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Dossier

Journées annuelles de la Société française d'alcoologie 2019

Les nouvelles technologies au chevet de l’addiction

Publié le 29/03/2019
Les nouvelles technologies au chevet de l’addiction

alcool
Sabphoto/stock.adobe.com

Ergonomiques, faciles d’accès, immersifs, les outils numériques ne manquent pas d’atouts pour l’addiction, où le comportement et la cognition jouent un rôle primordial. Retour sur plusieurs expériences innovantes à l’occasion des récentes journées de la Société française d’alcoologie.

Réalité virtuelle, télémédecine et même mouchards de comportements par capteurs de mouvements : lors de ses journées annuelles, la Société française d’alcoologie (Amiens, 15-16 mars) a fait le point sur les espoirs mais aussi les interrogations scientifiques et éthiques soulevées par l’irruption des nouvelles technologies dans le champ des dépendances.

Réalité virtuelle thérapeutique

Parmi les pistes explorées, l’utilisation de la réalité virtuelle à visée thérapeutique a fait l’objet de plusieurs retours d’expérience. Dans cette approche, l’expérience immersive permet de travailler sur les comportements et les envies avec une approche individualisée. « On peut créer n’importe quelle situation en 3D », s’enthousiasme le Dr Eric Malbos (Marseille). L’amélioration du graphisme et le côté réaliste des décors permettent une exposition aux situations soit anxiogènes, comme c’est le cas de longue date pour la phobie de l’avion, soit incitatives comme dans le tabagisme. « On peut faire un bar virtuel ou mettre le patient dans les embouteillages ou à la pause-café quand il a l’habitude d’allumer une cigarette », explique le Dr Malbos. Il est possible de faire intervenir différents avatars plus ou moins tentateurs, selon les habitudes de la personne. La réalité virtuelle a aussi l’avantage d’amener le patient à une exposition douce, moins abrupte que la réalité et le médecin peut intervenir à tout moment pour proposer de la relaxation si besoin.

Pour l’alcool, il a été montré qu’une vidéo à 360° recréant un bar, une terrasse ou des rayons alcool en supermarché obtient l’adhésion des adolescents et provoque le craving, ce qui est bien en faveur d’une expérience signifiante où le patient ressent un besoin de boire. Ce constat suggère que l’on pourrait à l’inverse obtenir une désensibilisation progressive à l’appétence à l’alcool en plusieurs séances.

Pour le tabac, le Dr Malbos a fait une étude de thérapie par exposition à la réalité virtuelle (ou TERV) sur 120 fumeurs, abstinents depuis plus d’une semaine. L’expérimentation s’est déroulée en huit séances de 30 minutes d’exposition. Résultat : 72 % des patients n’ont pas rechuté avec la réalité virtuelle quand les méthodes classiques affichent un taux de réussite de 30 %. Le médecin rapporte une absence de retentissement sur l’humeur, l’estime de soi ou l’anxiété avec une diminution du craving et de la dépendance. À noter cependant que 24 personnes ont abandonné en cours d’essai. « C’est élevé, mais les patients disposaient seulement de la réalité virtuelle. Ils n’avaient pas droit à la cigarette électronique ou aux substituts nicotiniques », nuance le spécialiste. Or, il est probable que la combinaison réalité virtuelle, substituts nicotiniques et cigarette électronique permette d’améliorer cette approche de TCC. L’avenir sera peut-être à une expérience encore plus réaliste, avec une banque olfactive délivrant une odeur de tabac/fumée qui déclencherait l’envie de fumer.

Côté tolérance, certains ont rapporté un syndrome de cyber-malaise avec nausées et vertiges.

Le numérique au service de la remédiation cognitive

Toujours dans une optique de soins, les outils numériques pourraient aussi être utiles pour la remédiation cognitive. Bien avant le stade de démence alcoolique ou de Gayet-Wernicke, la consommation excessive d’alcool entraîne des troubles cognitifs précoces dans 50 à 70 % des cas, avec des altérations de la mémoire épisodique, de la cognition sociale et des fonctions exécutives. Ces perturbations impactent non seulement la qualité de vie des patients mais interfèrent aussi avec les soins. La remédiation vise à corriger ces troubles. L’objectif est de permettre, via un ensemble de techniques rééducatives, la restauration ou la compensation des fonctions cognitives altérées. « Il faut remuscler le cerveau là où il est défaillant », résume le Dr Georges Brousse (Clermont-Ferrand).

Applications et logiciels proposent des approches personnalisées, selon les fonctions altérées. Certains ciblent par exemple les processus automatiques : lorsque le mot « bleu » est écrit en vert, le patient doit apprendre à inhiber sa réponse automatique « bleu » à la question « de quelle couleur est le mot sur l’écran ? » L’interférence entre le mot et la couleur sollicite l’attention et la capacité d’inhiber l’automatisme en jeu dans le comportement addictif. Au bout de quatre semaines, cet entraînement réduit le craving.

Téléconsultation et addiction

Plus classique, la télémédecine pourrait aussi être une aide précieuse en addictologie. L’expérience a été testée avec un certain succès pour la prise en charge des patients toxicomanes en milieu rural « qui pose régulièrement des problèmes aux généralistes à cause du manque d’accès à des avis de second recours », explique le Dr Olivier Bouchy, généraliste dans la Meuse. Dans ce département à forte ruralité qui n’a que deux CSAPA (centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie), 59 % des médecins de famille suivent un ou plusieurs toxicomanes. D’où la mise en place de téléconsultations associant patient, généraliste, addictologue et infirmière spécialisée.

S’il y a eu un certain scepticisme au démarrage, « les avis sont très positifs », se félicite le Dr Olivier Bouchy. La problématique sociale et familiale, dont est souvent dépositaire le généraliste, est partagée entre tous les acteurs. La téléconsultation renforce l’implication de chacun avec seulement 10 % d’absentéisme côté patients. Pour ces derniers, l’avantage est la diminution du délai de rendez-vous, une réduction des déplacements et moins de « mauvaises rencontres » avec d’anciennes connaissances en toxicomanie. « Il existe cependant des points négatifs comme le coût, le risque de déshumanisation ou encore les problèmes d’organisation. »

Big brother is watching you

Les comportements des patients souffrant d’addiction n’auront-ils bientôt plus aucun secret pour leur soignant grâce aux nouvelles technologies ? à l’occasion d’un atelier de la SFA, le Pr Amine Benyamina (Villejuif) et le Dr Ivan Berlin (Paris) ont dressé un scénario à la Big Brother de ce que pourrait devenir le suivi des patients avec les nouvelles technologies. Les consommations de substances pourraient par exemple être appréciées directement par l’enregistrement et l’analyse en temps réel des gestes associés à la prise. Il est en effet possible de cibler spécifiquement les mouvements des mains du fumeur et de les différencier d’autres gestes comme se brosser les dents ou manger. La façon de consommer de l’alcool semble également se distinguer de la gestuelle pour boire une boisson non alcoolisée ou chaude. « Une fois certaines attitudes détectées, les professionnels de santé pourront délivrer des interventions pour corriger le comportement lié à une addiction. »

L’idée de « mouchards biologiques » fait aussi son chemin : des travaux sont en cours pour permettre la mesure en continu de la concentration des substances addictives à travers la peau, à l’image de ce qui se fait pour la glycémie avec le glucomètre Free style libre.

Si elles ouvrent des possibilités intéressantes, ces approches devront être évaluées rigoureusement, notamment en termes d’acceptabilité et d’éthique mais aussi de valeur diagnostique. De même, les interventions qui en découlent devront faire l’objet d’études contrôlées.


Dr Muriel Gevrey