Santé des mères et des enfants : la FIV, une grossesse presque comme les autres

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Publié le 23/06/2023
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L'impact de la fécondation in vitro (FIV) existe mais reste limité pour les mères et les enfants. Des questions restent en suspens quant à la persistance d'une marque épigénétique à l'âge adulte, voire transgénérationnelle.
À prématurité égale, les enfants nés par FIV vont aussi bien que les autres à deux et cinq ans

À prématurité égale, les enfants nés par FIV vont aussi bien que les autres à deux et cinq ans
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Quelles sont les conséquences de la fécondation in vitro (FIV) pour les mères et les enfants ? C'est à cette question difficile qu'ont tenté de répondre le Pr Pierre-Emmanuel Bouet, gynécologue à Angers, et la Dr Géraldine Gascoin, pédiatre à Toulouse, lors d'un webinaire de la Société française de médecine périnatale.

Malgré un recul de 45 ans après la première FIV en 1978, il n'y a pas de réponses définitives. « L'impact de la FIV en tant que telle existe mais semble limité, avance le Pr Bouet. C'est très difficile à étudier car multifactoriel. »

Pas simple de démêler en effet ce qui relève de la FIV en elle-même, des procédures biologiques utilisées (Icsi, frais/congelés, milieu de culture), des grossesses multiples, des caractéristiques des couples infertiles (âge, indice de masse corporelle [IMC], tabac, etc.) ou encore de la stimulation ovarienne.

Il semblerait néanmoins y avoir un peu plus de petit poids de naissance et d’âge gestationnel < 37 semaines d'aménorrhée (SA) avec l’AMP. Mais « l’évolution des pratiques a permis de limiter le nombre de grossesses multiples, se félicite le Pr Bouet. Le taux de grossesses gémellaires a été divisé par deux en 20 ans passant de 20 à 10 %, avec le transfert d’un embryon au lieu de deux. »

Un signal existe pour les malformations congénitales cardiaques et la France a mis en place un comité de surveillance national. Il semble également y avoir davantage de certains syndromes génétiques (type Prader-Willi ou Angelman par exemple).

En pratique, quel suivi de grossesse ?

Une vigilance particulière concerne le don d’ovocytes (DO), l'âge maternel avancé (> 40 ans), les grossesses multiples et, bien sûr, le combo des trois.

Le suivi de grossesse est adapté au cas par cas. S'il y a plusieurs facteurs de risque, une consultation spécialisée est conseillée. « Pour les femmes à très haut risque avec DO et âgées de plus de 43 ans, il n'existe pas encore de recommandations mais un bilan préconceptionnel (métabolique, mammo, cardiaque) peut être utile, indique le gynécologue. L'aspirine à 150 mg par jour en prévention primaire pourrait aussi être bénéfique. Le suivi à partir de 26 SA devient plus resserré. »

Pour les autres patientes, le suivi est normal. Le gynécologue invite à informer des risques mais sans catastrophisme. « Il faut bien garder en tête les années d’infertilité, les annonces difficiles, les échecs, le travail pour accepter le don de gamètes », souligne le Pr Bouet. De plus, les chiffres sont à mettre en perspective. « En cas de DO, si le risque d’HTA gravidique, de prééclampsie (PE) ou de PE sévère est multiplié par trois, 85 % ne feront pas de PE, tempère-t-il. De même, le risque est multiplié par deux pour une AMP après l'âge de 40 ans, ce qui est équivalent au risque d'une nullipare et inférieur à celui observé en cas de grossesse avec IMC > 30 (risque triplé) ou de diabète préexistant (risque quadruplé). »

Qu'en est-il pour l'enfant ? « Dans la majorité des cas, les enfants vont très bien », rassure la Dr Gascoin. Mais la vigilance reste de mise car « l'AMP s’intègre dans la programmation fœtale selon la théorie des 1 000 jours », rappelle-t-elle. La période de la grossesse et les deux années de vie peuvent être soumises à des stress (tabac, médicaments, obésité, problèmes psychosociaux, etc.) qui affectent la santé à court, moyen et long terme via des modifications épigénétiques.

Suivre à long terme

Or l'AMP intervient à deux moments clés : en culture embryonnaire et lors de l'hyperstimulation ovarienne. « Ce stress auquel est exposé le fœtus va toucher le fœtus mais aussi le futur adulte en devenir », explique la pédiatre. Dans les modèles animaux, la mémoire d’exposition précoce à un environnement défavorable modifiant l’expression de gènes est observée pendant toute la vie, voire sur trois générations.

« À prématurité égale, les enfants nés par FIV vont aussi bien que les autres à deux et cinq ans », rapporte la pédiatre pour la santé périnatale. Plus tard dans l'enfance, les données sont également rassurantes pour la croissance, les risques de cancer et même le neurodéveloppement après ajustement sur les facteurs de risque. « Quelques données limitées suggèrent un surrisque cardiovasculaire et métabolique à l'adolescence, mais cela reste à confirmer », rapporte la pédiatre. Pour la fertilité, il y a un signal pour l'oligospermie, mais pas d’effet chez la fille.

Soulignant le peu d'études sur le long terme, la pédiatre plaide pour la mise en place de registres nationaux et de suivis sur plusieurs décennies. « Beaucoup de questions sont en suspens, en particulier avec les nouvelles techniques et la possibilité d'effets transgénérationnels », indique-t-elle, faisant remarquer que, lors de la reprogrammation fœtale, les mesures préventives les plus efficaces relèvent de l'accompagnement psychosocial, devant les conseils hygiéno-diététiques.

Hum Reprod, 2019, vol 23, n° 2, p137-158.

Dr I. D.

Source : Le Quotidien du médecin