Faut-il abandonner la cible du LDL-cholestérol?

Le débat est ouvert

Publié le 08/09/2014
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Crédit photo : PHANIE

« Nous sommes certes face à un sujet complexe qui mérite encore d’être débattu. Mais le message qu’on peut faire passer aux généralistes, c’est quand même que le bénéfice cardiovasculaire reste directement corrélé à la baisse du LDL-cholestérol. Et il vaut mieux garder en tête un objectif de LDL-cholestérol quand on prescrit une statine à un patient ayant un diabète de type 2 », explique le Pr. Bruno Vergès, chef du service d’endocrinologie-diabétologie du CHU de Dijon et secrétaire adjoint de la Société française d’endocrinologie (SDE).

Ce débat sur le seuil de LDL-cholestérol chez les patients sous statine a été abordé lors du congrès de l’ADA.Avec, au centre des discussions, les recommandations émises en novembre 2013 par les deux sociétés savantes américaines de cardiologie : the American College of Cardiology (ACC) et the American Heart Association (AHA). Ces deux instances ont alors présenté de nouvelles recommandations préconisant la mise sous statines de quatre catégories de patients : 1) les patients avec des antécédents cardiovasculaires ; 2) les patients avec un LDL-cholestérol supérieur à 1,90 g ; 3) les patients diabétiques entre 40 et 75 ans avec un LDL-cholestérol compris entre 0,70 et 1,90 g ; 4) tous les patients ayant un LDL entre 0,70 et 1,90 g et un risque cardiovasculaire, estimé sur dix ans, supérieur à 7,5 %.

« Ces deux sociétés savantes ont mis en avant le fait que toutes les études d’intervention plaidaient pour qu’on agisse dans cette direction. Mais elles ont souligné qu’il était judicieux de faire certaines distinctions à partir du moment où on distingue les caractéristiques des patients. Chez le patient diabétique, ayant un antécédent cardiovasculaire, il faut plutôt donner un traitement intensif par statine. Tandis qu’on peut se contenter d’un traitement modéré chez un patient diabétique avec un LDL-cholestérol entre 0,70 et 1,90 g et un risque cardiovasculaire peu élevé », explique le Pr Vergès.

Ces recommandations reviennent à mettre un très grand nombre de patients diabétiques sous statines. « Pratiquement, tous les sujets avec un diabète devraient être traités par statine. Ces nouvelles recommandations ne vous plaisent peut-être pas mais ce que nous disent les preuves issues de l’evidence-based médecine », a notamment expliqué le Pr Robert H. Eckel (université du Colorado, Denver).

Mais ce qui a surtout fait débat lors du congrès de l’ADA est le fait que l’ACC et l’AHA préconisent l’abandon des valeurs-cibles de LDL-cholestérol, aucun essai randomisé n’ayant prouvé qu’il était pertinent de se référer à un seuil plutôt qu’à un autre. Un point sur lequel Henry Ginsberg (université Colombia, New York) a fait part de son désaccord, jugeant ces recommandations trop restrictives. Selon lui, elles ignorent notamment le fait qu’il vaut mieux un LDL-cholestérol faible plutôt qu’élevé. Ginsberg a aussi déploré que ces recommandations ne se prononcent pas sur les traitements additionnels ou alternatifs aux statines. « Il y a des gens qui ne peuvent pas prendre une dose élevée de statines ou qui ne vont pas bien répondre à une dose élevée. Dans ce cas, il faut ajouter un autre traitement. Les nouvelles recommandations essaient de rendre les choses trop simples », a-t-il estimé.

De son côté, le Pr Vergès estime plutôt justifiés les arguments de Ginsberg. « Certes, les données des études d’intervention ne permettent pas d’avoir des preuves formelles et de conclure sur l’intérêt d’un seuil et d’un objectif de LDL-cholestérol, estime-t-il. Mais le fait de supprimer cet objectif entraînerait à mon avis un risque : celui de donner au médecin une sorte de « bonne conscience », en disant qu’il a mis son patient sous statine et que tout va bien. Comme lorsqu’on donne un peu d’aspirine à un patient après un accident cardiovasculaire. Mais dans ce cas, avec l’aspirine, on est peu près certain qu’il y aura un effet. Pour les statines, ce n’est pas le cas. Si la dose est insuffisante, le LDL baissera peu ».

Selon le Pr Vergès, le pragmatisme conduit à ne pas abandonner tout objectif de LDL-cholestérol. « Le risque, sinon, est qu’on se retrouve avec des traitements mal conduits. Il est évident qu’au moins jusqu’à un seuil de 0,60 g, plus on baisse le LDL-cholestérol, meilleure est la situation pour le risque cardiovasculaire. C’est un aussi un élément permettant de favoriser la compliance du patient qui pourrait difficile comprendre qu’on lui donne un traitement sans jamais rien vérifier ».

Le Pr Vergès ajoute que de nombreuses études, menées au cours des dix dernières années, ont montré que beaucoup de patients étaient insuffisamment traités par statines. « Ces dernières années, les choses ont un peu changé en prévention secondaire car les cardiologues sont désormais très attentifs à cette question. Mais en prévention primaire, beaucoup de patients ont encore une petite dose de statines et un LDL élevé alors qu’ils ont un risque cardiovasculaire augmenté du fait de leur histoire familiale. Et on pourrait améliorer leur pronostic en augmentant leur dose de statines ».

Ce débat n’est toutefois pas tranché en France. « En novembre, nous allons, avec la Société française d’endocrinologie, faire une discussion critique de ces recommandations avec les autres sociétés savantes concernées ».

D’après un entretien le Pr Bruno Vergès, chef du service d’endocrinologie-diabétologie du CHU de Dijon et secrétaire adjoint de la Société française d’endocrinologie (SDE).

Antoine Dalat

Source : Le Quotidien du Médecin: 9346