Sans surprise, les thérapies ciblées et l’immunothérapie sont toujours les invitées d’honneur pour cette édition du congrès de l’Asco. Dans le cancer bronchopulmonaire en particulier, les évolutions majeures entreprises ces dernières années se traduisent concrètement, avec une amélioration notable du devenir des patients. « En présence d’une addiction oncogénique, les générations successives de thérapies ciblées changent complètement l’histoire naturelle de la maladie, permettant aux patients de vivre de nombreuses années avec des traitements moins lourds », explique le Dr Maurice Pérol, spécialiste des tumeurs thoraciques (centre Léon-Bérard, Lyon).
Bouleversement dans le stade métastatique
C’est notamment ce qu’a illustré l’essai de phase 3 Crown dans le cancer du poumon de stade avancé ALK+, naïf de tout traitement, grâce au lorlatinib, un inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) de 3e génération. Il possède une action sur la quasi-totalité des mutations de résistance aux ITK de générations précédentes, dont la mutation G1202R, avec un passage accru de la barrière hématoméningée, pour un meilleur contrôle cérébral.
Dans le cancer bronchopulmonaire non à petites cellules ALK réarrangé (survenant majoritairement chez des non-fumeurs), les premiers résultats de l’essai Crown avaient déjà montré sa supériorité par rapport au crizotinib en première ligne. Le suivi actualisé à cinq ans (296 patients inclus, 104 centres dans 23 pays) le confirme : après un suivi médian de 60,2 mois pour le lorlatinib et de 55,1 mois pour le crizotinib, le taux de survie sans progression à cinq ans est de 60 [51-68] % sous lorlatinib, contre 8 [3-14] % sous crizotinib. Soit une réduction de 81 % du risque de progression de la maladie ou de décès.
Quant au délai médian de progression intracrânienne, il est non atteint sous lorlatinib, contre 16,4 [12,7-21,9] mois sous crizotinib : HR = 0,06 [0,03-0,12]. Habituellement, entre 25 et 40 % des patients développent des métastases cérébrales à 24 mois. « Jusqu’à présent, aucun traitement ciblé en monothérapie n’avait jamais conduit à une survie sans progression de plus de 60 % à cinq ans dans une forme métastatique, dans aucun type de tumeur, y compris les cancers du poumon », souligne le Dr Pérol.
Aucun traitement ciblé seul n’avait enregistré de tels résultats dans une forme métastatique
Dr Maurice Pérol
Le profil de toxicité est conforme aux attentes : les effets indésirables de grade 3/4 ont concerné 77 % des patients sous lorlatinib et 57 % des patients sous crizotinib. « La réticence à prescrire ces traitements est en partie due aux effets secondaires neurologiques précoces (40 % des patients, avec notamment des troubles cognitifs, psychoses hallucinatoires, épisodes dépressifs), commente le Dr Pérol. Quitte à rétrograder vers un traitement de 2e génération (alectinib et le brigatinib), je pense qu’il sera difficile aujourd’hui de ne pas proposer le lorlatinib en première ligne, afin d’offrir à la fois une survie sans progression accrue et une protection cérébrale. »
En stade localement avancé
L’étude Laura démontre également l’apport des thérapies ciblées sur l’histoire naturelle de la maladie, lorsqu’elle est localement avancée et non opérable (stade 3 non résécable), et traitée par chimioradiothérapie, ici dans le cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC) dépendant d’une mutation de l’EGFR. Avec environ 13 à 15 % des adénocarcinomes qui en dépendent, cette mutation est la plus fréquente des addictions oncogéniques.
Laura évalue, pour la première fois en phase 3 dans ce contexte, une thérapie ciblée, l’osimertinib (ITK de l’EGFR de 3e génération) après radiochimiothérapie. Par rapport au placebo, la médiane de survie sans progression (SSP) est améliorée : 39,1 versus 5,6 mois ; HR = 0,16 [0,10, 0,24] ; p < 0,001. Soit un taux de SSP à 24 mois de 65 vs 13 %.
« C’est la première fois qu’un ITK-EGFR montre un tel bénéfice dans ce contexte, avec des implications qui changent la pratique », souligne le principal auteur, Suresh Ramalingam (Atlanta, Géorgie). Cependant, des critiques ont été formulées sur cette présentation, dont un bras contrôle anormalement peu performant, l’absence de détails sur la chimioradiothérapie et sur le bilan réalisé à l’inclusion ne pouvant exclure la présence de métastases.
Une autre addiction oncogénique, Kras, en particulier la mutation G12C, était ciblée par l’essai Krystal-12, qui comparait l’adagrasib, inhibiteur spécifique de Kras-G12C, au docétaxel chez des patients fumeurs atteints d’un CPNPC localement avancé ou métastatique, en échec de chimiothérapie et immunothérapie. « La médiane de survie sans progression passe de 3,8 à environ 5,5 mois, une amélioration relativement modeste, mais avec l’avantage de la voie orale évitant par ailleurs les risques infectieux, ainsi que la perte de cheveux liés à la chimiothérapie », fait remarquer le Dr Pérol.
Une immunothérapie dans le CPPC localisé
Hors addiction oncogénique, plusieurs présentations à l’Asco 2024 ont confirmé les bons résultats de l’immunothérapie, « non seulement dans les cancers non à petites cellules (CPNPC) mais aussi dans ceux à petites cellules (CPPC, 15 % des cancers du poumon), y compris aux stades localisés, où elle permet d’augmenter la proportion des patients contrôlés, et probablement guéris, résume le Dr Maurice Pérol (Lyon). C’est d’ailleurs la première fois, avec l’essai Adriatic, qu’une immunothérapie est associée à une amélioration de la survie dans les CPPC localisés au thorax. C’est également l’illustration que, finalement, l’immunothérapie est d’autant plus efficace qu’on l’introduit précocement dans l’histoire naturelle de la maladie ».
L’immunothérapie est d’autant plus efficace qu’on l’introduit précocement dans l’histoire naturelle de la maladie
Dr Maurice Pérol
C’est en partie avec l’essai de phase 3 Adriatic que le durvalumab (anticorps monoclonal anti-PDL1, qui bloque ses interactions avec PD1 et CD80), qui constituait déjà l’immunothérapie de consolidation standard après radiochimiothérapie pour le CPNPC, devient aussi la référence dans le CPPC localisé (stade 1 à 3).
Après la radiochimiothérapie, les patients sans progression tumorale ont été randomisés entre durvalumab + placebo, durvalumab + trémélimumab, ou double placebo jusqu’à progression tumorale, toxicité inacceptable, ou suivi de deux ans. La SSP médiane était de 17 mois sous durvalumab, vs 9 sous placebo (HR = 0,76 ; p = 0,02), soit une réduction du risque de décès de 24 %, et un taux de SSP à deux ans de 46 vs 34 %. De même, la survie globale médiane était de 56 vs 33 mois en médiane : HR = 0,73, p = 0,01. Le taux de survie globale à deux ans était de 68 vs 58 %, avec autant d’effets secondaires de grade 3 ou plus dans les deux bras, soit près de 24 %.
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