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Dossier

Prescription

Le sport, un traitement comme les autres ?

Publié le 07/04/2017
Le sport, un traitement comme les autres ?

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MARK TURNBALL/SPL/PHANIE

Formation, remboursement, recommandations... Beaucoup reste à faire avant que le sport ne devienne vraiment un traitement comme les autres. La loi sur l’activité physique sur ordonnance, entrée en vigueur début mars, devrait toutefois permettre de développer des initiatives déjà amorcées localement. Mais il manque encore des mesures pour qu’elle puisse être effective dans la pratique des généralistes.

«À partir du 1er mars, les médecins pourront prescrire du sport sur ordonnance », ont annoncé les médias après la publication du décret du 31 décembre 2016 sur la prescription médicale de l’activité physique adaptée. Mais que va changer réellement cette reconnaissance juridique dans la pratique ? De nombreux généralistes n’ont pas attendu l’amendement dit « sport sur ordonnance » de la loi de modernisation du système de santé pour inscrire l’activité physique sur leurs ordonnances. « Il m’arrive de noter marche quotidienne de 40 minutes ou faire des étirements matin et soir pendant 5 minutes, confirme le Pr Vincent Renard, président du Collège national des généralistes enseignants. Mais là, c’est autre chose. Il s’agit d’activités physiques encadrées. On ne peut être que favorable à une réglementation qui ouvre la voie à l’officialisation d’une prescription non médicamenteuse qui a fait ses preuves scientifiquement. »
 

 

Des expériences locales encourageantes

Plusieurs villes ont déjà développé des programmes d’exercice physique adapté, à l’instar de Strasbourg, ville pionnière, avec son dispositif « Sport-santé sur ordonnance » mis en place depuis 2012. Plus de 320 généralistes prescrivent régulièrement de l’exercice physique dans le cadre de ce programme, soit la quasi-totalité des généralistes strasbourgeois, et 1 500 patients atteints de maladie chronique en bénéficient. Entre 35 et 50 nouveaux patients entrent chaque mois dans le dispositif. « On entend dire que les médecins ne sont pas sensibilisés, regrette le Dr Alexandre Feltz, généraliste et adjoint au maire de Strasbourg, engagé depuis 2012 dans le dispositif « Sport-santé sur ordonnance ». Au contraire tous les sondages montrent qu’ils sont massivement favorables à la prescription d’activité physique. Quand on propose un système organisé et financé, qui améliore l’état de santé de leurs patients, ils suivent. Et dans d’autres villes c’est pareil. À Saint-Paul-de-la-Réunion, où il y a beaucoup de diabétiques, la quasi-totalité des généralistes prescrivent du sport. » 

Aujourd’hui, plus de 40 villes françaises adhèrent au réseau « Ville sport-santé sur ordonnance », sous l’égide du réseau français « villes santé » de l’OMS. Quinze réseaux existent. « Même de toutes petites villes ont mis en place un programme, se réjouit le Pr Martine Duclos (chef de service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand), en citant Issoire, Ambert ou encore la communauté de communes du pays de Murat. Les généralistes ont développé la prescription d’activités physiques adaptées (APA), avec des professionnels APA, en partenariat avec la mairie. Ils voient les personnes pour lesquelles ils envisagent une activité physique, vérifient qu’il n’y a pas de contre-indications, et les adressent au professionnel APA qui leur propose une activité en fonction de l’offre locale, des capacités des patients, de leur disponibilité…
La législation ne fait donc que concrétiser un mouvement déjà enclenché grâce à l’engagement d’acteurs locaux. « Je n’aurais jamais pensé qu’en quatre ans, on arriverait à inscrire le sport sur ordonnance dans une loi, confie le Dr Feltz. Je reçois beaucoup d’appels de médecins ou de maires qui veulent mettre en place une organisation. La loi donne une dynamique. »

Pour autant, le sport est-il vraiment en passe de devenir un traitement comme les autres ? Pas si simple, semble-t-il. Car, si la loi a l’intérêt d’officialiser les initiatives locales en leur donnant une assise juridique, le paysage du système de santé et les outils ne sont pas encore prêts pour que cela entre dans une réalité concrète. En fait l’échéance des élections semble avoir conduit à publier le décret avant que le cadre de la prescription soit bien établi…

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Qui fait quoi ?

