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Dossier

Santé des femmes

Gynécologie, que reste-t-il à l'examen pelvien ?

Par Bénédicte Gatin - Publié le 30/01/2023
Gynécologie, que reste-t-il à l'examen pelvien ?


GARO/PHANIE

Alors que la place et la justification de l’examen pelvien sont de plus en plus questionnées par certaines patientes, les gynécologues viennent de publier des recommandations détaillées pour restaurer la confiance. Si le texte entérine la limitation de la place de l’examen pelvien chez la femme asymptomatique, il conforte aussi son intérêt chez les patientes symptomatiques.

Quelle est la place de l’examen pelvien dans le suivi gynécologique de la femme ? Dans quelle situation reste-t-il préconisé ? Quand peut-on au contraire s’en affranchir ? À l’occasion du congrès Pari(s) santé femmes, les gynécologues français sont revenus sur ces questions en présentant de premières recommandations dédiées.

Dans le contexte sociétal actuel, poussant à mieux prendre en compte le vécu et les appréhensions des femmes, l’objectif de ce travail est notamment « d’éviter les examens inutiles », a expliqué le gynécologue Xavier Deffieux (Clamart), porte-parole des recommandations, lors d’une conférence de presse. En miroir, l’idée est aussi de réaffirmer à la lumière de l’EBM l’importance de l’examen pelvien dans certaines situations et de fournir des arguments scientifiques à même de rasséréner les patientes. Alors que, pendant longtemps, la légitimité de l’examen pelvien a été peu questionnée, il s’agit en fait de « redonner du sens à l’examen clinique », se réjouit le Dr Stéphanie Mignot, généraliste à Poitiers, partie prenante des recommandations. Avec, en toile de fond, la volonté affichée des gynécologues de « restaurer des relations de confiance et de respect mutuel indispensables à la prise en charge des femmes dans de bonnes conditions ».

Menées sous l’impulsion du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), ces recommandations ont mis autour de la table sociétés savantes de gynécologies obstétriques, Collège de la médecine générale et associations de patients et d’usagers.

Le groupe de travail a évalué l’intérêt de l’examen pelvien (toucher vaginal (TV) et/ou examen au spéculum) dans diverses situations, selon la méthode Pico qui permet de formuler une question clinique précise et de tenter d’y répondre par une recherche documentaire systématique.

Exit l’examen systématique

Globalement, on distingue « l’examen systématique qui là clairement ne sert à rien et la pathologie où l’examen est en revanche franchement informatif », résume le Pr Arnaud Fauconnier (Poissy-Saint-Germain), président des recommandations.

Chez la femme asymptomatique, le texte est donc plutôt moins-disant par rapport aux pratiques classiques, confortant les évolutions déjà amorcées sur le terrain et par certaines recommandations.

Lors de l’initiation (ou du renouvellement) d’une contraception hormonale, l’examen pelvien n’est pas recommandé à titre systématique. « Aucune étude n’a comparé l’impact direct de la réalisation ou non d’un examen pelvien avant l’initiation d’une contraception hormonale, mais les contre-indications éventuelles ne sont pas identifiables par l’examen pelvien et le choix du type de contraception hormonale n’est pas orienté par les résultats d’un éventuel examen pelvien », justifie le groupe de travail. A contrario, l’idée d’être examinées peut conduire certaines jeunes femmes à renoncer à consulter pour une première pilule, souligne le Pr Deffieux. L’examen pelvien (spéculum et toucher vaginal) est en revanche indiqué avant la pose d’un DIU « car il peut permettre de dépister certaines malformations ou une rétroversion utérine et il améliore le vécu de la pose chez les jeunes nullipares ».

De même, pour le dépistage du cancer du col de l’utérus, l’examen pelvien au spéculum avec frottis reste préconisé en priorité car il permet de réaliser ultérieurement, si besoin, un test cytologique réflexe. Mais pour les femmes échappant au dépistage organisé, les recommandations ouvrent aussi la porte à l’auto-prélèvement, qui peut « améliorer le recours au dépistage dans les populations sous-dépistées », pour une performance équivalente.

Contrairement à ce qui avait pu être suggéré, le toucher vaginal n’est en revanche que peut contributif pour détection des cancers de l’ovaire chez la femme à risque modéré et n’est donc pas recommandé dans ce but. Quant aux dépistages des IST, les données de la littérature ne permettent pas de trancher.

Les recommandations viennent aussi dépoussiérer le suivi courant de la femme enceinte. « Alors qu’on a eu l’habitude de proposer à nos patientes enceintes un examen pelvien mensuel, il n’y a en fait pas de justification à le faire », souligne le Dr Thierry Brillac, généraliste à Toulouse. De fait, chez une femme asymptomatique n’ayant pas de facteur de risque d’accouchement prématuré et consultant pour le suivi de sa grossesse, « la pratique du toucher vaginal systématique n’est pas associée à une diminution du risque d’accouchement prématuré par rapport à un suivi sans toucher vaginal, ni à une diminution des autres complications (infection materno-fœtale et perte de grossesse) », précisent les recommandations.

