En 2009, l'attribution du prix Nobel de médecine pour la découverte de la télomérase consacrait l'intérêt de la communauté scientifique pour les mécanismes qui entourent les télomères. La longueur des télomères est associée au risque d'apparition et de sévérité de pathologies parfois surprenantes. Selon les résultats de deux études publiées (1,2) par les chercheurs rattachés à l'université de Lorraine et au CHRU de Nancy, des télomères courts sont ainsi associés à un risque accru de forme sévère de Covid-19 et à un surrisque d'obésité au cours de l'enfance.
Ces deux études entrent dans le cadre du projet de recherche Impact Geenage soutenu par l'université de Lorraine. Ce dernier est dédié à l'étude des télomères et vise nettement à savoir si leur longueur se contente d’être un « simple » indicateur de l'âge biologique, ou s'il est également un indicateur des trajectoires du vieillissement.
Mais avant toute chose, qu'est-ce qu'un télomère ? Il s'agit de séquences hautement répétitives de type TTAGGG, d'une longueur de 8 000 à 12 000 bases, situées à l'extrémité des chromosomes dont elles assurent la protection contre la dégradation, « un peu à l'image des bouts de plastique qui protègent vos lacets contre l'effilochage, illustre Simon Toupance de l'unité de recherche « défaillance cardiovasculaire aiguë et chronique », université de Lorraine/Inserm). Son premier rôle est d'éviter que les brins d'ADN ne se recollent ensemble. Par ailleurs, chaque mitose entraîne la perte d'un petit bout d'ADN et ce sont des morceaux de cette structure qui sont retirés. »
À télomères courts, Covid sévère
Pour établir le lien entre longueur des télomères et sévérité du Covid-19, les chercheurs ont recruté 38 personnes âgées de 65 à 104 ans admises au CHRU de Nancy, dont 17 pour Covid-19 et 20 pour diverses autres raisons (1). Les chercheurs ont constaté que la longueur des télomères était corrélée au nombre de lymphocytes T. Les données suggèrent que les télomères courts limitent le potentiel réplicatif de ces cellules et retardent ainsi la réponse immunitaire. Cela expliquerait pourquoi les personnes âgées, dont les télomères sont plus courts, ont plus souvent tendance à souffrir de lymphopénie.
D'autres travaux, menés par l'équipe de la Pr Evangelia Charmandari (faculté de médecine d'Athènes), sur 73 enfants de 2 à 10 ans suivis entre 2014 et 2019, ont mis en évidence le rôle de télomères courts dans l'apparition de maladies métaboliques (2). Si les examens cliniques, biochimiques et endocrinologiques ont été réalisés en Grèce, c'est une équipe du CHRU de Nancy qui a été chargée de l'analyse génétique de l'ADN extrait des globules blancs.
Il ressort de ce travail que les enfants obèses avaient des télomères plus courts que les autres au début du suivi, mais qu'il n'y avait pas de raccourcissement des télomères ensuite. « C'est une donnée importante qui confirme les résultats d'autres études, commente le Pr Athanase Benetos, professeur de gériatrie au CHRU de Nancy et chercheur à l'université de Lorraine. La longueur des télomères doit être considérée comme un facteur de risque non modifiable présent dès la naissance, au même titre que les antécédents familiaux de maladies chroniques. La part de l'hérédité est d'ailleurs considérable, puisque 70 % de la longueur des télomères s'expliquent par l'hérédité, et 30 % s'expliquent par le raccourcissement intervenu plus ou moins rapidement depuis la naissance. »
Un facteur influencé par l'obésité et la pollution
Lors du webinaire, les deux chercheurs ont mis en garde contre les « charlatans » qui prétendent proposer des méthodes pour rallonger les télomères ou ralentir leur diminution. Simon Toupance nuance toutefois : « on ne peut pas changer directement leur longueur, mais on peut agir sur les facteurs majeurs influençant leur altération : l'obésité et la pollution ». Par ailleurs, la mesure en routine des télomères permettrait son intégration dans plusieurs calculs de facteurs de risque.
Des publications récentes ont ainsi montré que les télomères peuvent être impliqués dans l'insuffisance ovarienne. « Une autre étude récente sur la cardiomyopathie des Balkans a également montré que la pathologie est d'autant plus évolutive et sévère que les télomères sont courts, ajoute Simon Toupance. On pourrait donc sélectionner les patients sur la base de ce critère pour attribuer plus tôt les greffes cardiaques. »
Athanase Benetos a, pour sa part, travaillé sur le vieillissement artériel. « Nous étions parmi les premières équipes à faire des études longitudinales, et donc mesurer l'évolution des télomères avec le temps. Nous avons montré que les lésions étaient plus fréquentes chez ceux qui avaient des télomères courts, jusqu'à 10 ans avant leur apparition. » Il est également connu qu'une greffe osseuse a plus de chance de prendre si le greffon présente un bon facteur de prolifération. Il est donc envisageable de sélectionner le greffon sur la base de ce critère.
Certes, mais alors quelles techniques employer ? La plus simple consiste à extraire l'ADN des globules blancs et d'en mesurer la taille avec une PCR. Mais cette méthode reste peu précise et peu informative : « chaque tissu va se développer plus ou moins vite et avoir un index prolifératif plus ou moins élevé », rappelle Simon Toupance. Il faut donc travailler, organe par organe, avec une technique plus sensible : le Southern blot.
L'importante période intra-utérine
Les résultats tourangeaux dévoilent une réalité complexe. Avant la publication de leurs travaux, des études avaient déjà démontré que la présence de télomères courts est associée à une prévalence accrue de maladies neurodégénératives liées au vieillissement. « Le développement intra-utérin est une période très importante pour expliquer la longueur de nos télomères tout au long de notre vie, précise Athanase Benetos. Il existe également un avantage féminin documenté, et aussi des critères ethniques. »
En dépit de toutes ces données, il ne faudrait pas croire que naître avec des télomères démesurément longs, ou qui ne raccourcissent pas au fil du temps, constitue l'alpha et l'oméga de la bonne santé. « Si c'était aussi simple que cela, la sélection naturelle ferait qu'on aurait tous des télomères géants, raisonne Athanase Benetos. Les télomères longs posent leurs propres problèmes, comme un risque accru de cancer. Mais il faut bien reconnaître que les problèmes liés aux télomères courts sont plus importants que ceux liés aux télomères trop longs. » Récemment, une étude a montré qu'une mutation neutralisant une enzyme capable de dégrader les télomères était associée à une augmentation de la taille de ces derniers à l'âge adulte et à un surrisque d'hématopoïèse excessive et de lymphome (3).
(1) Journals of Gerontology, juillet 2021, DOI: 10.1093/gerona/glab026.
(2) S. Toupance et al, Nutrients, décembre 2022. DOI: 10.3390/nu14235191.
(3) E. DeBoy et al, The New England Journal of Medicine, juin 2023. DOI: 10.1056/NEJMoa2300503
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