Autre reproche fait au décret : sa complexité, notamment en ce qui concerne les professionnels pouvant dispenser l’activité physique.
Le généraliste doit évaluer les capacités fonctionnelles du patient, préciser les composantes de l’activité physique (intensité, durée, fréquence…) et l’orienter vers la personne ou la structure adaptée, en remplissant un formulaire détaillé.

À ce titre, la loi distingue deux socles de compétences :
– kinésithérapeutes, ergothérapeutes ou psychomotriciens pour les patients ayant des capacités fonctionnelles extrêmement limitées (définies en général par un périmètre de marche inférieur à 150 m ou des troubles de l’équilibre majeurs) ;
– professionnels de l’APA, titulaires d’une licence Staps APA, éventuellement après un complément de formation, ou personnes (éducateurs sportifs et bénévoles, notamment) ayant une formation complémentaire du ministère des Sports, pour les patients plus autonomes.

Vives tensions Cette multiplicité d’intervenants a créé de vives tensions entre professionnels de santé et enseignants en sport. « C’est totalement injustifié. Ces personnes n’interviennent pas au même niveau. Il y a de la place pour tout le monde », remarque le Pr Duclos qui souligne aussi le caractère très positif des formations spécifiques pour les professionnels d’éducation physique. « Cela va permettre d’éliminer des personnes non compétentes, voire dangereuses, qui se disent coach sport santé alors qu’elles n’ont aucune formation, ou des salles de sports qui cassent les malades. » Les diplômes et les formations nécessaires pour dispenser l’APA demandent toutefois à être précisés. Le ministère doit proposer une formation complémentaire, ce qu’il n’a pas encore fait.
Un annuaire des professionnels sports santé est aussi indispensable pour pouvoir orienter les patients.

 

Des bases scientifiques solides…

En termes de niveau de preuves, l’activité physique n’a pourtant rien à envier à certains médicaments. « La question scientifique a été tranchée il y a très longtemps, souligne le Dr Feltz. L’exercice physique est le meilleur médicament contre le diabète de type 2. Il diminue les récidives de cancer du sein ou du côlon. Grâce au sport, les patients prennent moins de médicaments, maîtrisent leur poids, font baisser leur pression artérielle, ont une meilleure qualité de vie… Ils retrouvent de l’énergie, une dynamique positive et, quand ils quittent le dispositif, ils ont modifié leur comportement et continuent à faire du sport. »

… mais pas de recommandations dédiées...

Pour autant, la prescription médicale de sport est encore loin de bénéficier du même corpus de recommandations que certains traitements plus classiques. Des dernières recommandations de l’Anses pour la prévention primaire au PNNS, plusieurs documents valident la place du sport mais sans détailler les stratégies à mettre en œuvre en pratique chez des patients déjà malades.

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La Haute Autorité de santé devait fournir un guide aux généralistes, pour les aider à prescrire en fonction de la pathologie, mais ce document n’est pas encore rédigé. « Le principe a été acté. Il y a eu une pré-réunion, mais ce n’est pas allé plus loin », regrette le Pr Duclos. De même, le formulaire de prescription que le médecin traitant doit remplir avant d’adresser son patient à une structure adaptée n’est toujours pas prêt. « Il est en cours de finalisation », précise le Dr Feltz, en ajoutant qu’ « il ne devrait pas être trop compliqué ». Dans les prochains mois devrait aussi sortir le Médico sport santé, qui sera fourni avec le Vidal. Il s’agit d’un outil d’aide à la prescription rédigé par le Comité national olympique et sportif. Ils présentent les programmes d’APA proposées par les différentes fédérations, en précisant leurs indications, leurs contre-indications et leurs modalités, selon les pathologies.   « Tennis, golf, basket… pratiquement toutes les disciplines sportives se sont adaptées au sport santé », remarque le Pr Duclos.

