Le 7e rapport de l’ENCMM, publié récemment, a étudié la période 2016-2018, au cours de laquelle 272 décès maternels liés à la grossesse, l'accouchement ou à leurs suites (jusqu’à un an après la grossesse) ont été identifiés (1). Le ratio de mortalité maternelle (RMM) est ainsi de 11,8 décès pour 100 000 naissances vivantes jusqu'à un an après la fin de la grossesse, et de 8,5 si on se limite à quarante-deux jours après la naissance, dans la moyenne des pays européens.

Un chiffre qui n’a pas diminué par rapport au triennium précédent, 2013 à 2015, alors que six décès sur dix sont considérés comme évitables par les membres du Comité.

Toutes les causes décortiquées

Le Comité appelle donc à tirer des enseignements de l’analyse détaillée des causes présentées dans ce rapport, qui confirme la place prépondérante des suicides, première cause de décès jusqu’à un an après l’accouchement (17 %) et qui, dans près de 80 % des cas, auraient pu être évités. Ces causes psychiatriques, tout comme les causes cardiovasculaires – qui sont à l’origine de 15 % des décès maternels – illustrent bien le fait que la santé des femmes enceintes et des jeunes mères dépasse largement la sphère strictement obstétricale. Cela souligne la nécessité de l’implication et de la coordination de tous les soignants.

Inégalités socio-démographiques

Plus globalement, ce rapport pointe des inégalités sociodémographiques de mortalité maternelle. Le risque de décès augmente avec l’âge des femmes : il est multiplié par 2,6 entre 35 et 39 ans et par cinq à partir de 40 ans, comparativement aux femmes âgées de 20 à 24 ans. La mortalité des femmes migrantes est également augmentée par un facteur deux par rapport aux femmes nées en France, voire par trois pour celles nées en Afrique sub-saharienne. Une femme sur trois (34 %) présente au moins un critère de vulnérabilité socio-économique. L’obésité est aussi un facteur de risque, présent chez 24 % des femmes décédées comparativement, à 12 % de l’ensemble des parturientes. Quant aux disparités géographiques entre métropole et Drom, elles tendent à se réduire du fait d’une baisse des décès dans les territoires ultramarins.

L’inadéquation des soins

L’analyse très précise des conditions de survenue de chacun des décès enjoint à les considérer comme « probablement » ou « possiblement » évitables, dans respectivement 17 % et 43 % de l’ensemble des cas. Et, dans plus de la moitié des cas, c’est l'inadéquation des soins prodigués qui est en cause.

Cela est particulièrement net pour les décès liés à une hémorragie obstétricale, dont le nombre a certes été divisé par deux en quinze ans grâce à la mise en place de protocoles, mais qui tend désormais à stagner. Sur les 20 décès encore à déplorer durant la dernière période, 19 auraient pu être évités (95 %), notamment par une meilleure préparation des maternités aux urgences vitales (par exemple grâce à la simulation en équipe), une meilleure reconnaissance des hémorragies occultes (utilisation de l’échographie de poche) et un recours plus rapide aux gestes d’hémostase par des mains expertes dans les cas complexes et à l’administration de produits sanguins labiles.

L’organisation apparaît donc comme un élément majeur de progrès, non seulement, dans le cadre de l’urgence – les décès sont plus fréquents la nuit, le week-end, ou encore dans les petites maternités – mais aussi face à des femmes présentant une pathologie chronique.

Les décès sont plus fréquents la nuit, le week-end et dans les petites maternités

Pathologies pré-existantes et ajustement des traitements

Deux tiers des décès de cause cardiaque sont en effet survenus chez des femmes ayant une pathologie cardiaque pré-existante, chez lesquelles « tout symptôme respiratoire doit être un signe d’alerte conduisant à un dosage du BNP et du NT-proBNP et à une réévaluation cardiologique », rappellent les auteurs du rapport.

De même, les sept décès par épilepsie rappellent l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire, mise en place idéalement dès la phase préconceptionnelle, dans les pathologies chroniques qui peuvent évoluer au cours des neuf mois de la grossesse. C’est ce que soulignent, dans un cadre plus général, les experts de l’ENCMM, dans l’un de leurs 30 messages clés : « l’échange d’informations et la coordination des soins entre l’équipe de maternité et les autres acteurs de soins est un facteur majeur d’évitabilité du décès chez les femmes atteintes d’une pathologie somatique ou psychiatrique préexistante ou découverte en cours de grossesse. Ils débutent idéalement en préconceptionnel et se poursuivent plusieurs mois après l’accouchement ».

Des autopsies plus systématiques

Le rapport insiste aussi sur les examens post-mortem, réalisés actuellement dans 25 % des cas, mais qui devraient être systématiquement envisagés en cas de mort maternelle sans cause évidente. « Dans un contexte de mort inattendue et brutale, la signature du certificat de décès avec obstacle médico-légal ouvre la possibilité d’une autopsie médico-légale. En cas d’impossibilité de pratiquer l’autopsie ou dans l’attente de celle-ci, un scanner corps entier, réalisé rapidement, permettra d’identifier certaines causes de décès, notamment un accident vasculaire cérébral hémorragique ou un épanchement liquidien. » L’autopsie peut permettre le diagnostic de pathologies rares, parfois préexistantes à la grossesse, voire familiales.

Les suicides au premier plan

Les facteurs de risque, personnels et familiaux, de dépression périnatale doivent être recherchés tout au long du suivi de la grossesse et du postpartum. La répétition des passages aux urgences notamment, est un signe d’appel. L’implication de tous les acteurs de soins au contact des femmes, pendant la grossesse et l’année qui suit l’accouchement, dans le dépistage des symptômes de troubles mentaux est indispensable. En faisant si besoin appel à des outils d’évaluation standardisés comme l’Edinburgh postpartum depression scale (EPDS).

Enfin, il est nécessaire d’informer les femmes enceintes, leur entourage, ainsi que le grand public des signes de dépression périnatale, de leur fréquence et de l’importance de consulter rapidement en cas de symptômes.

D’après les communications des Prs et Drs Michel Dreyfus (Caen), Estelle Morau (Montpellier), Éric Verspyck (Rouen), Marie Bruyère (le Kremlin-Bicêtre) et Véronique Lejeune-Saada (Auch)
(1) Les morts maternelles en France : mieux comprendre pour mieux prévenir. 7e rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018