Article réservé aux abonnés
Dossier

Santé des enfants

Qui sont les antivax ?

Publié le 29/09/2017

Alors que l’extension de l’obligation vaccinale entrera en vigueur en janvier, les détracteurs de la vaccination redonnent de la voix. Complotistes, politiques, écolos ou même médecins, qui sont vraiment les antivax ? Quelles sont leurs motivations ? Comment les autorités envisagent-elles la « riposte » ? Autant de questions importantes alors que la médiatisation récente des travaux du Pr Gherardi sur la toxicité potentielle des adjuvants aluminiques pourrait semer encore davantage le doute dans l’opinion publique.

Le 9 septembre, ils étaient à peine quelques centaines à battre le pavé devant le ministère de la Santé, à l’appel de l’Institut pour la protection de la santé naturelle. Vaccinosceptiques ou carrément anti-vaccins, ils étaient là pour protester contre le projet de loi rendant 11 vaccins obligatoires. Cette faible mobilisation peut surprendre alors que les messages alarmistes sur la vaccination envahissent internet, jusqu’à susciter des discours apocalyptiques chez les plus influençables. La vaccination est « un crime contre l’immunité, qui, probablement, dans les 20, 30, 40, 50 années, sera appelé un crime contre l’humanité », déclarait dernièrement Isabelle Adjani sur France Inter. Qui sont les groupes les plus extrêmes qui militent activement contre les vaccins ? Et quelles sont leurs motivations ?

À l’heure où la médiatisation récente des travaux du Pr Ghérardi sur la neurotoxicité potentielle des adjuvants aluminiques (voir encadré) risque d'être récupérée par les détracteurs de la vaccination, la question est plus que jamais d’actualité.

Une nébuleuse hétérogène

Le sociologue Jocelyn Raude a dressé un portrait de cette « nébuleuse », où se mêlent complotistes, militants d’extrême-droite et certains écologistes radicaux. « La vaccination est devenue un des piliers du complotisme moderne, au même titre que le
11 septembre, constate-t-il. Il s’agit d’une mouvance polymorphe, très présente sur le net, et de nombreux ouvrages parmi les plus vendus sur la vaccination sont ouvertement complotistes. Nous avons mené une enquête au moment de la grippe H1N1 : environ un tiers de la population française était sensible aux thèses conspirationnistes. En résumé, la menace pandémique avait été inventée pour vendre des vaccins. »

Membre d’Europe Écologie Les Verts, la députée européenne Michèle Rivasi a également fait de la vaccination son cheval de bataille, comme en témoigne la journée qu’elle avait prévu d’organiser en janvier au parlement européen avec pour invité vedette Andrew Wakefield, condamné pour avoir falsifié ses données afin d’établir un lien entre le ROR et l’autisme. Sous la pression du groupe parlementaire écologiste, la réunion a été annulée.Enfin, « la plupart des partis d’extrême droite ont un discours soit vaccino-sceptique, soit vaccino-critique », déclare Jocelyn Raude. Une recherche avec le mot-clé vaccination sur le site d’Alain Soral (égalitéetréconciliation.fr) dévoile l’omniprésence des thèses complotistes et, sans remettre en cause la vaccination elle-même, Marine Le Pen s’est exprimée récemment contre l’obligation vaccinale.
 

L’aluminium cristallise les réticences

Une fois de plus la question des adjuvants vaccinaux revient sur le devant de la scène. Dans son édition du 22 septembre, le Parisien faisait en effet état « d’un rapport sérieux et inédit » sur la toxicité potentielle des adjuvants aluminiques des vaccins. Il s’agissait en fait du compte rendu et de l’avis émis par l’ANSM suite à la présentation des résultats du projet BNAA-vacc sur « la biopersistance et [la] neuromigration des adjuvants aluminiques : facteurs de risques génétiques et neurotoxicité expérimentale ».

