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Dossier

JABD 2022

Pour ou contre le jeûne intermittent ?

Par Hélène Joubert - Publié le 14/02/2022
Pour ou contre le jeûne intermittent ?


TanyaJoy/adobe stock

La Journée Benjamin-Delessert 2022, dédiée à la recherche en nutrition (4 février, Paris) a traité cette année deux thèmes d’actualité en rapport avec l’alimentation : les liens entre troubles du goût et de l’odorat – mis en exergue par le Covid – et la pertinence du jeûne intermittent qui séduit de plus en plus. Si le concept pourrait avoir un vrai intérêt métabolique, la prudence reste de mise.

Blogs dédiés, coaching, applications spécifiques… La pratique du jeûne intermittent gagne en popularité, dans une vision de perte de poids, de régulation du métabolisme, d’amélioration de la santé ou encore de longévité. Les personnes se laissent convaincre par son caractère moins contraignant et a priori moins risqué que le jeûne prolongé. Néanmoins, en dépit d’un socle théorique séduisant, rien n’est démontré formellement, avec pourtant des pistes intéressantes vis-à-vis du métabolisme glucido-lipidique, notamment.

Pas plus de 24 heures de jeûne d’affilée

Le principe du jeûne intermittent (JI) est que la personne ne jeûne jamais plus de 24 heures, qu’il s’agisse de restreindre la période d’alimentation sur la journée ou d’alterner jours de diète et d’alimentation. Plusieurs modalités d’applications sont proposées (voir encadré ci-dessous) mais aucune consigne particulière n’est édictée vis-à-vis de la charge calorique globale, ni du choix alimentaire ou encore de la répartition des nutriments, si ce n’est une incitation à se nourrir « sainement ».

Le jeûne intermittent a donc l’avantage de sortir du paradigme de la restriction calorique, stratégie finalement contreproductive pour perdre du poids du fait de la baisse de la dépense énergétique au repos (métabolisme de base). Une étude parmi d’autres a montré qu’après avoir perdu 60 kg en moyenne sur 30 mois, des personnes obèses avaient repris 40 kg en moyenne 6 ans plus tard, mais alors que leurs dépenses énergétiques de repos avaient diminué lors de la phase de perte de poids, elles n’avaient pas ré-augmenté à l’occasion de la reprise de poids. Telle « une cicatrice métabolique avec une adaptation métabolique défectueuse, rendant difficile le maintien de la perte de poids », résume le Pr David Jacobi, qui dirige l’équipe de recherche Mitochondrial diurnal rhythms and metabolic diseases de l’Institut du thorax (Inserm UMR 1 087/CNRS UMR 6 291).

Le jeûne intermittent permet de sortir du paradigme de la restriction calorique

Par ailleurs, sur le plan physiologique, les données fondamentales récentes suggèrent bien l’intérêt du JI « avec élucidation de mécanismes moléculaires et cellulaires impliquant l’autophagie, indique David Jacobi, la biogenèse mitochondriale, le métabolisme glucido-lipidique, la survie cellulaire ou la baisse de l’inflammation. »

Quelle qu’en soit la formule, le jeûne intermittent est fondé sur le fait que la temporalité de l’alimentation impacterait le métabolisme, ce qui reste cependant à approfondir. Une étude pilote chez des individus avec un profil de syndrome métabolique jeûnant moins de 10 heures par jour a néanmoins montré qu’en réduisant la période de prise alimentaire à 10 heures, on améliorait des paramètres du syndrome métabolique (pression artérielle, triglycérides, paramètres inflammatoires, poids…). Une étude en cross over de raccourcissement de la fenêtre alimentaire (alimentation 12 heures/24 heures ou 6 heures/24 heures) avec une fenêtre matinale d’alimentation (8-14 heures) sur 5 semaines a permis d’observer une amélioration de la tolérance à l’insuline, avec un meilleur profil métabolique.

Un impact bénéfique sur la flexibilité métabolique

L’une des hypothèses, de plus en plus étayée, est que le suivi d’un jeûne intermittent permettrait de jouer sur la flexibilité métabolique. En effet, dans l’étude mentionnée plus haut, les individus avec la restriction temporelle matinale avaient une flexibilité métabolique plus importante. Cette dernière est définie par la capacité d’adaptation du métabolisme à la disponibilité des substrats et aux besoins énergétiques. Elle repose sur l’orchestration des mécanismes permettant la détection, le transport, le stockage et l’utilisation des substrats énergétiques principaux : le glucose et les acides gras. En cela, la flexibilité métabolique assure l’adaptation à court terme entre l’état nourri et l’état de jeûne : à l’état nourri, le substrat énergétique privilégié est le glucose. En parallèle, l’augmentation de la concentration plasmatique d’insuline favorise la mise en réserve de l’excès en acides gras et en glucose. Lors du jeûne, la production d’énergie repose sur la mobilisation du glycogène hépatique puis sur les acides gras libérés par le tissu adipeux.

