Féminin et masculin

L’histoire a façonné les représentations autour de la viande

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Publié le 04/03/2019
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Crédit photo : Phanie

Dans l’aristocratie médiévale, les hommes vont à la guerre, ils pratiquent la chasse. Ces activités se prolongent à table. « Le dernier précepteur d’un jeune aristocrate, celui qui parfait son éducation, est le professeur de découpage. Celui-ci apprend notamment au jeune homme à découper la viande à l’épée, en s’appuyant sur les connaissances transmises par le professeur d’escrime. Le maniement des armes, y compris à table, devient alors un moyen d’accéder au pouvoir », souligne Jean-Pierre Poulain, sociologue, anthropologue et spécialiste de l’alimentation (Université de Toulouse).

Dans la société paysanne, le rôle des hommes et des femmes et leur rapport à la chair animale est également bien établi. « Les hommes s’occupent des gros animaux : ils tuent le cochon à la ferme, amènent les bêtes à l’abattoir… Les femmes, quant à elles, sont dédiées aux petites bêtes : elles tuent le lapin ou le canard, par exemple », ajoute Jean-Pierre Poulain.

Un confort supplémentaire après-guerre

Après la seconde guerre mondiale, manger de la viande tous les jours devient un signe de progrès social, un marqueur de bien-être. « La société qui sort de la guerre en 1945 est rurale. La population mange entre quatre et cinq repas par jour. Ils sont avant tout constitués de soupe, dans laquelle il y a un peu de viande, de fromage ou de pain. La viande n’est servie comme plat principal que lors de moments exceptionnels (mariages, fêtes…) », indique Jean-Pierre Poulain.

Petit à petit, cette société prend pour modèle les 8 heures de travail par jour, 40 heures par semaine : la semaine du fonctionnaire devient un modèle à atteindre. « Il s’agit d’un modèle où l’homme travaille, il rentre à midi pour déjeuner pendant 2 heures, signe du progrès social. Les journées comprennent 3 repas, chacun avec une entrée, un plat et un dessert », explique Jean-Pierre Poulain.

Mais, dès les années 1970, la pause méridienne se réduit. La restauration collective se développe, « avec une particularité française : le restaurant d’entreprise, où chacun peut continuer à manger un repas structuré (entrée, plat, dessert) », explique le spécialiste.

Malgré sa démocratisation, la viande reste encore un marqueur de repas d’exceptions. Et même consommée plus largement, elle s’inscrit toujours en France dans une idée de partage, de découpage, de commensalité. Elle y est consommée saignante, chez les hommes comme chez les femmes.

L’aliment-santé, pour les femmes avant tout

Dans un ouvrage rédigé en 1968, Jean Trémolières, considéré comme l’un des pères de la nutrition moderne en France, met en exergue les aliments considérés comme essentiels pour la population. Ils sont différents entre les deux sexes. De fait, si les hommes citent d’abord la viande, puis les légumes, les féculents et les produits laitiers, les femmes, quant à elles, privilégient les légumes ; la viande, les produits laitiers et les féculents arrivant bien après. « Ces préférences sont toujours d’actualité (lire ci-contre). Aujourd’hui, elles s’expliquent aussi par le fait que les femmes sont plus ouvertes aux discours nutritionnels : elles s’intéressent davantage aux aliments bons pour leur santé. Elles sont très attentives aux messages de prévention des maladies chroniques par le biais de l’alimentation. Les médias jouent, enfin, un rôle prescripteur très important auprès des lectrices », conclut Jean-Pierre Poulain.

Exergue : Le restaurant d’entreprise est une particularité française

Entretien avec Jean-Pierre Poulain, sociologue, anthropologue et spécialiste de l’alimentation (Université de Toulouse)

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Nutrition