Les médecins généralistes s’appuieront difficilement sur leurs souvenirs d’étudiants pour endosser le rôle de médecin praticien correspondant. Au second cycle des études médicales, la médecine du travail occupe neuf heures de cours en moyenne selon les universités. Cet enseignement minimum explique en partie la méconnaissance qu’ont les étudiants pour la discipline, et donc, son manque d’attractivité. « La formation en médecine du travail des généralistes est très faible. Le programme des ECN {ndlr. épreuves classantes nationales} comporte des questions sur les origines professionnelles des maladies mais c’est peu de choses », constate le Pr. Jean-Dominique Dewitte.
Chef du service de santé au travail du CHRU de Brest, ce PU-PH préside la Société Française de la Médecine du Travail et la sous-section médecine et santé au travail du Conseil National des Universités. Prenant en compte le fait que les MPC ne pourront ni délivrer l’avis d’aptitude réservé aux salariés soumis à un suivi individuel renforcé, ni se déplacer en entreprise, il imagine leur formation centrée sur « l’évaluation des principaux risques professionnels, les questions générales sur les postes et les métiers. »
Au vu de la baisse drastique du nombre des enseignants en médecine du travail, il pense à une formation des MPC mutualisée avec celle des médecins collaborateurs, en ciblant certains enseignements déjà organisés. Les médecins collaborateurs sont les médecins généralistes ou d’autres spécialités qui se reconvertissent en médecine du travail. Ils passent un diplôme universitaire (D.U), comprenant huit semaines de cours et des stages, étalés sur quatre ans. « Le programme serait largement allégé pour les MPC. Le volume horaire, les modules, tout est à définir », estime le Pr. Dewitte.
S'inspirer du DU des médecins collaborateurs
Dès l’apparition de cette nouvelle fonction dans les discussions de l’accord national interprofessionnel l’an passé, le Pr. Dewitte avait émis des réserves sur la formation des MPC. « Avec cette possibilité, l’attractivité de la spécialité aux ECN risque encore de baisser. La médecine générale représente une année d’études en moins. Les MPC et médecins collaborateurs sont aussi mieux payés que les internes », s’inquiète-t-il.
Le médecin du travail préférerait que les visites d’information et de prévention - anciennement nommées « visites médicales d’embauche » - soient réalisées par des infirmières en pratique avancée (IPA) en santé au travail plutôt que par des médecins généralistes. « Vaut mieux faire monter en compétences les infirmières car elles ont des connaissances de terrain », juge-t-il. La loi consacre la fonction d’IPA en santé au travail, mais vaguement : « La visite médicale de mi-carrière peut être réalisée par un infirmier de santé au travail exerçant en pratique avancée », lit-on. La loi demande aussi que la formation continue des infirmières soit encouragée, sans donner plus de précisions.
Face à de multiples inconnues, le Pr. Jean-François Gehanno, président du Collège des enseignants de médecine du travail, réfléchit aux grandes lignes que pourrait revêtir la formation de MPC : « La formation ne concernerait pas l'intervention sur le milieu du travail, donc l’ergonomie ne serait par exemple pas enseignée, a contrario de la toxicologie ou des risques psychosociaux. Nous allons devoir leur expliquer aussi ce qu’est une entreprise et comment elle fonctionne. » Il espère que cela sera une formation diplômante, sous forme d’un diplôme universitaire (D.U) : « C’est la seule option pour que la formation soit homogène au niveau national. »
Professeur de médecine du travail et chef de service au CHU de Rouen, il a pu observer, en formant des médecins collaborateurs, les réactions des médecins généralistes qui se dirigent vers la médecine du travail. Une majorité d’entre eux viennent de la médecine générale : 60 à 70 %, estime le Pr. Gehanno. Leur principal défi, selon lui ? Changer de posture. « Quand on est médecin traitant, le patient nous a choisi et est demandeur (ndlr. de soins). En médecine du travail, parfois le salarié n’est pas demandeur et on lui annonce des choses avec lesquelles il n’est pas toujours d’accord », explique le Pr. Gehanno. Négociations avec l’employeur, études de postes de travail, ergonomie, réglementation du travail, diversité des métiers traités… Les généralistes qui s’attellent à la médecine du travail sont « un peu surpris de la masse des compétences et connaissances à apprendre. Car ils ont la vieille image de la médecine du travail, avec une activité systématique voire routinière », prévient-il.
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