S’intéresser à l’addiction alimentaire

Publié le 22/06/2011
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Les TCA et en particulier l’aspect le plus visible, l’obésité, comme l’addiction concernent à la fois l’individu dans son expérience quotidienne et toute la société. Ils suscitent la rhétorique du fléau avec la recherche du ou des coupables, l’obèse lui-même, la « malbouffe », la société… etc. On crie à l’épidémie autour de chiffres souvent approximatifs et surestimés ; experts, commissions diverses et plans nationaux sont sommés de trouver la solution pour guérir l’individu et la société. Et sur ce sujet, tout un chacun est expert…

Le terme de « troubles du comportement alimentaire » induit une certaine stigmatisation, et le Pr Lowenstein lui préfèrerait celui de « troubles addictifs alimentaires » (TAA). On sait combien la sémantique est importante dans ces domaines : être alcoolodépendant ou usager de drogue n’a pas la même résonance qu’alcoolique ou toxico, des termes qui renvoient à la notion de faute puis de rédemption par l’abstinence. Parler de troubles du comportement signifie-t-il qu’il faut bien se comporter pour ne plus être malade ? « En plaçant le problème du côté des troubles du comportement, c’est-à-dire de ce que fait le patient avec sa faim ou sa nourriture, on s’empêche de lire son angoisse, son altérité, son humeur, on réduit le dialogue à la recherche d’une norme, d’un compte de calories, de bons ou mauvais aliments voire d’une image corporelle idéale. Or est-ce la relation qu’entretiennent les patients avec leur « substance addictive », la nourriture, qui constitue le problème ou plutôt la tentative de répondre à ce problème et de l’apaiser ?» interroge l’addictologue. Et si l’anorexie ou la boulimie apportent au début un apaisement, comme toute autre « drogue » ils provoquent la culpabilité et bouleversent vie intime et relationnelle.

Sortir du dogme de la « Volonté »

Les TCA doivent comme les addictions être lus à la lumière de la transdisciplinarité, bien différente de la multidisciplinarité dans le sens où elle suppose que chaque discipline s’enrichit et enrichit les autres et évite le piège de la domination d’une discipline sur l’autre : le « tout-nutrition » n’ayant pas plus de sens que le « tout-psychologique » ou le « tout-social ». Il faut se méfier du mécanisme de normatisation médicale et/ou sociale qui se profile derrière l’obésité et la santé se profile et peut aller jusqu’à menacer l’identitité des individus : « la morale de l’approche desTCA n’est-elle pas en elle-même immorale » s’interroge le psychiatre.

Il faut faire sortir les patients, mais aussi les médecins du « mythe empirique de la volonté » ou « empire mythique de la volonté » : sortir d’une addiction ne relève pas du vouloir mais de pouvoir. Quand les circuits de la volonté et de la motivation ont perdu leur efficacité il est tout aussi sadique ou ignorant de demander à un dépressif de se secouer pour sortir de sa dépression qu’à un obèse de modifier son comportement alimentaire ; savoir que son comportement est mauvais pour sa santé ne suffit pas à changer le comportement. « Il faut arrêter avec ce mythe qui ne traduit que nos insuffisances de lecture ou nos manques de possibilités thérapeutiques » s’indigne le Pr Lowenstein. « Ce mythe de la volonté fonde le loto culpabilisant de la guérison : on sépare les bons malades, ceux qui seraient motivés pour bien se comporter, et les mauvais malades dépourvus de toute volonté qui ont fait des centaines de régimes et autant de rechutes et sur qui pèsent les soupçons d’inobservance ».

Les addictions alimentaires doivent s’envisager du côté de la vie et non de celui de la honte ou de la faute. Il faut rompre la terrible logique de la volonté et de l’effort pour permettre à la personne de comprendre ce qui le déborde et le rend malade. Ce qui engendre au moins un bénéfice clinique immédiat c’est de la déculpabiliser le patient et de lui faire comprendre que son comportement n’est pas déviant mais qu’il fait comme tout le monde, « il fait comme il peut avec ce qu’il a » avec son économie psychique et son alimentation.

A lire : Bergeron H., Castel P. Regards croisés sur l’obésité, Éditions de Santé et Presses de Sciences Po, collection « Séminaires », 2010.

 Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : Nutrition