De même, l’examen pelvien ne doit pas être systématique en consultation post-natale. Alors qu’il est volontiers pratiqué pour anticiper la survenue d’éventuels troubles pelvi-­périnéaux à long terme, aucunes données ne soutiennent sa supériorité par rapport à l’interrogatoire seul dans cette indication.

Une aide chez les patientes symptomatiques

À côté de ces situations « de routine » les plus fréquentes, notamment en soins primaires, les recommandations se sont aussi attachées à préciser les choses chez les patientes symptomatiques, enceintes ou non. Dans la plupart des cas, l’examen pelvien est recommandé, parce qu’il améliore le diagnostic, permet d’orienter la prise en charge, etc.

Hors grossesse, toucher vaginal et examen sous spéculum sont donc préconisés en cas de suspicion d’endométriose, de masse abdominale ou pelvienne, de saignement chronique, d’incontinence urinaire, de prolapsus ou d’infertilité, mais aussi en situation d’urgence (saignement ou douleur pelvienne aiguë, leucorrhées anormales) pour préciser le diagnostic et évaluer la gravité.

La donne est un peu différente chez la femme enceinte symptomatique, pour laquelle les recommandations varient selon le stade de la grossesse et le contexte. Par exemple, pour une femme consultant pour des saignements ou des douleurs au premier trimestre de la grossesse, l’examen sous spéculum est de mise (car il permet d’évaluer l’abondance du saignement et d’objectiver une fausse couche) mais pas le toucher vaginal, moins contributif que l’échographie en cas de grossesse extra-utérine.

Aux deuxième et troisième trimestres, l’examen complet (toucher vaginal et spéculum) est recommandé en cas de douleur pelvienne pour éliminer un accouchement en cours ; l’échographie étant peu contributive dans cette situation. En revanche, en cas de saignement, « il y a des arguments dans les deux sens » , explique le Pr Deffieux. Le toucher est classiquement contre-indiqué par crainte d’aggraver les choses en cas de placenta inséré bas. Mais d’un autre côté, l’examen peut être important pour évaluer l’abondance du saignement. Dans ce contexte, « le bon sens clinique doit primer », conclut le Pr Deffieux, alors que les recommandations n’ont pas tranché.

Dans tous les cas, « même si un examen pelvien est recommandé, il n’est que proposé à la femme, qui l’accepte ou non », insiste-t-il.

Comment améliorer le vécu ?

Au-delà des indications de l’examen pelvien, les recommandations se sont aussi penchées sur les moyens d’améliorer le confort et le vécu des femmes le cas échéant.

Anesthésie ou œstrogènes locaux, ambiance musicale, voire diffusion d’huiles essentielles ou encore auto-insertion du spéculum : plusieurs pistes ont été évoquées mais la plupart manquent de données pour être recommandées.

Le groupe de travail préconise en revanche clairement « d’utiliser un lubrifiant aqueux pour la pose d’un spéculum, afin de diminuer la douleur ressentie, y compris lors de la réalisation d’un frottis ou d’un prélèvement bactériologique vaginal ».

La position gynécologique standard « étant associée à un moins bon vécu de l’examen pelvien chez certaines femmes », une solution alternative (demi-assise, pieds à plat sur la table ou sur des repose-pieds plats par exemple) peut aussi être proposée.

Par ailleurs, certains moments peuvent être plus propices que d’autres, souligne le Dr Thierry Brillac. Par exemple dans l’endométriose, « si on est sur quelque chose de récurrent, chez une patiente qui vient surtout parce qu’elle est hyperalgique, aller immédiatement mettre un spéculum ou faire un toucher pelvien n’a aucune utilité et mieux vaut différer l’examen ».

On sait aussi que l’examen pelvien est moins bien vécu chez les femmes ayant des antécédents de violence et la Haute Autorité de santé recommande de questionner les patientes à ce sujet. Cependant, « il n’existe pas d’étude ayant évalué directement l’impact de la recherche d’antécédents de violence sur le vécu des femmes lors de l’examen pelvien ».

Et au final, le plus important est peut-être « la façon dont on présente les choses », estime le Dr Mignot. D’où « l’importance de la phase préparatoire d’explication, de justification et de consentement ».

« Tous les examens médicaux peuvent être difficiles à vivre et ceux concernant les organes pelviens peuvent être ressentis comme intrusifs. Toutefois, la plupart des femmes acceptent ces examens lorsque la nécessité de la procédure est expliquée et si l’examen est effectué par un professionnel qualifié, communiquant et précautionneux », appuie le Pr Deffieux.