Controverse sur l'évaluation des logos nutritionnels et démissions en cascade

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Publié le 12/07/2016
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Crédit photo : DR

La polémique ne désenfle pas depuis que le Fonds français pour l'alimentation et la santé (FFAS) a été mis en cause par une enquête du journal « le Monde » selon laquelle une « accumulation des conflits d’intérêts en leur sein jette le doute sur l’impartialité de l’évaluation » des logos nutritionnels. Suite au vote de la loi de santé, c'est le FFAS qui a, en effet, été chargé par le ministère de la Santé de mener une expérience de terrain dans 40 supermarchés, comparant l'impact de 4 logos nutritionnels en termes de sensibilisation des consommateurs.

Dernier développement en date, le directeur général de l'INSERM, le Pr Yves Lévy, a confirmé auprès de l'AFP avoir démissionné du comité de pilotage de l'étude. Le scientifique n'a pas souhaité commenter sa décision.

Le Pr Lévy n'est pas le premier participant à la mise en place de l'étude à quitter le bateau. Le comité scientifique dirigé par Noël Renaudin (ancien président du Comité économique des produits de santé) a pour sa part perdu 3 de ses membres : Karine Gallopel-Morvan, professeure à l’École des hautes études en santé publique (Rennes), le Pr Philippe Ravaud de l’équipe de recherche INSERM « Méthodes de l’évaluation thérapeutique des maladies chroniques » (METHODS), ainsi que Denis Hémon du Centre de recherche épidémiologie et statistiques de Paris-Sorbonne.

Conditions de l'étude contestées

Les raisons de ces différents départs sont diverses. Selon l'article du « Monde » les chercheurs auraient été « gênés par les conditions de l’étude et les liens de certains membres avec les industriels ». Sur les 10 experts restants, 6 sont en effet liés à l'industrie agroalimentaire, comme le précise leur déclaration d'intérêt.

Contacté par « le Quotidien », le président du FFAS, Christian Babusiaux ne partage pas cette analyse de la situation, pas plus que Nicole Darmon, directrice de recherche à l’INRA à l’UMR NORT, à Marseille, et membre du comité d'éthique de la FFAS : « La vraie raison est tout simplement un conflit d'intérêts scientifique notoire : le Pr Philippe Ravaud n'est autre que le directeur de l'Unité de recherche à laquelle appartient l'équipe EREN de Serge Hercberg. L'équipe EREN ayant mis au point le Nutri-Score », un des 4 logos initialement prévus dans l'évaluation de la FFAS.

Contactée par « le Quotidien », le Pr Gallopel-Morvan affirme que, si le comité scientifique n'a pas subi de pression de la part de la FFAS ou des industriels, les problèmes méthodologiques et scientifiques étaient nombreux. « J'avais fait 107 remarques au cours de l'élaboration du protocole et les plus importantes n'ont pas été prises en compte, explique-t-elle. Il était proposé un contrôle bi-hebdomadaire, ce qui n'est pas suffisant compte tenu du fait que les personnels de la grande distribution sont déjà très occupés et risquent de ne pas étiqueter tous les produits. »

Plus gênant, la 5e version du protocole, la dernière à laquelle le Pr Gallopel-Morvan a participé, prévoyait de confier aux promoteurs de chaque logo la réalisation des affiches et flyers destinés à expliquer la nouvelle nomenclature. « Dans ces conditions, on ne peut pas contrôler les différences d'impact entre les matériaux et les supports publicitaires utilisés dans les 4 cas », estime le Pr Gallopel-Morvan qui précise que le « protocole peut avoir changé depuis ».

Le dernier rapport du comité scientifique stipule que ses membres se sont facilement accordés sur le fait que « seul un essai randomisé par grappe dans des conditions réelles » pouvait être à même d'être utilisé pour guider le choix du nouveau logo nutritionnel. Les choses ne se sont pas déroulées comme cela, selon le Pr Gallopel-Morvan : « Je n'étais pas d'accord, en tant que scientifique, cela me gêne d'arrêter une décision sur une seule expérience qui risque de présenter des biais car dans une situation réelle, on ne peut pas tout contrôler. Il y a déjà une abondante littérature sur l'impact des différents logos nutritionnels », explique-elle.

Denis Hémon s'était déjà exprimé dans la presse sur ce sujet estimant que « cette étude comparative n’est pas nécessaire et risque de se faire dans des conditions dégradées ». Il faisait référence à l'étude publiée par l'équipe EREN dans « l’American Journal of Preventive Medicine ».

Des résultats contestés par Nicole Darmon : « N'importe quel scientifique dirait que son étude est totalement biaisée pour des dizaines de raisons, affirme-t-elle à commencer par le fait qu'elle est menée sur des milliers de personnes sous influence, totalement embrigadées par lui, à travers la lettre des Nutrinautes et autres injonctions diverses à signer des pétitions pour le 5C et contre la méchante agro-industrie. »

Jouer la montre

Pour le Pr Gallopel-Morvan, le fait de confier une nouvelle expérimentation au FFAS est une manière de jouer la montre. « Les résultats ne seront pas connus avant 2017, cela ressemble à une tactique classique utilisée en lobbying pour obtenir des délais et des reports de décisions », juge-t-elle.

Autre point reproché par les détracteurs du FFAS : son financement assuré pour moitié par l'industrie. « Nous avons plusieurs grands organismes de recherche en France dont l'INRA qui est dédié à l'agroalimentaire, détaille le lanceur d'alerte Pierre Meneton de l'unité INSERM 1142 (laboratoire d'informatique médicale et ingénierie de communication pour la santé), c'est incroyable que l'expérimentation ait été confiée à un organisme dont la moitié des fonds proviennent de l'industrie. »

Sur ce point, Christian Babusiaux rappelle que « la DGS ne voulait investir que 500 000 euros. J'ai milité pour que sa participation soit aussi élevée que celle des partenaires privés : 1,1 million d'euros, resitue-t-il. Nous avons 101 partenaires, de l'entreprise de charcuterie artisanale du Morbihan à la multinationale de la grande distribution. Aucun partenaire ne participe à hauteur de plus quelques dizaines de milliers d'euros, et l'appel de fonds a été fait après que le design de l'étude a été décidé. »


Source : lequotidiendumedecin.fr