Après une chirurgie bariatrique

L’augmentation du risque de consommation d’alcool est réelle

Publié le 28/09/2015
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Crédit photo : PHANIE

Avec 44 000 opérations par an, la France se place dans le peloton de tête des cinq pays qui pratiquent le plus d’interventions bariatriques. La HAS, pour sa part, a édicté des recommandations pour cette chirurgie ciblant, en priorité, les adultes dont l’indice de masse corporelle (IMC) est supérieur à 40 kg/m², ou supérieur à 35 kg/m² et présentant au moins une autre pathologie susceptible d’être améliorée par la chirurgie : diabète de type 2, hypertension artérielle, SAS, troubles respiratoires sévères…

Ce type d’intervention ne doit être envisagé qu’après une prise en charge pluridisciplinaire bien conduite, pendant au moins six mois. Le patient doit être bien informé et avoir accepté la nécessité d’un suivi médical et chirurgical à long terme. Les contre-indications à la chirurgie, sont, par ailleurs, multiples : troubles cognitifs, troubles sévères non stabilisés du comportement alimentaire, incapacité à participer à un suivi médical prolongé, dépendance à l’alcool et aux substances psychoactives... Cette dernière contre-indication peut, toutefois, être temporaire : réévaluée après la prise en charge - pendant plusieurs mois - par un addictologue.

Un risque accru avec le by-pass

Des données américaines et suédoises ont étudié la consommation et le comportement, face à l’alcool, de patients après chirurgie bariatrique. Des travaux récents* incluant 155 patients aux États-Unis - suivis pendant deux ans par le biais de questionnaires standardisés - ont notamment étudié la fréquence de la consommation d’alcool un an après chirurgie bariatrique. Les résultats montrent une diminution à un an de la consommation régulière d’alcool. « En revanche, cette consommation augmente au cours du temps et, au bout de deux ans, elle devient supérieure à ce qui était observé dans le groupe de départ », indique le Pr Sébastien Czernichow, chef du service de nutrition au CHU Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt. Une étude suédoise** de référence dans le domaine bariatrique a, quant à elle, suivi 4 000 patients (groupe contrôle, groupe AGA, groupe gastrectomie verticale calibrée et groupe by-pass). « De façon étonnante, l’étude montre que six ans après la chirurgie, il y a une augmentation très importante de patients déclarant avoir une consommation modérée d’alcool, en particulier avec le by-pass », poursuit le spécialiste. Par ailleurs, autre surprise : l’incidence de l’abus d’alcool est bien plus importante dans le groupe by-pass comparé aux deux autres types de chirurgie bariatrique purement restrictives***. Une autre cohorte suédoise reprenant un registre de toutes les interventions bariatriques réalisées entre 1980 et 2006 en Suède montre que le risque d’abus d’alcool est multiplié par 2,3 dans le groupe by-pass, comparé aux groupes ayant subi une chirurgie restrictive pure.

Des explications multiples

Ces études épidémiologiques sont complétées par d’autres études sur le métabolisme mettant en exergue le fait que le by pass semble engendrer une vulnérabilité relative à la consommation d’alcool et à la dépendance alcoolique. Une étude américaine*****, notamment, a étudié l’effet de l’absorption de l’alcool (un verre de vin rouge) avant et après chirurgie bariatrique. Les résultats montrent, en particulier que le pic d’alcool expiré est beaucoup plus important six mois après la chirurgie avec by-pass qu’en pré-opératoire. Mais aussi, que le temps de récupération pour devenir sobre est allongé dans le groupe by-pass. De même des symptômes tels que le « flush », l’étourdissement, la vision double ne sont pas ressentis de la même manière avant et après la chirurgie. Autrement dit, les symptômes et la façon dont ceux-ci sont perçus évoluent après l’intervention. « La chirurgie bariatrique (le by pass, notamment) semble s’accompagner, dans certains cas, d’une augmentation du risque de conduites addictives. L’augmentation de la consommation d’alcool après chirurgie de l’obésité pourrait notamment s’expliquer par la recherche d’effet euphorisant plus puissant chez les patients. Ou encore, par le fait que la sélection des patients candidats à la chirurgie bariatrique ne fait pas l’objet d’un "screening" systématique consensuel sur la façon de dépister les addictions, notamment pour l’alcool. Autre hypothèse, peut-être plus positive : cette augmentation de la consommation moyenne d’alcool après chirurgie de l’obésité pourrait également être un marqueur d’une meilleure qualité de vie. En effet, après intervention bariatrique, les patients se sentent mieux dans leur peau, ils se sociabilisent à nouveau, sortent davantage avec leurs proches et ont donc davantage l’occasion de boire » indique le Pr Czernichow. Et de préciser : « Bien entendu, nous manquons de données objectives pour conclure pour l’instant. »

*Conason et al, JAMA Surg, 2014.

**Svensson et al, Obesity, 2013.

***Il existe deux principaux types de techniques bariatriques : les chirurgies dites restrictives pures, diminuant le volume de l’estomac (anneau gastrique, Sleeve gastrectomie) et les techniques dites mixtes (by-pass, par exemple) : restrictives et « malabsorptives », entraînant une diminution de la quantité des nutriments absorbés.

****Ostlund et al, JAMA Surg, 2013.

*****Woodard et al, JAMA Coll Surg, 2011.

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du Médecin: 9436