Le point de vue du Dr Bernard Jommier*

Le chaînon manquant de notre politique de réduction des risques

Publié le 25/01/2018
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32 ans. C’est l’âge de la première Salle de Consommation à Moindre Risque (SCMR), ouverte en Suisse en 1986 et suivie de près d’une centaine d’autres dans le monde, parmi lesquelles les deux salles françaises ouvertes en 2016 à Paris et Strasbourg.

Ce sont avant tout des motivations de santé publique qui ont décidé les pouvoirs publics et les acteurs concernés à ouvrir ces dispositifs. En France, la politique de réduction des risques initiée dans les années 1980 (autorisation des seringues en vente libre) a été progressivement complétée dans les années 1990 par la diffusion des traitements de substitution aux opiacés et la mise en place d’un dispositif de prise en charge associant des centres spécialisés (aujourd’hui Caarud et Csapa) et les professionnels de santé de ville.

Moins de contaminations et moins de décès par surdose

Cette politique a largement démontré ses effets positifs, en particulier sur les maladies infectieuses liées aux injections, les décès par surdoses et plus globalement sur l’accès des usagers de drogue au système sanitaire et social permettant de réduire les nombreuses complications liées à l’usage de drogues.

La loi de 2004, complétée par celle du 26 janvier 2016, a logiquement consacré les actions de réduction des risques comme un axe de la politique de santé.

L’ouverture des 1ères SCMR en 2016 a été longtemps attendue par les intervenants en addictologie de notre pays. Le constat qu’une population d’usagers de drogue très précarisés, désocialisés, enfermés dans des pratiques délétères pour leur santé ne trouvait pas de réponse adaptée dans les dispositifs existants s’est imposé. Le choix était alors, soit d’abandonner cette population à son autodestruction, soit de lui proposer un nouveau dispositif visant à ramener ces usagers de drogue vers une prise en charge sanitaire et sociale, vers le chemin de la substitution et du sevrage dès que celui-ci est possible.

Les SCMR étaient le chaînon manquant de notre politique de réduction des risques. La littérature scientifique internationale permet d’analyser leurs résultats en termes de santé publique, d’acceptabilité sociale et de tranquillité publique. Elles ont démontré depuis 30 ans qu’elles réduisent les risques de décès et de maladies graves en supervisant les consommations de drogue. Aucune surdose mortelle n’a eu lieu dans une SCMR en 30 ans.

À Vancouver, 75 % d’usagers de la salle ont changé leurs pratiques, améliorant leurs comportements de prévention et de réduction des risques. Chaque année, une partie d’entre eux rejoint des programmes de substitution ou de sevrage. L’impact sur leur environnement est net : baisse du nombre de seringues retrouvées dans l’espace public (-50 % à Sidney, -76 % à Barcelone), baisse des consommations dans l’espace public (-50 % à Vancouver).

Premiers résultats positifs à Paris et Strasbourg

Un an après l’ouverture des salles de Paris et Strasbourg, il est encore trop tôt pour disposer d’évaluations épidémiologiques. On peut toutefois relever des premiers résultats positifs : 800 personnes sont inscrites dans le dispositif parisien ; chaque consommation est strictement encadrée limitant les risques de plaies, d’abcès et de transmission du VHC ou du VIH ; plusieurs dizaines d’usagers ont été orientés vers des consultations spécialisées en addictologie ; 324 ont bénéficié d’un suivi social et 66 sont entrés dans un processus de réouverture de leurs droits. Autour de la salle, 53 592 consommations de rue ont été évitées, réduisant d’autant les nuisances dans l’espace public. Tout indique que les résultats à terme, dont l’évaluation a été confiée à l’Inserm, seront ceux décrits mondialement.

Et de fait, malgré les oppositions idéologiques de ceux qui rejettent toujours la politique de réduction des risques, la création de nouvelles salles est à l’ordre du jour en Grande-Bretagne Italie, Irlande, au Portugal, en Belgique… En France, Bordeaux ouvrira une salle en 2018 et d’autres grandes villes sont en réflexion. En Ile-de-France, le besoin de nouvelles ouvertures est partagé par de nombreux intervenants et devra se concrétiser à brève échéance pour éviter la surcharge de la salle parisienne.

Ainsi notre société se montre à la hauteur de ses valeurs républicaines et humanistes en apportant à chacune et chacun les soins qui lui sont nécessaires, sans exclusion, sans jugement, avec la seule volonté d’améliorer la santé publique et le parcours de vie de ceux qui en ont perdu le fil.

* Sénateur EELV de Paris

Source : Le Quotidien du médecin: 9634