Prédisposition génétique ? Mené par Pr Romain Gherardi (Créteil), sur demande de l’ANSM, ce travail se décline en quatre études. Réalisées chez la souris, les trois premières suggèrent l’existence d’une sorte d’effet dose inversé à la fois en termes de neuromigration des particules d’aluminium et de neurotoxicité. La quatrième évoque une éventuelle prédisposition génétique pouvant expliquer une intolérance à l’aluminium chez certains patients.
Pour l’ANSM, « ces résultats ainsi que l’ensemble des rapports et publications disponibles à ce jour, ne modifient pas le rapport bénéfice risque positif des vaccins ».

De fait, ces données ne sont pas nouvelles et leur mise en avant récente relève peut être davantage de l’opération de communication de la part des chercheurs que d’une véritable révélation scientifique.

Débat récurrent Mais leur médiatisation relance un débat récurrent. Depuis la fin des années 1990, certains auteurs (dont le Pr Gherardi) suggèrent l’existence d’une relation entre les lésions histologiques de myofasciite à macrophages observées chez certains patients après une vaccination et la survenue de troubles généraux, neurologiques ou cognitifs. Ces données restent controversées et différentes instances scientifiques comme les Académies de médecines et de pharmacie ou le HCSP ont récemment conclu au non-lieu.

Pour autant, dans l’opinion publique, le sujet reste sensible. Selon un sondage E3M/BVA, plus d’un tiers des parents réticents à la vaccination changeraient d’avis s’ils disposaient de vaccins sans aluminium.

Politisation

Tous tirent un bénéfice de ce que les sociologues appellent la « politisation » de la vaccination. Dans un climat déjà agité par le scandale du Médiator, la campagne de vaccination contre la grippe pandémique a contribué à faire émerger sur la scène publique des questions légitimes, confinées jusque-là au monde médical, comme celle de la proximité entre décideurs publics et industrie pharmaceutique. « Beaucoup d’acteurs y ont vu une opportunité de marché, explique le sociologue. La vaccination est devenue un sujet ouvrant l’accès aux grands médias. Certains groupes ou certaines personnalités, sans avoir du tout de compétences dans ce domaine, se sont saisis de cette occasion pour accéder à une plus grande reconnaissance médiatique. Quand le sujet n’intéressera plus, ils passeront à autre chose. Il y a beaucoup de calculs derrière tout cela. »

Une dernière catégorie occupe une place importante sur le Net : les adeptes des médecines alternatives ou de la « santé naturelle ». La plupart se présentent comme vaccino-critiques ou -sceptiques plutôt qu’antivaccins. C’est le cas de l’Institut pour la protection de la santé naturelle, dont le comité scientifique a pour figure emblématique le Pr Henri Joyeux. « Au départ, les messages sont souvent sensés : alimentation saine, hygiène de vie…, remarque Jocelyn Raude. Mais c’est là qu’intervient le concept de politisation de la vaccination. En communiquant sur ce thème, le Pr Joyeux a été invité au journal télévisé de 20 h et interviewé par les grandes radios nationales… »  

