Plus exposés au Covid en Grande-Bretagne et aux États-Unis

Le lourd tribut des soignants des minorités ethniques

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Publié le 02/06/2020
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Outre-Manche, 63 % des décès de soignants ont concerné des professionnels d’origine étrangère. Outre-Atlantique, le surrisque affectant les personnels non américains est plus que probable, mais encore sous documenté. En France, on ne peut encore faire que des suppositions…

Crédit photo : AFP

Selon l’OMS, une personne sur treize atteintes de Covid-19 est un soignant. En Grande-Bretagne et aux États-Unis ceux qui sont issus de minorités ethniques sont plus à risques. Des origines biologiques (sensibilité majorée à certaines infections respiratoires), médicales (comorbidités) ou sociologiques (vie de famille et travail dans une communauté plus touchée que les autres) sont évoquées.

En Grande-Bretagne, dès le début de l’épidémie, la question du tribut payé par les médecins issus de minorités éthique s’est rapidement posée puisque les 11 premiers décès sont survenus chez des praticiens dits « BAME » (Black, Asian and Minority Ethnic). En date du 22 avril, 63 % des 106 décès de soignants ont concerné des soignants d’origine non britannique. Le 8 mai, le chiffre global des décès est passé à 150, dont 16 médecins (94 %) et 71 % d’infirmiers d’origine BAME, les autres professions étant moins touchées. Parmi les médecins, ce sont les chirurgiens (venus en renfort en service de réanimation et donc peu habitués aux procédures de protection), les médecins généralistes et les urgentistes qui ont été les plus touchés.

La question est plus globale puisque, dans ce pays, les personnes d’origine étrangère représentent 13 % de la population, 16 % des patients testés et 33 % des malades en soins intensifs. Le risque de décès est multiplié par 3,5 pour les personnes d’origine africaines (par rapport aux Britanniques), par 1,7 pour celles qui viennent des Caraïbes et par 2,7 pour les originaires du Pakistan.

Existe-t-il une sensibilité physiologique à l’infection selon l’origine ? Elle a été évoquée car il semble que certains virus respiratoires aient des formes cliniques plus graves chez les non Caucasiens. La question des comorbidités est aussi au premier plan. Mais ce qui semble aussi être décisif, c’est la question de la vie en « communauté ethnique ». En Grande-Bretagne où la vie « communautaire » est habituelle, 56 % des infirmières dont le salaire se situe dans le quintile le plus bas sont d’origine ethnique minoritaire contre 2 % dans le quintile le plus élevé. Il est possible que les soignants d’origine ethnique non britannique aient aussi été plus souvent en contact avec le virus dans leur propre environnement de quartier.

C'est par le biais judiciaire que le NHS a pris la mesure du sur-risque que courraient les soignants d’origine ethnique particulière ? Fin avril 2020, la famille du Dr Peter Tun, un spécialiste de médecine physique et réadaptation, a porté plainte contre le Royal Berkshire NHS trust à la suite du décès du praticien mis, par la famille, sur le compte d’une insuffisance d’accès aux moyens de prévention.

Le Dr Chaand Nagpaul, président de la British Medical Association s’est emparé du problème. Dans un article publié dans le BMJ le 20 avril, il explique que « les médecins d’origine étrangère sont plus souvent que les autres en première ligne… qu’ils ne font pas valoir de droit de retrait, même en cas de pathologies préexistantes… qu’ils dénoncent moins que les autres les défauts d’accès aux équipements de protection personnelle car ils ont peur d’être blâmés ou harcelés s’ils le font ». Fin avril, le NHS a ouvert une enquête afin de préciser le degré de risque selon l’origine éthique et a mis en place des mesures d’évitement des contacts directs pour les médecins les plus âgés et ceux présentant le plus de comorbidités.

Aux États-Unis : une surreprésentation dans les hôpitaux les moins dotés

Aux États-Unis, les disparités ethniques des patients atteints de Covid-19 graves ont aussi rapidement été mises en avant. Alors que les Noirs américains ne représentent que 13 % de la population, leurs hospitalisations pour Covid-19 comptent pour un tiers. Dans certaines villes ou États, le risque d’infection est encore plus majoré : ainsi, à New-York, le risque de décès s'établit à 92,3 pour 100 000 habitants, contre 74,3 pour les latinos, 45,2 pour les Caucasiens, 34,5 pour les Asiatiques. Les Noirs vivant à Chicago ont un risque triplé d’infection et décuplé de décès. Dans le Wisconsin et en Louisiane, 70 % des décès concernent des Noirs, alors qu’ils ne représentent que respectivement 26 et 32 % de la population générale. Différentes raisons sont invoquées : certains États ont tardé à mettre en place le confinement, les Noirs et Latinos qui sont des populations moins favorisées que les Caucasiens ont conservé une activité (dans un pays où les droits au chômage sont restreints) et il existe une surreprésentation de ces populations dans des métiers multipliants les contacts avec le public. Il faut aussi noter que les soins hospitaliers par le biais de Medicaid, l’assurance santé pour les plus démunis, n’étaient pas systématiquement pris en charge pour le Covid-19. Enfin, c’est chez les Noirs et les latinos qu’il existe la plus forte proportion d’ « invisibles », ces personnes qui n’ont pas de papiers et qui n’osent pas aller à l’hôpital pour ne pas risquer par la suite une reconduite à la frontière, bien que le président Trump ait affirmé le contraire.

Qu’en est-il aux États-Unis pour les soignants issus des minorités ? Bien que les Noirs représentent 13 % de la population, ils ne sont que 5 % parmi les médecins, 10 % parmi les infirmiers. Plus les qualifications baissent, plus leur présence est marquée. Leur situation est a priori plus exposée. Ils ont tendance à travailler au plus près de leur communauté d’origine dans des établissements sous dotés en personnel et matériel qui en outre ont connu un taux de fréquentation par des patients Covid-19 particulièrement élevé. Par ailleurs, les donateurs privés qui ont beaucoup contribué à l’accès aux moyens de protection des soignants, ont privilégié en majorité des établissements déjà bien pourvus en matériel et personnel.

De façon attendue, les soignants d’origine Noire ou latino – et non Asiatique, car cette sous-population a adopté très tôt des mesures strictes de protection, y compris dans sa communauté – ont donc subi une surmoralité. Néanmoins, on ne connaît pas encore les répartitions précises sur les 300 décès rapportés par le CDC américain en date 26 mai 2020.

Covid-19: Two thirds of healthcare workers who have died were from ethnic minoritiesBMJ 2020; 369 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.m1621
Chaand Nagpaul: The disproportionate impact of covid-19 on ethnic minority healthcare workers. BMJ 20 avril 2020-05-27
Evidence mounts on the disproportionate effect of COVID-19 on ethnic minorities. Lancet Respir Med 2020 Published Online May 8, 2020 https://doi.org/10.1016/ S2213-2600(20)30228-9

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Source : Le Quotidien du médecin