« Initialement décrite dans le contexte de l’obésité et de l’insulinorésistance, l’altération de la flexibilité métabolique est associée à de nombreux désordres liés à l’âge tels que les pathologies cardiovasculaires et le syndrome métabolique », explique le Dr Anaïs Briot (Inserm/UPS UMR1297, Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires, Toulouse). Or « il a été montré que le jeûne intermittent pourrait permettre de maintenir et/ou de réactiver la flexibilité métabolique, c’est-à-dire l’alternance entre la métabolisation des carbohydrates et des lipides », ajoute-t-elle.

À l’inverse, lors d’un jeûne prolongé, « l’utilisation excessive des lipides et des corps cétoniques perturbe l’alternance des substrats énergétiques et la flexibilité métabolique n’est donc pas maintenue », complète David Jacobi.

En fin de compte, résume le chercheur, « les arguments, à approfondir, en faveur du JI sont une efficacité sur les paramètres métaboliques du fait de la réduction de la fenêtre temporelle d’alimentation. Ceci est soutenu par le modèle préclinique et un fort rationnel physiopathologique en faveur de ces interventions, lié à la flexibilité métabolique et faisant appel à l’entraînement de l’horloge circadienne dans les organes périphériques. »

Le rythme alimentaire, un levier thérapeutique potentiel ?

Car le rythme alimentaire, base de la chrono-nutrition, joue un rôle certain et pourrait s’avérer une cible thérapeutique. Les horloges circadiennes des organes périphériques, comme le foie et les intestins, sont synchronisées par l’horloge centrale située dans les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus. Cette synchronisation s’exerce par des voies neuronales, humorales et en régulant le rythme alimentaire. Par exemple, l’horloge hépatique est synchronisée par le rythme alimentaire et régule le métabolisme en accord avec les fluctuations nutritionnelles quotidiennes. D’où la conduite d’essais cliniques de restriction alimentaire temporelle ou Time-­restricted eating (TRE), avec des résultats bénéfiques plutôt lorsque les repas quotidiens sont consommés en 10 heures (contre 14 heures). « L’espoir est de définir des protocoles adéquats pour prévenir ou traiter les maladies nutritionnelles », indique Florian Atger (Université, CNRS, Inserm, Institut du thorax, Nantes).

L’importance du moment de la prise alimentaire dans la santé métabolique est démontrée. « Par exemple, chez des souris rendues obèses par diète grasse, le rythme alimentaire et l’horloge hépatique sont perturbés comme les rythmes quotidiens de gènes régulant le métabolisme hépatique, poursuit le chercheur. De plus, la consolidation du rythme alimentaire des souris pendant la nuit (leur phase de prise alimentaire physiologique) prévient les dysfonctionnements métaboliques sans diminution du nombre de calories consommées. Cette alimentation restreinte dans le temps normalise le métabolisme glucidique et lipidique et la masse graisseuse chez les animaux sous diète grasse. En outre, elle améliore la rythmicité des gènes de la gluconéogenèse et du métabolisme des lipides. Les effets bénéfiques persistent en l’absence d’une horloge circadienne fonctionnelle, démontrant que le rythme alimentaire peut agir directement sur le métabolisme quotidien. »

Le spectre des troubles du comportement alimentaire

Néanmoins, si les pistes de recherche avec le JI sont intéressantes, certains points incitent à la prudence dans le suivi d’un jeûne intermittent, avec tout d’abord un risque bien réel d’induction ou d’entretien de troubles du comportement alimentaire, comme démontré dans plusieurs études récentes. Certaines études suggèrent aussi que, selon la durée du jeûne, « les personnes peuvent souffrir de maux de tête, léthargie ou constipation », indique David Jacobi.

Par ailleurs, l’observance de ce type d’alimentation n’est pas si simple et les résultats sur la perte pondérale ne sont pas au rendez-vous pour l’instant. Plusieurs études randomisées en ouvert, dont Treat (Jama, 2020) constatent d’une part la difficulté à suivre ce type de jeûne alterné et, d’autre part, l’absence de supériorité sur la perte pondérale face à une restriction calorique classique à apport calorique égal, et d’effet sur la composition corporelle. « À ce stade, les études concluent toutes à l’inefficacité des protocoles de jeûne alterné sur la perte pondérale », affirme le Pr Jacobi.

Des modalités variées
La première manière de respecter le jeûne intermittent est le Time-­restricted eating (TRE) ou « fenêtre d’alimentation ». La limite de 12 heures semble consensuelle pour parler de JI. Ses versions les plus populaires sont le régime 8-16, où il est permis de manger entre 9 heures du matin et 17 heures, et le régime 3-21 (alimentation entre midi et 15 heures). Cette flexibilité peut être poussée à l’extrême avec l’Omad (One Meal a Day). Pour sa part, le jeûne alterné est une autre version du JI, avec une alternance jour jeûné/jour avec alimentation, voire le jeûne alterné modifié (ou « restriction calorique intermittente » : un jour sur deux) ou le régime 5/2 (« jeûne périodique » : jeûne deux jours par semaine).