Journée mondiale sans tabac

Sans volonté politique, la lutte anti-tabac reste fumeuse

Publié le 30/05/2013
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Crédit photo : S TOUBON

« LE TEMPS D’UN NOUVEL élan pour l’action politique et de santé publique est venu ; il faut traduire dans la loi et dans les faits ce qui est recommandé par les experts », lance dans l’éditorial du « BEH » le Pr Yves Martinet, président d’honneur de l’Alliance contre le tabac.

En France, le tabac tue 73 000 personnes chaque année, 200 par jour. Il est responsable de 10 % de la mortalité. Plus de 3 % du budget annuel de l’assurance-maladie couvrent les dépenses de soins des 3 affections longue durée liées au tabagisme.

« Cette situation n’est pas une fatalité », assure le Pr Martinet. Les recommandations de la convention cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac (CCLAT), ratifiée par 176 pays dont la France en 2004, ont fait leurs preuves. L’Angleterre recense 21 % de fumeurs, les États-Unis et l’Australie, 15 %, le Canada, 13 %. En France, 34 % des adultes fument.

Lieux publics sans tabac.

Bien que la France fasse figure de mauvais élève dans la lutte anti-tabac, l’interdiction de fumer dans les lieux de travail et de passage, les écoles et hôpitaux en 2007, puis les lieux de convivialité en 2008 a été « très efficace ». Dans le cadre du projet « International tobacco control in France » lancé en 2006, une cohorte de 1 500 fumeurs et 500 non-fumeurs a été sondée à 3 reprises : avant la mise en place de la loi (décembre 2006 à février 2007), à l’automne 2008 et à l’automne 2012.

« L’interdiction de fumer dans les lieux publics en France a, de fait, conduit à une diminution significative du tabagisme observé dans tous les sites », constatent les auteurs. Avant l’entrée en application de la loi, 65 % des personnes interrogées voyaient des gens fumer dans les restaurants, et près de 96 % dans les bars. Ils n’étaient plus que 2,3 % à faire ce constat dans les restaurants en 2008, et 1,4 % en 2012. Le pourcentage est descendu à 3,7 % dans les bars en 2008.

La loi n’a pas seulement changé les comportements. Elle a aussi fait bouger les mentalités. La part de fumeurs opposés au tabagisme dans les restaurants a explosé (de 54 % avant 2007 à plus de 87 % en 2012). De même dans les bars : moins de 30 % soutenaient l’interdiction avant son entrée en vigueur. Elle est désormais plébiscitée par 78 % des fumeurs.

Le tabagisme ne s’est pas déporté au domicile, comme on aurait pu le craindre. Les Français se disent prêts à adopter de nouvelles initiatives, comme l’interdiction de fumer dans les voitures en présence d’enfants.

Protection des mineurs : échec.

L’interdiction de vendre du tabac aux moins de 18 ans, actée en 2009, se solde en revanche par un échec. Les adolescents sont toujours plus nombreux à expérimenter le tabac. En 2011, 23 % des jeunes de 16 ans et 32 % des 17 ans fument quotidiennement (contre respectivement 17 et 29 % en 2007).

En cause ? Les buralistes, qui respectent trop peu la loi et ruinent sa crédibilité.

Selon une étude qualitative de l’Observatoire française des drogues et des toxicomanies (OFDT), sur 44 mineurs de 12 à 17 ans en 2012, ils sont 6 sur 10 à déclarer qu’ils pourraient très facilement se procurer des cigarettes. Pas besoin d’échafauder des stratégies pour contourner la loi : tant que leur apparence « passe », ils ne rencontrent aucun refus. Au pire, ils se passent le mot pour aller chez des buralistes complaisants ou confient la commission à un plus grand. Seul le coût leur paraît un obstacle.

Les auteurs de l’OFDT affirment pourtant qu’au regard de la littérature internationale, cette interdiction pourrait porter ses fruits. Mais en France, en 2011, près de 60 % des débits vendaient sans hésiter du tabac aux mineurs. Ils préconisent des contrôles 4 à 6 fois par an, sur tout le territoire, moins pour réprimer que pour sensibiliser les buralistes.

Paquet neutre et sevrage.

L’Australie est le seul pays à avoir adopté au 1er janvier 2012 le paquet de cigarette neutre, préconisé par l’OMS. Il a le mérite d’être indolore financièrement pour l’État. Mais est-il vraiment efficace ? Oui répond la chercheuse de l’École des hautes études en santé publique Karine Gallopel-Morvan, à partir des recherches académiques menées depuis 1990.

Le paquet neutre améliore la lisibilité des avertissements, mieux mémorisés, et non contrecarrés par un packaging séduisant. Il barre la route à toute désinformation des consommateurs et ruine le rôle de marqueur social du paquet. Il va aussi à l’encontre des stratégies de marketing des industriels. Enfin la neutralité du paquet a un impact sur les comportements : il est moins choisi ou acheté par les novices, et suscite chez les autres l’idée de s’arrêter.

Autre piste soumise aux décideurs politiques, la prise en charge à 100 % du sevrage tabagique par l’assurance-maladie. Depuis 2007, chaque personne qui décide d’arrêter de fumer touche un forfait annuel de 50 euros. Mais le reste en charge reste très lourd et la mesure n’a eu aucun impact sur la prévalence du tabagisme.

Prise en charge du sevrage.

Karine Chevreul (AP-HP) et coll. ont étudié l’impact d’une prise en charge intégrale du sevrage (médicaments et substituts nicotiniques), associé à un suivi thérapeutique, en comparant deux cohortes fictives de 1 000 fumeurs, l’une bénéficiant du forfait de 50 euros, l’autre des 100 %.

Le taux de sevrage dans la première est de 2,6 % contre 7,04 % dans la seconde. Quant aux coûts, ils s’élèvent à 64,40 euros pour la première (consultation) et 333 euros pour la seconde (plusieurs consultations et traitements).

Il en résulte un ratio coût-efficacité incrémental (ICER) par année de vie gagnée avec une prise en charge totale de 1 786 euros. L’ICER obtenu est bien moindre que celui du programme de sevrage au Royaume-Uni (225 000 euros/AVG). Il est aussi moindre que celui des statines dans la prévention primaire des maladies cardio-vasculaires chez les diabétiques (2 579 euros/AVG).

Cette option est qualifiée de « très coût efficace, et ce d’autant plus qu’il ne tient pas compte des coûts potentiels évités par la diminution de prévalence des maladies liées au tabac », précisent les auteurs. Sans compter que si l’assurance-maladie s’engageait dans cette stratégie, le prix des médicaments serait renégocié à la baisse (-30 %, avancent les auteurs).

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9246