Études en génétique humaine

Des chercheurs américains demandent que l'on supprime le concept de race

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Publié le 11/04/2016
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Crédit photo : PHANIE

Au début des années 2000, à la suite du séquençage du génome humain, les pionniers du génome ainsi que les sociologues américains avaient déjà demandé que la race ne soit plus utilisée comme variable en recherche génétique, constatent les universitaires dans leur requête.

« Quinze ans plus tard (…) le concept de race est un problème persistant qui n’est pas résolu, indique au « Quotidien », Michael Yudell, signataire principal de l’article et professeur associé à l’école de santé publique de l’université Drexel à Philadelphie. C’est pour cela que nous avons constitué un groupe interdisciplinaire de chercheurs pour relancer une fois de plus cette discussion centenaire. »

 

Des méprises en médecine

 

« Les races ne sont pas homogènes génétiquement et leurs limites sont floues, rappelle Michael Yudell qui ajoute que l’utilisation du concept de race crée des méprises considérables pour le public et en médecine. Par exemple, dit-il, la drépanocytose n’est pas une maladie africaine (comme certains le pensent). C’est le résultat d’une adaptation à l’exposition au paludisme. On la retrouve à une fréquence élevée chez les Africains de l’Ouest mais aussi autour du bassin méditerranéen et dans d’autres régions du globe. » Dorothy Roberts, l’une des auteurs de l’appel et professeure de droit, de sociologie et des droits civiques, à l’université de Pennsylvanie précise pour le « Quotidien » : « Des personnes ont reçu un diagnostic erroné parce que des malentendus en recherche ont été incorporés dans la pratique médicale. Les Instituts nationaux (américains) de la santé (NIH) exigent que l’on recrute des participants aux études en fonction de leur race, pour assurer que les critères d'inclusion soient diversifiés. (Les NIH) devraient être clairs sur les raisons pour lesquelles ils exigent la classification par race et expliquer comment cela contribue à l’objectif de la recherche. »

 

Une catégorie parfois utile

 

Les auteurs de l’appel et d’autres scientifiques estiment que la classification raciale peut être utile comme catégorie sociale et politique pour étudier l’effet des circonstances sociales sur la biologie. Morris Foster, vice-président de la recherche à l’université Old Dominion en Virginie, déclare au « Quotidien » : « Si les données génomiques sont seulement utilisées pour des analyses génétiques, les catégories sociales comme la race ne servent à rien. Mais si les données génomiques sont utilisées pour examiner des maladies qui ont à la fois des causes biologiques et sociales ou comportementales, savoir comment les donneurs d’ADN s’identifient personnellement au niveau social peut-être aussi utile que d’avoir leur dossier médical. »

Vence Bonham, conseiller principal du directeur de la génomique et des disparités de santé aux NIH explique au « Quotidien » : « J’applaudis les auteurs de relancer le débat sur l’utilisation que l’on fait de cette information. Historiquement, aux États-Unis, la race est un concept social et politique... Y -a- t-il une façon de parler plutôt de l’ascendance de la population, de ses origines ? » Catherine Lee, professeure adjointe d’études féminines et d’études de genre à l’université Rutgers, dans le New Jersey, commente pour le « Quotidien » : « Les auteurs (de l’appel) suggèrent de remplacer le terme de "race" par "ascendance" ou "population". Ils remarquent que ces termes peuvent aussi causer des problèmes si les scientifiques ne changent pas leur façon de penser au sens de l’ascendance, de la variation génétique et de l’héritabilité… Si les scientifiques abordent leur travail avec l’idée a priori que les catégories raciales sont réelles et distinctes mais utilisent "ascendance" ou "population" au lieu de "race", rien n’aura été changé. » De son côté, Reanne Frank, professeure associée au département de sociologie de l’université d’État de l’Ohio, interrogée par le « Quotidien », insiste : « Je ne suis pas surprise que la race continue à être utilisée comme outil en recherche génétique à cause de ce que nous savons sur la façon dont la connaissance scientifique est produite, grâce à l’histoire des études scientifiques. Une sociologue, Ann Morning, a dit : "Nos représentations de la structure génétique des populations humaines sont elles-mêmes tellement conditionnées par la culture qu’il serait erroné de conclure qu’elles représentent des mesures biologiques objectives qui sont moins un artefact humain que les taxonomies populaires." »

http://science.sciencemag.org/content/351/6273/564.full

Isabelle Trocheris

Source : Le Quotidien du médecin: 9487