Stress au travail

La société menace les personnes vulnérables

Publié le 13/10/2010
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DE NOTRE CORRESPONDANTE

LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Pr Lançon, avez-vous pu donner des chiffres sur cet état des lieux liant le stress au travail et la dépression?

Pr CHRISTOPHE LANÇON - Je n’en ai pas donné, mais si on parle de chiffres qui existent, on peut dire qu’il n’y a pas plus de dépression aujourd’hui qu’avant et que le travail n’est pas forcément responsable de dépression. Mais il ne s’agit que de chiffres bruts qui ne décrivent pas une réalité. Ce qu’on sait, c’est qu’il y a des gens vulnérables, ce qui ne veut pas dire faibles ou malades, mais différents et qui vont être très sensibles aux conditions de travail, comme ils vont être très sensibles au stress dans la vie quotidienne. Mais il y a une autre question, c’est comment le milieu du travail interagit avec ces gens vulnérables. On a bien sûr l’exemple de France Telecom. C’est une politique délibérée pour dégraisser les effectifs, mais il existe aussi des entreprises qui souhaitent aider les gens vulnérables à travailler dans des conditions qui ne nuisent pas à leur santé. Et cela répond en partie à la question sur les solutions que l’on peut apporter.

L’exemple de France Telecom n’est pas isolé ?

Certaines entreprises engagent des gens pour dégraisser les effectifs et qui sont formés pour repérer les gens vulnérables, soit pour les forcer à se mettre en maladie, soit pour les faire partir. Il s’agit là de l’utilisation par les entreprises de la vulnérabilité et de la maladie mentale comme source de persécution. C’est mauvais signe quand on commence à faire des choses comme ça dans une société.

Il est plus facile de s’attaquer aux gens fragiles?

Non, pas « fragiles », je n’aime pas ce mot. Ce sont des gens différents, très sensibles. C’est important de le dire comme cela, car dans nos sociétés, on n’a pas besoin de gens fragiles. Ce sont des gens sensibles à la qualité et l’image que l’on a d’eux-mêmes et à la relation aux autres. Ce sont peut-être des hyper-êtres humains et si on élimine cette partie de l’humanité, on élimine aussi la partie humaine de l’humanité.

Vous tirez un signal d’alarme ?

Ce n’est pas dans l’entreprise qu’on devrait s’inquiéter mais dans la société toute entière. Quand on laisse des gens à la rue, c’est une société qui menace. C’est un message qui dit aux personnes très vulnérables, « Attention, votre tour va arriver. » Normalement pour moi, un État devrait d’abord s’occuper des gens vulnérables et ensuite des autres.

Faut-il revoir la conception que l’on a du travail dans son identité?

Pendant longtemps, le travail faisait partie des composantes majeures qui permettaient aux gens d’exister et de se situer. La société actuelle a clairement saccagé cette valeur, alors la question, c’est que met-elle à la place pour permettre aux gens de se situer. Il faut réfléchir sur « comment trouver autre chose pour se constituer ». Mais pour réfléchir, il faut en avoir la possibilité. Il existe des contraintes économiques qui ne permettent pas de réfléchir sur ce qu’on fait et sur ses priorités dans la vie. Quand vous êtes très pauvre, vous ne pouvez plus réfléchir parce que vous devez d’abord survivre.

HÉLÈNE FOXONET

Source : Le Quotidien du Médecin: 8835