Un impact difficile à évaluer

L’impact pratique de ce militantisme est difficile à évaluer. « La plupart des personnes, même réticentes, suivent encore les recommandations de leur médecin traitant, note Jocelyn Raude. Les généralistes sont la pierre angulaire de la vaccination. » Les enquêtes montrent qu’ils sont pour la majorité très favorables à la vaccination, même s’ils sont loin d’approuver tous l’obligation vaccinale. Le Dr Henri Partouche, généraliste à Saint-Ouen, avait participé à la rédaction du communiqué du CNGE qualifiant celle-ci de « réponse simpliste et inadaptée ». « Imposer l’obligation ne va pas avec l’évolution de la relation médecin-patient », estime-t-il. Il confirme bien éprouver des difficultés avec certaines familles, « mais, la plupart du temps, cela se passe très bien, Les patients disent de toute façon cela va être obligatoire, comme s’ils avaient accepté par anticipation le principe de l’obligation. Dans ma patientèle il y a quelques bobos qui sont hésitants, surtout pour les nouveaux vaccins, influencés par les réseaux sociaux et les médias. J’arrive à les convaincre en reprenant les risques et les bénéfices de la vaccination. Le facteur important, c’est ma conviction. Les confrères en difficulté doutent souvent eux-mêmes. Nous sommes dans une période de croyances et les médecins sont aussi un peu pollués par ces croyances. » Une enquête téléphonique menée en 2014 indiquait que 11 % des généralistes sont modérément hésitants concernant la vaccination et 3 % très hésitants ou opposés (Verger P. et coll : Euro Surveill. 2016). Ces derniers se retrouvent essentiellement parmi les professionnels ayant un mode d’exercice particulier ou pratiquant des médecines
alternatives.

Deux catégories, en France, sont particulièrement sensibles aux thèses vaccinosceptiques : les enseignants du secondaire et les paramédicaux, qui construisent volontiers leur identité en opposition aux médecins et à la médecine scientifique moderne. « C’est une difficulté majeure alors que, dans de nombreux pays, ce sont ces groupes qui sont au contraire les plus attachés à la vaccination », remarque Jocelyn Raude.

Des campagnes de communications obsolètes

Face à l’offre immense d’informations (et de désinformations) que propose internet les campagnes de communication classiques paraissent obsolètes sinon contre-productives. Après l’épidémie de rougeole de 2009 2010, l’Inpes avait mené une opération originale pour faire entendre la parole des pouvoirs publics sur les forums. Les messages hostiles au vaccin étaient repérés par des mots-clés et une personne y répondait en temps réel pour rectifier les erreurs, en s’identifiant Inpes. Un site inforougeole avait également été construit.

Les institutions commencent ainsi à s’appuyer sur les nouveaux outils de diffusion et une version professionnelle du site grand public « vaccination info service », créé en 2016, est en cours d’élaboration, « qui devrait être validé l’année prochaine », confie le
Dr Khadoudja Chemlal (Santé Publique France). À ces outils s’ajoutent les divers documents diffusés pour aider les médecins à répondre aux questions de leurs patients (repère pour votre pratique, argumentaires question-réponse…). Quant aux mesures qui entoureront l’obligation vaccinale, il est trop tôt pour les connaître.
Dans son discours relatif à l’obligation vaccinale, la ministre de la Santé proposait d’instaurer un rendez-vous annuel pour faire l’état des lieux de la vaccination en France. « Il y a besoin, en matière de vaccination, de faire un effort d’explication et de transparence », insistait-elle.

L’exception française

La France semble le pays où les personnes manifestent le plus d’inquiétude face au vaccin. Selon une enquête menée dans 64 pays (Larson HJ et coll : EBioMedicine 2016), 40 % des personnes en France estiment que les vaccins ne sont pas sûrs alors que la moyenne pour l’ensemble des pays étudiés est de 13 %. L’opinion a basculé après la campagne de vaccination contre la grippe A H1N1. En 2000, malgré la polémique sur le vaccin contre l’hépatite B, 90 % des personnes interrogées dans les grandes enquêtes étaient favorables à la vaccination. En 2010, ce chiffre avait chuté à 60 % (Baromètre santé) pour remonter à 80 % en 2015, avant le projet de loi sur l’obligation vaccinale.

Perte de confiance « Le scandale du Mediator a ébranlé durablement la confiance dans les institutions médicales, analyse Jocelyn Raude. Il y a eu peu d’affaires de ce type
dans les autres pays comparables. L’Angleterre a connu l’affaire de la vache folle. La confiance est revenue dans l’industrie alimentaire après la dissolution des organisations existantes, qui ont été recréées avec de nouveaux statuts, de nouvelles normes. »

Dr Isabelle Leroy