La droite sort du bois sur la santé. Proposition de loi sur l’accès aux soins lors de la niche parlementaire LR début décembre, offensive musclée sur l'aide médicale d'État, amendements au projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS)… En dépit de moyens limités mais forts de leur position d'arbitre, Les Républicains avancent leurs pions. Et les députés spécialistes du secteur creusent leur sillon.
À l’Assemblée nationale, Les Républicains (LR) occupent seulement 62 sièges mais une place d'arbitre dans cette législature, faute de majorité présidentielle absolue. Cette position particulière de pivot leur permet aussi de défendre des textes qui, en miroir, sont susceptibles d'être soutenus par la majorité macronienne.
C'est dans ce contexte que la droite retravaille davantage les questions de santé, au-delà de la seule approche budgétaire, sous la houlette de députés spécialistes (siégeant à la commission des Affaires sociales) comme le cardiologue Yannick Neuder (Isère), l'anesthésiste-réanimateur Philippe Juvin (Hauts-de-Seine) ou la pharmacienne Josiane Corneloup (Saône-et-Loire). Une tradition toutefois ancienne, recadre l’ancien député (2002-2022) et cardiologue Jean-Pierre Door. « Depuis toujours, le RPR, l'UMP puis LR siègent au sein de cette commission des Affaires sociales, avec une attention particulière aux questions de santé et des propositions. Sans doute aussi parce que de nombreux parlementaires de nos rangs sont issus des professions de santé – médecins, pharmaciens et dentistes. »
Passerelles pour les paramédicaux, retour des étudiants partis à l'étranger…
Mais le parti LR semble vouloir accélérer sur la santé avec des initiatives susceptibles de marquer les esprits. Lors de la niche parlementaire du groupe en décembre, le député de l'Isère Yannick Neuder, chargé de la santé dans le shadow cabinet des Républicains, doit porter une proposition de loi sur l’accès aux soins en forme de plan choc contre les déserts médicaux. Le texte initial proposait, entre autres, la multiplication des internats territoriaux, un plan Marshall d'investissement pour les facultés, un principe de substitution en cas de fermeture d’établissement, une dérogation pour équiper les zones sous-denses en imagerie ou encore une « taxe lapins » pour les patients. Dans l'immédiat, trois articles concernant la formation seront examinés : « la suppression effective du numerus apertus » (pour déverrouiller l'entrée en 2e année de médecine) ; « le rapatriement des étudiants en médecine partis à l’étranger » (Belgique, Roumanie) pour stopper l'hémorragie ; et le fait de favoriser des « passerelles » pour que des paramédicaux puissent reprendre des études accélérées de médecine – des infirmiers pourraient ainsi rejoindre la médecine traitante après un processus de qualification et de formation continue.
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Hasard du calendrier ? La PPL santé du Dr Yannick Neuder est programmée avant une proposition de résolution visant à « rendre effectifs les soins palliatifs sur tout le territoire », initiative portée cette fois par le député LR Patrick Hetzel. Une façon pour la droite de se positionner alors que se profilent les arbitrages de l'exécutif autour du projet de loi sur la fin de vie. « Un texte sur la fin de vie ne peut pas se résumer au fait d’organiser le suicide assisté », souligne Yannick Neuder.
Le Pr Juvin défend les Padhue
Fortement habitué à porter, à droite, les sujets santé, y compris lorsqu'il avait été candidat à la primaire pour la présidentielle, le Pr Philippe Juvin affirme que le sujet central et urgent est la démographie. « Même si nous ouvrons des postes à l’hôpital et que nous payons mieux les libéraux, nous n’avons pas suffisamment de personnel », constate-t-il. Le chef de service des urgences de l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP) assume, lui, outre le « doublement » du nombre d'étudiants en médecine, « d’aller chercher des médecins étrangers ». Alors que 20 000 praticiens diplômés hors Union européenne (Padhue) passent un examen de vérification des compétences, seules 2 700 places – toutes spécialités – sont ouvertes. « J'appelle à ce que tous ceux qui ont le niveau soient pris, sans fixer de chiffre au préalable, avance le Pr Juvin. Face aux autres mesures de long terme, celle-ci aurait un effet au 1er janvier. »
Le « frondeur » LR du Lot, Aurélien Pradié, a été de son côté l’auteur en juillet 2022 d’une proposition de loi « visant à favoriser l’installation de médecins en zones sous-dotées ». Dans son texte, on retrouve la suppression de toute forme de numerus clausus mais également l’expérimentation de services d’urgences au sein des maisons de santé. Une autre voix à droite, certes dissidente, qui entend occuper le terrain de la santé…
Députés hyperactifs sur le PLFSS
L'offensive LR emprunte aussi des chemins plus classiques, comme l'examen du budget de la Sécurité sociale (PLFSS). Sur les soins de ville, « on n’arrête pas de procrastiner », se désole Thibault Bazin (Meurthe-et-Moselle). Pour cet élu, « la tranche horaire 18-20 heures devrait être intégrée à la permanence des soins, de même que le samedi matin ». Une proposition qui fait écho à une revendication ancienne des syndicats de médecins libéraux. Ce député est lui-même l’auteur de diverses PPL santé sur les soins palliatifs, les proches aidants ou les centres de soins non programmés. Et le sujet le passionne : nos confrères de Politico l’ont épinglé dans le cadre du PLFSS 2024 comme étant le député ayant porté le plus d’amendements « clés en main », suivi par ses camarades LR Emmanuelle Anthoine et Yannick Neuder. Le principal intéressé confie « ne jamais avoir autant travaillé que depuis le 20 août », ayant même « pris un stagiaire uniquement dédié au PLFSS ».
