Tatouages, piercing et autres modifications corporelles

Des risques pour la santé parfois sous-estimés

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Publié le 26/06/2017
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Crédit photo : AFP

L’Académie nationale de pharmacie (ANP) a fait le point sur les décorations du corps humain et les risques de celles-ci pour la santé, lors d’une séance thématique. Des experts ont présenté l’état des connaissances sur diverses pratiques de modifications corporelles, ainsi que les risques associés et les précautions à prendre. Les académiciens ont aussi présenté des recommandations pour limiter les effets secondaires.

Tatouages, des réactions imprévisibles

On compte en France 1 tatoueur pour 22 600 personnes (contre 1 pour 3 000 en Suède) et on évalue à 13-14 % le nombre de Français majeurs tatoués (parmi eux, 27 % ont moins de 35 ans). Les complications ne sont pas la norme puisqu’environ 6 % des tatouages sont suivis de problèmes de santé, d’après une étude allemande datant de 2010. Les médecins peuvent d’ailleurs remplir une fiche vigilance de l’ANSM en cas d’effet indésirable. Ceux-ci sont extrêmement variés : démangeaisons, allergies, infections…

« Il n’y a pas de signal faisant craindre un cancer de la peau suite à un tatouage, mais un nævus peut être masqué par le dessin, entraînant un retard de diagnostic, raison pour laquelle il ne faudrait pas les tatouer », précise le Dr Nicolas Kluger, dermatologue au CHU d’Helsinki en Finlande, et qui tient la consultation « complication des tatouages » à l’hôpital Bichat-Claude Bernard (AP-HP). « Par ailleurs, les encres rouges entraînent, sans que l’on sache pourquoi, davantage de complications de type allergique. » Les études toxicologiques d’évaluation des risques des tatouages sont difficiles à mener. « De nombreux facteurs entrent en compte : la dose (qui peut aller de 1 g pour un tatouage sur l’avant-bras à 40 g pour le corps entier), l’âge de la personne et son exposition au soleil, la couleur des encres utilisées (la réaction sera différente selon la nature chimique de celles-ci) », indique Hervé Ficheux, membre de l’ANP. De plus, la voie d’administration est peu usuelle pour le toxicologue, les encres sont composées d’un mélange (colorants, mais aussi liants, conservateurs…) dans lequel on trouve des impuretés, et les méthodes d’études pour la toxicité ne sont pas forcément adaptées (une peau reconstituée n’est que de peu d’usage pour un produit injecté, et la France a interdit tout test sur animaux ayant pour finalité l’évaluation du risque toxicologique du tatouage).

Les principaux risques sont liés à un mauvais geste du tatoueur, et au non-respect des soins par le client. La réglementation en la matière est pourtant assez stricte en France : « Les tatoueurs doivent avoir suivi une formation, qui ne peut être délivrée que par un organisme habilité, aux conditions d’hygiène et de salubrité d’une durée minimale de 21 heures », précise Patrick Fallet, membre de l’ANP. Par ailleurs, ces professionnels doivent se déclarer à la préfecture et respecter les règles relatives aux déchets à risque infectieux (DASRI). « Chaque client doit être informé des risques auxquels il s’expose et cette information est également affichée dans les locaux », ajoute Patrick Fallet. Un tatouage (tout comme un piercing) est par ailleurs une contre-indication (d’une durée de quatre mois) au don de sang.

Notons que le maquillage permanent est une forme de tatouage, et comme ce dernier, « constitue une effraction de la peau, avec les risques afférents », souligne Patrick Fallet. « Et si les esthéticiennes qui le pratiquent sont soumises aux mêmes réglementations que les tatoueurs et pierceurs, le suivi de ces règles ne semble pas aussi strict, en particulier en termes d’information donnée aux clientes. »

Le Dr Kluger ajoute enfin que contrairement à une idée reçue, il ne faut pas réaliser un petit tatouage « test » dans le but de vérifier qu’il y aurait une réaction allergique : « Il ne s’agit pas d’un protocole standardisé, le délai de réaction est imprévisible, et une sensibilisation est toujours possible. »

Bronzer sans soleil… et développer un mélanome

Les cabines à UV, classées cancérogènes de classe I par l’Organisation mondiale de la santé, sont bien connues pour le risque de mélanome qu’elles entraînent. Pourtant, d'après une étude du « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » menée en 2012, 13,4 % des Français en ont déjà utilisé au moins une fois au cours de leur vie, et un tiers s’expose plus de dix fois par an. « L’estimation est en France de 19 à 76 morts par an liées à cette pratique, pour 374 cas de mélanome », déplore le Dr Kluger. Mais le bronzage fait aussi des ravages, sans même s’exposer aux UV : une substance appelée « Melanotan », ou « Barbie drug » (un analogue synthétique de l’alpha-melanocyte-stimulating hormone, α-MSH), non testée, non régulée, de dosage inconnu, stimule les mélanocytes et entraîne une pigmentation rapide et majeure de la peau. « On observe de ce fait une modification ou une apparition de nævus, parfois dysplasiques, et même des cas de mélanomes sur des nævi pré-existants », indique le Dr Kluger.

Saint-Sébastien, patron des pierceurs

Le piercing entraîne des complications non spécifiques en termes de douleur, de saignement, de gonflement, d’infections locales ou systématiques, d’allergies au métal utilisé… Des réglementations spécifiques existent, puisqu’il est contre-indiqué de réaliser un piercing en cas de maladie de la coagulation, et que la présence d’un parent est nécessaire pour un mineur (chez lequel un piercing des tétons ou des parties génitales est interdit). Des risques particuliers sont à prendre en compte selon la localisation : un piercing au nombril doit être retiré avant une grossesse pour éviter une déchirure ; et certains, au niveau des lèvres ou de la langue peuvent entraîner une récession gingivale, ou casser les dents à force de contacts répétés. Ils doivent aussi être retirés avant une intubation, un geste que le médecin doit donc apprendre à réaliser !

Respecter la liberté de chacun

L’embellissement du corps a toujours été une recherche pour l’homme comme la femme, et les décorations corporelles sont légion. Il convient de relativiser nos réactions face à celles que nous connaissons moins. S’il est important « d’attirer l’attention des consommateurs sur les risques encourus », insiste Patrick Fallet, « n’oublions pas que nous sommes dans le domaine des libertés et des tendances de mode et sociales : on perce ainsi facilement les oreilles des toutes petites filles en France ».

Fabienne Rigal

Source : Le Quotidien du médecin: 9592