LE QUOTIDIEN : La santé est la priorité numéro un des Français. Mais concrètement, que peuvent faire les maires pour améliorer l’accès aux soins ?
FRÉDÉRIC CHÉREAU : Les maires, s’ils agissent collectivement, peuvent d’abord influencer la prise de décision du législateur. Nous sommes aussi plus sollicités qu’avant sur la santé par nos concitoyens et nous expérimentons des solutions pour favoriser l’accès aux soins : création de centres de santé, accompagnement des projets de maisons de santé, aides à l’installation de médecins ou contrats locaux de santé… Les maires sont montés en charge, au fur et à mesure des années, avec la pénurie de praticiens. Et la crise Covid les a poussés à s’impliquer encore davantage. Aujourd’hui, les maires se sentent légitimes pour parler de santé : nous avons appris ce qui marche et avons développé une véritable expertise.
Quelles sont vos priorités ?
L’idée, aujourd’hui, c’est d’organiser le système autour d’un service local de santé. Que la ville, l’hôpital, le médico-social et les associations se parlent ; que des outils de ville émergent avec des missions de santé publique, que ce soit à travers des centres de santé municipaux ou départementaux, des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP).
Les centres de santé sont intéressants, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV), car ils prennent en charge les patients les plus lourds, polypathologiques ou avec des problèmes sociaux. Bref, l’écosystème local de santé – qui inclut la prévention, le dépistage, l’information, le bien manger, l’accès au sport – doit inclure l’écosystème de soins et son organisation.
Plusieurs initiatives parlementaires veulent instaurer une régulation à l’installation des médecins. L’AMF soutient-elle ces mesures directives ?
Le député Guillaume Garot [élu socialiste à la tête du groupe transpartisan sur l’accès aux soins, porteur d’une proposition de loi sur le sujet, NDLR] a mis de l’eau dans son vin en limitant l’installation seulement dans les zones déjà bien dotées. C’est une bonne idée, qui n’engage pas forcément une obligation d’installation ! Il ne s’agit pas d’imposer au médecin et à sa famille d’habiter dans la Creuse ou au fin fond de la Seine-et-Marne. Mais de trouver des solutions, notamment pour que les patients sans médecin traitant en aient un. Par exemple, les médecins pourraient faire un jour ou deux de consultations à 50 km de chez eux ; un pharmacien ou un infirmier de référence pourrait accompagner, avec une rencontre personnelle, le patient dans sa visio avec un médecin… L’important, c’est que les Français soient soignés !
Nous ne sommes pas pour tel ou tel mode d’exercice unique, nous défendons leur coexistence. Ce que l’on constate, en revanche, c’est que les jeunes veulent un exercice collectif : maisons de santé, avec exercice libéral, ou centres de santé, sous forme de salariat. D’autres solutions émergent : à Marseille, un centre de santé est adossé à l’hôpital, ce qui crée une cohérence de l’écosystème de soins très forte. Nous ne souhaitons pas imposer un modèle ou un autre, mais nous voulons que l’État ne décourage personne. Dans les facultés de médecine générale, on dit aux étudiants : « Surtout ne faites pas de salariat »… Laissons-les choisir !
Êtes-vous favorable à des accès directs, que ce soit aux spécialistes ou à des infirmiers en pratique avancée (IPA) ? Faut-il en finir avec le parcours de soins autour du médecin traitant ?
Nous sommes plutôt pour le déploiement des infirmiers en pratique avancée. Les médecins, qui au début étaient méfiants, y sont en réalité très favorables. Ce qui fonctionne bien, c’est lorsqu’ils travaillent dans les mêmes locaux, avec un rôle en aval pour l’IPA, lequel peut prendre en charge des pathologies chroniques comme le diabète et même parfois faire des renouvellements d’ordonnance.
Quant à l’accès direct aux médecins spécialistes, nous n’y sommes pas opposés par principe. C’est une piste à travailler.
Michel Barnier entend faire de la santé mentale sa grande cause nationale. Quelles sont, en tant que maires, vos marges de manœuvre ?
Ce ne sont pas les maires qui ont la main sur les soins psychiatriques. Nous voudrions d’abord que l’exercice à l’hôpital ne soit pas découragé et qu’on y trouve des médecins. Car les psychiatres ne veulent plus exercer à l’hôpital, en raison des conditions difficiles et de la permanence des soins, alors ils s’installent en ville. Mais si tous les psychiatres exercent en libéral, la journée, on ne peut pas traiter des cas les plus graves. Nous avons besoin de praticiens qui prennent en charge les soins les plus lourds.
Notre marge de manœuvre, en tant que maires et présidents de conseils de surveillance des hôpitaux, c’est d’alerter le gouvernement. Nous travaillons sur la santé mentale avec un conseil local (CLSM), et plus largement sur la prévention, en alertant sur les effets de la non prise en charge sur la société : violences, isolement, décrochage scolaire, précarité, dépendance…
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