Un budget de la Sécu 2024 au demeurant largement amendé par LR, avant le rejet du texte car « le compte n’y était pas », affirme le Dr Neuder, conduisant au recours rapide au 49.3. Pour le Pr Juvin, amer, le PLFSS reste « un exercice comptable inadapté à une réforme en profondeur ». Et de ce point de vue, la frustration s'exprime à droite à la fois sur le fond et la méthode. « Nous n’avons que ce texte pour parler de santé et on nous le retire avec des articles 49.3 qui nous privent de la possibilité d’agir… Tous les débats que nous avons sur les politiques publiques ne sont que du théâtre ». Même déception du côté de Yannick Neuder. « Franchises médicales, transfert du dentaire aux complémentaires : tout ce qui est compliqué, ils n’en parlent pas ! C’est une comédie… » Ce qui n'empêche pas la droite d'avoir longuement attaqué ce budget sous l'angle de l'insincérité financière, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.
Engagée sur la perte d’autonomie et la fin de vie, la députée LR du Jura Justine Gruet est particulièrement critique sur la politique de santé mentale du gouvernement et le dispositif MonParcoursPsy. Elle estime que les séances prises en charge à hauteur de 30 euros ne fonctionnent pas tandis que les tarifs moyens se situent « autour de 50 ou 55 euros ». Plutôt que des séances écourtées de 30 minutes, elle préconise « quatre séances d’une heure » en se servant, « pourquoi pas, des psychologues libéraux, certes non conventionnés, mais qui peuvent répondre à un service ».
La suppression de l'AME, marqueur LR
Votée par le Sénat dominé par l'opposition de droite, la suppression de l’aide médicale d’État (AME) remplacée en aide médicale d’urgence (AMU), dans le cadre du projet de loi immigration, a permis à LR d'adresser un signal de fermeté à son électorat. Et alors que de nombreux représentants du milieu médical s'élèvent contre cette mesure, le Pr Philippe Juvin défend la ligne du parti. « Il faut soigner le patient qui a une jambe cassée aux urgences. En revanche, quand je vois arriver des personnes en prédialyse à Roissy qui filent à l’hôpital en taxi et entrent dans un circuit de dialyse… il y a là un sujet majeur, car nous avons déjà du mal à traiter tous les assurés avec nos postes limités. » Face « aux nombreux abus », il souhaite adresser un signal. « Ce n’est plus open bar ! Réduisons le panier de soins et bâtissons quelque chose de l’autre côté de la Méditerranée, pour que la dialyse soit possible dans le pays d’origine… ». Thibault Bazin souligne de son côté « la révoltante injustice sociale entre celui qui a travaillé toute sa vie et qui reste mal couvert et un jeune qui demande l’asile car il a un problème de rein et qui sera pris en charge totalement ». Bref, il convient de « diminuer la voilure » pour ne pas « créer un appel d’air migratoire », résume le Dr Yannick Neuder.
Mais députés et sénateurs LR avancent-ils main dans la main ? « Je suis en lien étroit avec Corinne Imbert », figure de la commission des affaires sociales du Sénat et pharmacienne, confie le député Yannick Neuder. « Globalement, nous sommes sur la même ligne », affirme aussi l’expérimenté Jean-Pierre Door. Sauf sur la liberté d’installation des médecins, que les sénateurs ont souvent dans leur viseur, sous la pression des maires ruraux…
Être constructifs dans l’opposition
Reste que, en dépit de leur volonté de réinvestir la santé, seule une poignée de députés LR sont omniprésents sur ces sujets. « Yannick Neuder, Philippe Juvin et Thibault Bazin portent à bout de bras nos textes santé… J’ai toujours été sidéré qu’on soit si peu ! », décrypte Jean-Pierre Door, qui fut longtemps identifié comme le seul spécialiste santé de la droite républicaine. Mais le Pr Juvin ne désespère pas pour autant de faire bouger les lignes, à force de ténacité. Il cite son amendement sur l’exonération de charges pour les praticiens retraités en cumul emploi-retraite « balayé d’un revers de main en commission » mais repris dans le PLFSS 2023. « Les lignes peuvent bouger… à la marge ! », juge-t-il.
Thibault Bazin préfère ironiser sur le positionnement délicat des Républicains. « Certains nous disent que nous sommes "mariés" à Renaissance, d’autres que nous sommes dans l’obstruction systématique… Je crois que ça dépend des textes ! » Justine Gruet (Jura) s'emploie à résumer la stratégie du parti. « Nous sommes à un moment où les Français veulent qu’on soit constructifs ! » Yannick Neuder tient à positiver sur la capacité de peser sur les débats. « Vous pouvez être très actifs dans l’opposition : il faut dire ce qui ne va pas mais aussi être force de propositions. Prévention, dépistage du cancer, hypercholestérolémie… Je ferai d’autres PPL et d'autres propositions de résolution », promet-il déjà, enthousiaste.
Dans le shadow cabinet imaginé par Éric Ciotti, Philippe Juvin devient ministre des Affaires sociales et Yannick Neuder est aux manettes de la Santé. « Nous nous réunissons souvent : en plénière et avec le pôle santé », confie ce dernier. Deux députés LR ont aussi participé aux travaux transpartisans menés par Guillaume Garot (PS) sur l'accès aux soins, qui défendent des mesures de régulation. « Mais nous, nous sommes contre la coercition, dangereuse en ces temps de rareté médicale trop importante », clarifie Yannick Neuder. Une autre façon pour la droite de marquer son terrain sur la santé.