 à 80 % des principes actifs des médicaments pharmaceutiques sont fabriqués en Inde ou en Chine ; ces deux pays produisant 60 % du paracétamol, 90 % de la pénicilline et 50 % de l’ibuprofène dans le monde.

Un « Airbus du médicament » ?

Au Quotidien, le Pr Laurent Castillo, 5e sur la liste Les Républicains (LR) s’est désolé de cette situation. « Quand on prescrit des antibiotiques pour une otite, il n’y en a parfois pas en pharmacie ! Ce n’est pas normal qu’on ne soit pas capable d’assurer la délivrance d’amoxicilline ou de paracétamol… » Idem du côté du président du parti radical de gauche (PRG), Guillaume Lacroix, qui porte aussi cette mesure, appelant de ses vœux dans nos pages un « Airbus du médicament », qui pourrait permettre, selon lui, d’« envisager la production de nouvelles molécules en commun, à l’échelle européenne et rapatrier les principes actifs qui ont été délégués à d’autres continents hors de l’Europe ».

Car si les programmes convergent vers une volonté d’agir pour lutter contre les pénuries, les solutions ne sont pas toutes si similaires. La gauche (PS-PP, LFI, Écologistes) entend créer un « service public européen du médicament » en constituant notamment des stocks stratégiques (de paracétamol, par exemple) et en soutenant leur production, vraisemblablement économiquement. Pour le RN, il faut simplement « sécuriser les capacités de production de médicaments à l’échelle européenne ».

La majorité présidentielle indique, dans son programme, ambitionner de « relocaliser notre production des médicaments », en adoptant une loi européenne ad hoc. Renaissance défend, en ce sens, des achats communs et groupés de produits stratégiques, notamment pour en réduire les prix, à l’échelle européenne. Ce avec quoi les LR sont d’accord, à condition que ce soit un fonds européen qui finance la politique de relocalisation et que les procédures de mise sur le marché des médicaments soient simplifiées, pour favoriser un accès aux soins plus rapide.

De la communication politique

N’est-ce pour autant qu’un effet d’annonce ? Pour l’ancien responsable santé du PS, le Dr Claude Pigement, la réalité est plus complexe : « A-t-on les moyens de relocaliser dans l’Hexagone ? Et, quand bien même, quelles garanties aura-t-on quant à la mise sur le marché français et/ou européen de ces médicaments ? », interroge-t-il.

Frédéric Bizard , économiste libéral et président du think-tank « Institut Santé », est lui aussi peu enthousiaste. « Il y a eu, sur le sujet de la relocalisation, beaucoup de communication politique, comme avec l’implantation d’une usine de Doliprane, voulue par Emmanuel Macron. Je comprends la volonté de rassurer les Français, mais je reste sceptique : ça n’a aucun sens, en termes économiques, d’utiliser de l’argent public pour ces médicaments-là ! » L’auteur de Protection sociale : pour un nouveau modèle (Dunot, 2017) suggère plutôt de « dispatcher les médicaments en fonction de leur valeur ajoutée : rechercher, développer et produire des médicaments innovants en France et produire en Bulgarie ou au Maghreb du Doliprane par exemple ».

La vente de Biogaran agace l’exécutif

Ces propositions pour les européennes s’inscrivent dans une actualité qui agace l’exécutif : la mise en vente de Biogaran par les laboratoires Servier. Gabriel Attal a clamé à l’Assemblée le 29 mai : « Nous avons été très clairs avec Servier : nous ne souhaitons pas qu’il vende Biogaran ». Le leader français des génériques, qui produit près d’un tiers de ces médicaments en France et vend une boîte sur huit dans le pays, représente 8 500 emplois directs ou indirects. Le Premier ministre a également averti que « tout repreneur non européen » qui rachèterait Biogaran devait s'attendre à « des conditions drastiques » et une « vigilance exceptionnelle » de la part du gouvernement, comme la « possibilité d'activer la procédure de contrôle des investissements étrangers en France », afin de « faire respecter notre souveraineté ».

Car en France, ce sujet des pénuries de médicaments alimente le débat depuis des mois. Si bien que les parlementaires français se sont saisis de la question. La proposition de loi socialiste sur les pénuries de médicaments a été adoptée en première lecture à l’Assemblée le 29 février. Celle-ci prévoit notamment de renforcer les obligations faites aux industriels de constituer des stocks de certains médicaments essentiels, en inscrivant des planchers dans la loi et d’alourdir des sanctions.

Quelques jours plus tôt, le gouvernement avait annoncé sa feuille de route contre les pénuries pour 2024-2027. Les disponibilités des médicaments seront intégrées dans les logiciels d’aide à la prescription (LAP), pour permettre aux médecins de trouver une alternative ou de travailler sur la posologie. Les praticiens pourront s’appuyer sur des listes de concordances écrites par l’ANSM et la HAS et les pharmaciens sur des tableaux d’équivalences.

La France assez attractive ?

L’intérêt des politiques s’inscrit dans un contexte de tensions majeures sur le stock, le flux et l’approvisionnement de médicaments dont dispose la France. En 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a enregistré 4 925 signalements et risques de ruptures de stocks – soit une hausse de 30 % par rapport à 2022 – notamment d’amoxicilline ou de Doliprane pour enfant. Un plan de relocalisation, lancé en juin 2023 par le gouvernement, avait conduit à allonger à 300 puis 450 la liste des médicaments essentiels. Le nouveau plan prévoir une « sous-liste de 147 médicaments stratégiques ».

Emmanuel Macron a aussi annoncé il y a tout juste un an un guichet de « relocalisation ou renforcement de la chaîne de valeur des médicaments essentiels », octroyant notamment des subventions aux industriels qui relocaliseraient leur production. Le levier des tarifs devrait aussi être actionné, répondant ainsi à une requête du Leem (Les entreprises du médicament), qui dénonce dès qu’il le peut la fiscalité sectorielle française, « la plus forte en Europe », au point d’« asphyxier » les industriels désireux de réinvestir le terreau européen.


Source : lequotidiendumedecin.fr