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Dossier

Journée mondiale sans tabac

Le casse-tête du sevrage tabagique

Publié le 31/05/2013

Savoir déclencher la prise de décision de sevrage sans crainte de l’échec est un moment fort à renouveler lors des consultations. Si elle est adoptée, la prise en charge à 100 % pourrait y donner un coup de pouce d’autant qu’elle est la mesure le plus « coût efficace » de la prévention cardiovasculaire selon la modélisation présentée dans le BEH du 28 mai 2013.

À la fois habitude comportementale et fléau n°1 de santé publique, le tabagisme porte dans ses gènes une dimension individuelle et collective et la lutte doit se mener sur les deux terrains. Le Pr Yves Martinet (président du comité national contre le tabagisme ou CNCT) n’a pas de mots assez durs : le tabac est « inutile, tue et coûte cher à la société ». Il réduit l’espérance de vie individuelle et gonfle les coûts sociétaux puisque si l’État gagne environ 14 milliards € par an sur la vente de tabac, le coût pour la société est évalué à 47 milliards €. Pour s’en convaincre, l’étude épidémiologique de I. Licaj et coll. publiée dans le BEH confirme un taux de mortalité trois fois plus élevé chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs sur une cohorte d’Européens âgés de 40 à 65 ans.

Certes, il y a eu des progrès avec le forfait sevrage ou les lois anti-tabac mais il reste encore une marge de progression. Selon l’éditorial d’Yves Martinet : « En France, la consommation de tabac, qui avait diminué à partir des années 1970, a réaugmenté depuis 2005, en particulier chez les femmes et dans les classes socio-économiques défavorisées, pour atteindre près de 34 % des adultes ». Il ajoute « Les mesures à prendre sont bien connues, elles concernent à la fois la prévention de l’entrée en tabagisme des enfants et le traitement de la dépendance ». Pour y parvenir, trois grands courants d’action se dégagent : la prise en charge à 100 % du sevrage tabagique aujourd’hui limité à 50 euros par an, un meilleur respect des lois en particulier vis-à-vis de l’interdiction de la vente aux mineurs et une attitude plus affirmée contre l’ingérence des cigarettiers.

La bouffée d’air du 100 %

Pour le Pr Jean-Louis Touraine (député) la question du tabagisme reste le parent pauvre dans le déroulé de la consultation. A une réunion du CNCT à l’assemblée nationale, a expliqué : « Il faut une consultation spécifique pour analyser tous les éléments mais cette consultation longue doit être prise en charge ». Le Dr Anne Borgne (tabacologue, Sevran) estime pour sa part : « Les médecins n’ont pas beaucoup de temps à y consacrer mais en y revenant à chaque consultation, ce n’est pas consommateur de temps et ça donne de multiples occasions d’en parler et de mettre en place un traitement. Il faut déminer la crainte de l’échec et dire au patient que l’on ne revient jamais en arrière : quand on a tenté d’essayer d’arrêter, toutes les expériences sont positives ! ». De plus même en cas d’échec, le fumeur a appris à repérer les moments qui l’ont mis en échec (stress, environnement de fumeurs), ce qui lui permet de les anticiper lors d’une prochaine tentative.

Parmi les actions développées en France depuis la loi Evin de 1991, l’Assurance Maladie a proposé le remboursement des médicaments de sevrage à hauteur de 50 € par bénéficiaire et par an. Mais force est de constater que cette mesure est un peu frileuse car le reste à charge peut être un frein dans des populations défavorisées particulièrement touchées par le tabagisme. Pour le Pr Touraine «  le petit forfait de 50 €, c’est mieux que rien mais il faut trois à cinq tentatives de sevrage pour y arriver. Il faut donc toutes les rembourser, l’économie est immédiate si on réduit l’incidence des maladies cardiovasculaires.»

Ce forfait de 50 euros annuels de sevrage pourrait donc évoluer demain vers quelque chose de plus consistant : la prise en charge à 100 % du sevrage par bupropion, varénicline, substituts nicotiniques s’avère la plus coût-efficace des mesures de prévention cardiovasculaire selon une modélisation médico-économique publiée dans le BEH. Avec une valeur de 1786 euros par année de vie gagnée, c’est plus efficace que les statines en prévention primaire. « Ca fait 15 ans que je milite pour ça !» a indiqué le Dr Borgne.

La tabacologue précise les progrès récents : « les nouveaux dosages des patchs à 25 mg permettent d’adapter la dose en début de traitement. Pour le même prix, ça évite de mettre deux patches à 21 mg et 14 mg pour une équivalence d’efficacité et une plus grande confiance des patients toujours hésitant à mettre deux patches en même temps ». Il faut rester réaliste dans les objectifs et ne pas viser d’emblée le zéro cigarette. Chez les patients dépendants, il reste envisageable de réduire la consommation des cigarettes en prenant des substituts nicotiniques.

Intérêt de cette méthode progressive souligné par le Dr Borgne : « le patient s’aperçoit qu’il peut réduire sa consommation, son souffle est meilleur et il se sent mieux, une étude montre que les gens prennent plus vite la décision d’arrêter si on leur propose d’abord de réduire leur consommation ». Le médecin doit accompagner le patient et s’il n’en a pas envie ou le temps, il doit le référer à une consultation anti-tabac hospitalière. Parmi les choix thérapeutiques, les substituts nicotiniques sont en première intention et Champix (varénicline) et Zyban (bupropion) en deuxième intention, Zyban est moins souvent prescrit en raison des effets indésirables à type d’insomnie et d’agitation. Les cigarettes électroniques ne sont pas validées dans cette indication.

Autre levier, le paquet-neutre qui prend à contre-pied l’image de rêve des industriels du tabac. Les auteurs du BEH le créditent favorablement : « Les retombées attendues du paquet neutre sont positives car l’emballage neutre améliore l’efficacité des avertissements sanitaires, réduit la désinformation des consommateurs sur la dangerosité des cigarettes, annihile l’attractivité du packaging et de la marque et, finalement influence les intentions de changement de comportement » écrivent les auteurs de l’article du BEH.

Une loi à mieux appliquer

Enfin, les tabacologues réclament une meilleure application de l’interdiction de vente aux mineurs. Si l’interdiction de fumer dans les lieux publics a vraiment porté ses fruits sur le tabagisme passif avec un effet boule de neige inattendu sur l’abstention de fumer à domicile, l’interdiction de vente aux mineurs est restée en panne. Le Pr Yves Martinet considère que « le faible respect actuel de la loi la décrédibilise aux yeux des mineurs». Dans les faits, peu de ventes sont refusées aux mineurs et les contrôles des buralistes ne sont pas suffisamment contraignants. « Il faut que le gouvernement mette en place des mesures de contrôles et des sanctions », a conclu le Dr Borgne.