… ni de remboursement

L’absence de remboursement par la Cnam a aussi été pointée comme un obstacle majeur. « Cela coûterait très cher de rembourser l’activité physique pour tous les patients en ALD, observe le Pr Duclos. L’assurance maladie a dit qu’elle ne financerait pas et il est vrai que pour les structures qui veulent mettre en place une activité physique adaptée, c’est un peu la débrouille. Chacun cherche des financements. »

À Strasbourg, l’ARS, la direction régionale jeunesse et sport, les collectivités, les mutuelles participent au financement au niveau local. L’APA est gratuite la première année, puis il y a une tarification solidaire les 2e et 3e années. Après 3 ans, l’objectif est que les patients fassent leur activité physique de façon autonome, pour que d’autres personnes puissent entrer dans le dispositif. « La déception vient du fait qu’il n’y ait pas de crédits nationaux, confie le Dr Feltz. Mais cela pourrait se déclencher très vite. J’appelle très fortement toutes les caisses primaires à participer aux plates-formes et réseaux qui vont être mis en place. Si l’APA n’est pas financée, organisée, il y a un danger d’aggravation des inégalités sociales. »

Un financement national ? « On en rêverait, soupire le Pr Duclos. On a les preuves que cela ferait des économies de santé phénoménales. Le traitement d’un diabète de type 2 représente 3 000 à 5 000 euros/an. La moitié des diabètes de type 2 pourrait être prévenue par l’activité physique. Si vous ajoutez une alimentation équilibrée, la proportion monte à 80 %. On peut prévenir 25 % des cancers du sein, du côlon ou de l’endomètre, et de 40 à 50 % le risque de récidive de ces cancers, en faisant 30 min d’activité physique 5 fois par semaine. »

Aucune tarification n’est prévue non plus pour la prescription de l’APA par le généraliste. « Cela avait été demandé, précise le Pr Duclos. Dans mon activité, cette prescription prend 45 minutes. Mais un généraliste connaît ses patients. Il peut aller plus rapidement.» Pour le Pr Renard, cette question rejoint le cadre plus vaste « du périmètre de remboursement des soins premiers. C’est un débat qui appartient à la société. Il est absurde de ne pas rembourser des prescriptions non médicamenteuses qui ont fait la preuve de leur efficacité et sur lesquelles nous devrions, au contraire, concentrer nos efforts ».

Reste aussi la question de la formation des médecins, l’exercice physique étant jusqu’à présent très peu abordé sur les bancs de la fac, avec seulement deux heures dédiées dans le cursus des études médicales…

Un dispositif réservé aux ALD

Seulement 30 % des Français en bonne santé respectent les recommandations de base du PNNS sur l’activité physique (au moins 30 mn d’activité physique 5 jours par semaine). C’est dire si la prescription d’activité physique ne peut être une simple formalité.
Motivation « La première barrière est motivationnelle, confirme le Pr Duclos. Le rôle principal du médecin est d’expliquer au patient que l’activité physique est nécessaire pour traiter sa pathologie et de lever les fausses craintes. Il faut informer le patient fatigué par le traitement de son cancer que l’activité physique est actuellement le seul traitement validé de la fatigue en oncologie. On doit rassurer un hypertendu, en lui disant que l’activité physique ne va pas provoquer de poussées hypertensives, etc. »
Les contre-indications sont rares, l’activité physique apparaissant, en réalité, bénéfique quelle que soit la pathologie, à condition que celle-ci soit stabilisée. Un avis spécialisé est parfois nécessaire. Après un infarctus, par exemple, l’épreuve d’effort permet de vérifier qu’il n’y a pas de signe de souffrance cardiaque au cours de l’exercice et donne éventuellement des valeurs limites de fréquence cardiaque. « À partir du moment où l’activité physique est adaptée, elle ne peut qu’améliorer la fonction et éviter que la pathologie ne s’aggrave », observe le Pr Duclos.
Cadre limité On peut regretter toutefois que le décret s’applique dans un cadre limité, puisqu’il réserve la prescription aux médecins traitants et les activités prescrites aux patients en ALD. « À Strasbourg, on va déjà plus loin, observe de Dr Feltz. On intervient pour les patients obèses, hypertendus, les personnes âgées fragiles. Cela se fera par étapes. Les ALD représentent 11 millions de personnes. C’est déjà une belle avancée pour la santé publique et les généralistes. »


Dr Isabelle Leroy