Mutations alimentaires au Japon

Entre traditions et injonctions nutritionnelles

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Publié le 27/05/2019
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Crédit photo : Phanie

Aujourd'hui, le menu classique nippon partagé en famille, suit la règle de l'ichiju sansai : il est composé d'une soupe, de riz et de trois accompagnements différents comprenant, notamment, des légumes variés, du poisson et du soja. « Au Japon, il existe un véritable mythe autour de l'ichiju sansai, développé depuis les années 1980. Ce repas est considéré comme le modèle alimentaire quotidien de référence, un modèle traditionnel et sain. Les recommandations diététiques – prônant une alimentation bonne pour la santé et la valorisation des femmes au foyer – ont contribué à renforcer ce mythe », affirme Haruka Ueda, chercheur à l'université de Kyoto. De fait, ces dernières années, l'ichiju sansai a été promu dans l'ensemble du pays : livres de cuisine et cantines scolaires proposent largement ce menu aux nutriments variés.

Une déstructuration des repas…

Pour répondre aux contraintes des familles contemporaines, une version simplifiée de l'ichiju sansai a vu le jour : l'ichiju issai. Celle-ci comporte aussi une soupe et du riz, mais un seul accompagnement. « Pour de nombreuses femmes avec enfants, la valorisation de l'ichiju sansai a été vécue comme un fardeau. D'après la société nippone, une bonne mère devait préparer ce menu complexe au quotidien, pour sa famille. Celles qui ne cuisinaient pas ou qui n'avaient pas le temps de préparer les multiples accompagnements de l'ichiju sansai ont été largement stigmatisées. La mise en valeur récente de l'ichiju issai, depuis 2016, a été vécue comme une libération pour les femmes », explique Haruka Ueda. Aujourd'hui, l'ichiju sansai est davantage réservé aux plats de fête.

Progressivement, la cuisine du quotidien s'est simplifié mais elle s'est aussi déstructurée. Exemple frappant : les jeunes générations consomment de plus en plus un plat unique (ramen, sandwich, pain, bol de riz accompagné de tempura…), riche en glucides complexes et comprenant peu de vitamines et minéraux. « Ces modes d'alimentations conduisent, au Japon, à de nouvelles formes de malnutrition », déplore Ueda Haruka.

… et une surconsommation de graisses

Dans les années 1960, l'alimentation des Japonais était trop riche en glucides complexes : la portion de riz, comparée aux autres accompagnements tels que les protéines et les légumes, était trop importante. « Dans les années 1980, le modèle de l'ichiju sansai avait eu le mérite de rétablir l'équilibre alimentaire entre les glucides complexes, les protéines et les graisses. Désormais, la déstructuration des repas et la consommation plus systématique de viandes (à la place du poisson) entraînent une surconsommation de graisses, détaille Haruka Ueda.

« En parallèle, la portion de riz consommée au quotidien a beaucoup diminué, sous l'impulsion de nouvelles recommandations nutritionnelles alarmistes prônant une diminution massive des glucides complexes. Cela induit une perte de repères. Aujourd'hui, une grande partie des mangeurs nippons ne savent plus comment se nourrir pour allier plaisir, tradition et santé. Au Japon, la mise en place de nouveaux repères nutritionnels, simples et accessibles à tous, s'impose », prévient le spécialiste.

Entretien avec Haruka Ueda, 13 e école de la Société française de nutrition

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Nutrition