Pr Fabrice André, directeur de la recherche à Gustave Roussy

« La détection et la prise en charge précoce des cancers, c’est la grande évolution à venir »

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Publié le 09/04/2021
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Prise en charge précoce, accès aux nouvelles technologies et aux traitements personnalisés, le Pr Fabrice André, directeur de la recherche à Gustave Roussy évoque les perspectives pour les années à venir.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Quelles sont les grandes évolutions à attendre dans la prise en charge du cancer ?

Pr FABRICE ANDRÉ : Il y a trois axes de progrès dans le domaine du cancer. Le premier, celui qu’on pousse depuis 30 ans, consiste à comprendre les mécanismes moléculaires à l’origine d’un cancer pour mieux les bloquer. L'axe d'amélioration, outre la découverte de nouvelles cibles, est la formulation des médicaments : plus la survie des patients est améliorée, plus la durée de prise de traitement est longue et plus on s’achemine vers une situation de surcharge des hôpitaux de jour. Il faut donc des médicaments qui puissent se prendre en dehors des hôpitaux.

Par exemple pour les anticorps monoclonaux, des données préliminaires sont en faveur du passage à une forme sous-cutanée. Il y a aussi les thérapies issues des biotechnologies comme les anticorps conjugués, qui n’ont pas de toxicité particulière et vont remplacer les chimiothérapies traditionnelles. En ce qui concerne les CAR-T cells et les anticorps bispécifiques, tant qu’ils ne sont pas démocratisés, ils devront être faits dans les centres spécialisés et posent la question de la production industrielle.

Le troisième axe est le plus important pour moi : il s’agit de la détection et de la prise en charge précoce. C’est là le plus grand changement à venir.

Sous quelle forme envisager la prise en charge précoce ?

Actuellement, les acteurs de la prévention sont les tutelles et les médecins généralistes. Notre analyse, c’est que la prise en charge doit impliquer un troisième intervenant qui est l’hôpital. Mais il s’agirait d’un hôpital dans une forme moderne : un poste avancé léger où un traitement est administré avant que le cancer n’apparaisse.

À Gustave Roussy, nous avons un projet d’intervention pour que les patients qui ont plus de 10 % de risque de cancer entrent dans un parcours de soins visant à moduler ce risque. À terme, ce parcours contiendra un dépistage précoce du cancer par la détection de l’ADN tumoral circulant. En cas de positivité du test, un traitement prophylactique sera administré.

Les techniques de détection sont-elles suffisamment au point pour cela ?

Aujourd’hui, la détection de lésions précancéreuses par l’ADN circulant relève encore du domaine de la recherche clinique, mais les résultats laissent penser que les premières applications concrètes vont arriver. Les questions à se poser c’est : quel est le niveau de preuve dont on a besoin pour traiter ? Et avec quoi ?

Dans les tumeurs non infiltrantes de la vessie, par exemple, est avancée actuellement la prévention des cancers par l’immunothérapie. On pourrait imaginer qu’à un stade très précoce, on puisse se limiter à quelques injections.

Et le niveau de risque ne s’apprécie pas de la même manière selon qu’on parle de cancer du sein ou du poumon. Il faut travailler par famille de cancer.

Ces nouvelles stratégies thérapeutiques obligent-elles à recourir à de nouveaux types d’examens, par exemple le séquençage du génome entier des tumeurs ? Ces technologies sont-elles facilement accessibles ?

Aujourd’hui, le problème n’est pas technologique. Il se situe au niveau des remboursements : il n’y a pas, en France, de circuit simple pour les tests biologiques. Ensuite, il y a la question de l’interprétation de ces tests pour apprécier le risque de cancer, ce qu’on ne sait pas faire. C’est là que la biotechnologie et l’intelligence artificielle peuvent fournir l’analyse qui rend service aux patients.

Il y a aussi une question de plus long terme : trouver un moyen de décortiquer la biologie du malade pour manufacturer les traitements spécifiques à partir des biothérapies. Sauf qu’actuellement, il n’y a pas les outils réglementaires pour y parvenir. Les médicaments doivent prouver leur efficacité et leur toxicité pour que nous ayons le droit de les utiliser : c’est compliqué avec un médicament qui change à chaque patient. Il faut réfléchir aussi à la question de savoir si un centre de cancérologie peut facturer un médicament personnalisé.

Toujours au sujet du traitement personnalisé, vous avez évoqué la nécessité d’un écosystème qui facilite le transfert des dossiers et des échantillons biologiques. Pouvez-vous développer ?

Les spécialistes des sciences sociales constatent que la diffusion des savoirs complexes nécessite la proximité entre cliniciens, chercheurs et industrie. Ensuite, les avancées d’aujourd’hui se fondent sur l’interdisciplinarité et coûtent de plus en plus cher. Il va donc falloir créer des « masses critiques » de plateformes en mesure d’investir dans l’acquisition de nouvelles technologies et d’attirer les talents.

D’après les analyses qualitatives des start-up, on constate que celles à proximité des centres académiques fonctionnent le mieux. Citons les modèles de la Silicon Valley ou du biocluster de Boston, aux États-Unis. Pour parvenir à ce résultat, il faudra en passer par la création de nouvelles structures juridiques, sans que cela se fasse aux dépens de celles existantes.

Propos recueillis par D.C.

Source : Le Quotidien du médecin