Offre de soins

Les cartes de la prise en charge sont redistribuées

Publié le 12/12/2016
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Les évolutions actuelles de la cancérologie modifient les parcours des patients atteints de cancer. Et redessinent l’offre de soins entre les établissements hospitaliers, l’ambulatoire et l’hospitalisation à domicile. Avec pour corollaire une coordination incontournable entre tous les professionnels de santé.
visuel dossier cancer

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Crédit photo : GARO/PHANIE

Faut-il parler de big-bang organisationnel ? « Nous avons identifié six grandes tendances d’évolution de la prise en charge de la cancérologie », explique Sandrine Boucher, directrice de la stratégie et de la gestion hospitalière d’Unicancer. L’augmentation de la chirurgie ambulatoire et de la réhabilitation précoce post-opératoire conduisent à des séjours hospitaliers de plus en plus courts. La radiothérapie plus ciblée et moins invasive réduit le nombre de séances. Autre évolution majeure : le développement des traitements oraux avec les thérapies ciblées et la chimiothérapie orale, mais aussi l’émergence de nouvelles pistes thérapeutiques telles que l’immunothérapie et les nanotechnologies. La caractérisation des tumeurs va également permettre un diagnostic plus précoce ainsi qu’un traitement plus personnalisé. La radiologie interventionnelle, plus précise et moins invasive, devrait aussi participer à la réduction des séjours hospitaliers. Enfin, les soins de support sont de plus en plus intégrés dans une prise en charge globale des patients.

Un véritable virage ambulatoire en cours

« Ces tendances mènent à une autre organisation des soins et des parcours des patients. Les traitements moins invasifs peuvent être proposés à des patients polypathologiques et plus fragiles. Des chimiothérapies lourdes peuvent être réalisées à domicile. Les traitements oraux permettent aux patients d’être soignés en ambulatoire. Tout cela nécessite un accompagnement et une surveillance hors les murs de l’hôpital, observe le Dr Hélène Espérou, directrice du projet médico-scientifique et de la qualité d’Unicancer. Par exemple, les traitements oraux ont des effets secondaires qui impliquent un suivi particulier. Nous avons donc besoin des acteurs de ville : pharmacien, médecin traitant, infirmier, kinésithérapeutes… »

Un développement du suivi ambulatoire dont les acteurs de ville sont bien conscients, chacun d’eux prenant soin de bien rappeler son rôle actuel et futur. A commencer par les médecins généralistes. « Le rôle du médecin traitant, devient de plus en plus fondamental durant la phase active de traitement des patients atteints de cancer. Il prend en charge la globalité du patient. Les patients font appel à lui car il est souvent à l’origine de la découverte de leur cancer. Celui-ci peut déterminer si ce qui leur arrive sont des effets indésirables liés à la chimiothérapie », commente le Dr Bernard Freche, membre du Collège de la médecine générale et coordinateur du groupe d’experts « Cancer et médecine générale ». Les infirmiers libéraux ne sont pas en reste et veulent faire valoir leur place dans la prise en charge à domicile. « Depuis toujours, nous avons un rôle central dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer, notamment à leur sortie de l’hôpital, remarque Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Nous assurons le continuum des soins le jour, la nuit et le week-end. Et notre rôle peut être développé dans le parcours de soins autour de quatre axes : la prise en charge de la douleur physique, sociale et psychique, l’observance thérapeutique dans le cadre des traitements oraux, les soins de support et les soins palliatifs. »

 

Une demande de chimiothérapie à domicile

L’évolution de la prise en charge des patients ne concerne pas seulement les professionnels de santé de ville. L’hospitalisation à domicile (HAD) y prend sa part, et tient elle aussi à rappeler sa légitimité et son apport. « La cancérologie est le point de départ de l’HAD. Les soins aux patients atteints de cancer représentent plus de 30 % de notre activité. Au début, les soins palliatifs constituaient notre première activité. Peu à peu, l’HAD s’est orientée vers les soins de support. Pour la chimiothérapie injectable, des demandes apparaissent en fonction de l’offre hospitalière sur le territoire. Dans ce cas, nous nous substituons à l’hôpital de jour. Cette situation est très variable selon les régions et les pathologies. L’HAD s’est ainsi développée dans le Limousin. Il y a aussi une forte demande en Haute-Normandie de la part de l’agence régionale de santé et de l’Omedit*», relate Elisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad). L’HAD pourrait-elle intervenir dans le cadre de la chimiothérapie orale qui requiert l’observance du patient et une surveillance des effets secondaires ? « Certains oncologues se posent la question, convient Elisabeth Hubert. L’HAD, qui est un établissement de santé avec des contraintes de circuit du médicament, de dispensation et d’administration, leur paraît une réponse sécurisée à cette problématique de contrôle du dosage, de l’horaire de prise et des effets indésirables. » Toutefois, selon la présidente de la Fnehad, l’HAD n’a pas cette vocation sauf « s’il y a un besoin temporaire de sécurisation du maintien à domicile et d’observance et que les professionnels libéraux sont en nombre insuffisant ou pas structurés ».

 

Les établissements se voient en tour de contrôle

Mais cette interrogation révèle les difficultés des acteurs à se positionner dans une prise en charge du cancer qui évolue rapidement. « Qui fait quoi et où ?, résume Bernard Freche. Nous devons avoir une répartition des rôles de chaque acteur.» La solution ? Conceptualiser la place du médecin généraliste et protocoliser le suivi des patients. « Les médecins sont prêts à s’impliquer mais ils ont besoin d’outils comme des fiches de synthèse sur la prise en charge des effets indésirables », souligne Bernard Freche. Philippe Tisserand tient un discours semblable : « Le rôle de l’infirmier libéral dans les parcours de soins devrait davantage être formalisé avec un partage des données du patient objectivées ». Pour Elisabeth Hubert, « la protocolisation en HAD, sous l’égide des oncologues, est un impératif ».

La clarification de la place de chaque professionnel de santé et la visibilité de l’offre de soins impliquent évidemment une coordination de tous les acteurs. Celle-ci nécessite des outils numériques (messagerie sécurisée, « portail médecins », dossier médical partagé…) afin de fluidifier les flux d’information. Mais aussi du temps et du personnel. C’est d’ailleurs peut-être là la planche de salut à long terme des établissements et services spécialisés en cancérologie dont on pourrait s’interroger sur l’avenir, alors que la prise en charge se « banalise » en ville. « Nous devons nous organiser et anticiper au-delà des murs de l’hôpital pour prévenir le sentiment d’abandon que peuvent ressentir les patients de retour au domicile, explique Hélène Espérou. Ce qui signifie une réorganisation interne des établissements pour pouvoir coordonner les parcours de soins, permettant entre autres la bonne prise du traitement à l’extérieur, la conciliation médicamenteuse. Nous devons mettre un certain nombre d’informations à disposition des professionnels de santé, par exemple le compte-rendu d’hospitalisation, et pouvoir répondre à la demande des généralistes. L’établissement sera une « tour de contrôle, capable d’aider les professionnels de santé extérieurs. » Les établissements spécialisés comme ceux d’Unicancer ne se voient donc pas du tout réduire la voilure, voire disparaître, mais au contraire, devenir des centres de référence pour l’ensemble des acteurs de la filière de prise en charge. Un positionnement très GHT-compatible… à condition là encore de mettre en place les outils de la coordination.

*Omedit : Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique

Magali Clausener avec Grégoire Sevan

Source : Décision Santé: 306