Le rôle majeur des interférons de type I

Des variants génétiques et une réaction auto-immune à l'origine de formes sévères de Covid-19

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Publié le 09/10/2020
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Deux études parues dans « Science » montrent qu'un défaut de la réponse immunitaire innée médiée par les interférons de type I explique près de 15 % des formes sévères de Covid-19.

Une minorité de patients développait des pneumonies

Une minorité de patients développait des pneumonies
Crédit photo : Phanie

Pourquoi certaines personnes développent des formes graves de Covid et d'autres non ? L'équipe du laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses franco-américain* codirigé par Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel apporte une réponse génétique et immunologique à travers des découvertes décrites dans la revue « Science ». Les deux études mettent en évidence un déficit en interférons de type I, éléments clé de la réponse immunitaire innée contre les virus, chez certains patients sévères.

« Dès le mois de février, nous nous sommes intéressés à la variabilité interindividuelle au cours de l'infection par le SARS-CoV-2, a indiqué Jean-Laurent Casanova. Il est rapidement apparu que l'infection était bénigne dans la plupart des cas, mais qu'une minorité de patients développait des pneumonies, des défaillances respiratoires, voire des défaillances multiviscérales ». Une hypothèse a rapidement été émise, poursuit-il : « cette variabilité pourrait résulter d'une vulnérabilité génétique et immunologique qui rend certaines personnes incapables de se défendre face au SARS-CoV-2 ».

Pour vérifier cette hypothèse, un grand nombre de patients présentant une forme grave de Covid-19 ont été recrutés, ainsi que de nombreux patients ayant eu une forme légère de l'infection. Leur génome a été séquencé en vue de rechercher des mutations génétiques pouvant expliquer cette variabilité clinique. Le consortium international Covid Human Genetic Effort, mis en place dans ce cadre, a permis le recrutement de centaines de patients à travers le monde grâce à l'implication de près de 1 000 hôpitaux d'une cinquantaine de pays. « Les échantillons sanguins prélevés ont été envoyés à une cinquantaine de centres de séquençage, et toutes ces données génétiques ont été analysées pour mettre en évidence des gènes ou des variants spécifiques », raconte Jean-Laurent Casanova.

Des variants chez 3,5 % des patients

Dans l'étude de Zhang et al. (1), les chercheurs ont comparé le génome de 659 patients hospitalisés pour une pneumonie sévère liée au Covid à celui de 534 patients asymptomatiques ou présentant des symptômes bénins. Ils se sont intéressés en particulier à un ensemble de 13 gènes identifiés précédemment comme étant des gènes de prédisposition aux formes sévères de la grippe du fait de leur rôle dans la réponse immunitaire médiée par les interférons de type I. Les chercheurs ont alors observé des différences entre les deux groupes de patients et ont constaté que 3,5 % des personnes ayant une forme sévère de Covid-19 (soit 23 personnes) présentaient des variants rares de ces gènes.

« Nous avons démontré expérimentalement que tous ces variants étaient délétères et qu'ils étaient à l'origine d'un défaut de production des interférons de type I chez ces malades, notamment en réponse au SARS-CoV-2 », détaille Jean-Laurent Casanova.

Les interférons de type I sont un ensemble de 17 protéines qui ont un rôle protecteur contre les virus au cours de la réponse immunitaire innée. Celles-ci sont produites par toutes les cellules de l'organisme dès lors que les cellules sont infectées par un virus. « Leur rôle est de prévenir les cellules avoisinantes qu'elles doivent se préparer à l'infection. Les interférons de type I représentent la première ligne de défense face au virus », explique l'immunologiste. 

10 % produisent des auto-anticorps

Ces premiers travaux soulignent  l'importance de ces molécules dans la lutte contre le nouveau coronavirus. Et la seconde étude de Bastard et al. (2) a permis de répondre à une autre question : « pourrait-il y avoir chez les patients sévères pour lesquels aucune mutation n'a été identifiée des auto-anticorps qui neutralisent ces interférons de type I ? », présente Jean-Laurent Casanova.

Les chercheurs ont ainsi montré que parmi 987 patients ayant une pneumonie sévère liée au Covid, 10,2 % produisent des auto-anticorps dirigés contre l'interféron de type I. « Des taux très élevés de ces auto-anticorps ont été retrouvés dans le sang de ces patients, rapporte Jean-Laurent Casanova. Nous avons montré que ces auto-anticorps neutralisaient l'action protectrice vis-à-vis du SARS-CoV-2 des interférons de type I, et étaient donc responsables des formes graves de Covid ».

Les auteurs ont également étudié les échantillons sanguins d'une population de 663 patients asymptomatiques ou présentant des symptômes légers au sein de laquelle aucun patient ne produisait ces auto-anticorps. Dans une population de 1 227 individus sains, ils étaient quatre à en produire.

L'étude montre par ailleurs que 95 % des patients produisant des auto-anticorps sont des hommes, ce qui contribue à expliquer pourquoi ces derniers font davantage de formes graves que les femmes.

« Ces deux études mettent en évidence des mécanismes différents mais qui convergent puisque dans un cas comme dans l'autre, ces patients ne produisent pas suffisamment d'interférons de type I dans leur forme active », conclut Jean-Laurent Casanova.

*INSERM/Université de Paris/Institut de recherche Imagine (hôpital Necker-Enfants malades AP-HP)/Université Rockefeller/Howard Hughes Medical Institute à New York/ Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (Sorbonne Université/Inserm/CNRS).
D'après le point presse de l'institut Imagine du 25/09/2020
(1) Q. Zhang et al., Science, doi: 10.1126/science.abd4570, 2020.
(2) P. Bastard et al., Science, doi: 10.1126/science.abd4585, 2020.

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin