Ouvrières, employées

Un lever au pas de course reposant sur les mères

Par
Publié le 08/03/2018
petit dejeuner

petit dejeuner
Crédit photo : PHANIE

Si, pour la majorité des ménages, le petit-déjeuner est un moment alimentaire en tension (horaires scolaires, professionnels, temps de trajet), elle l'est tout particulièrement pour les mères des classes populaires.

Des sociologues de l'Inra et de l’université Lyon 2 se sont intéressées au petit-déjeuner et, plus précisément, à la façon dont les classes populaires (1) prennent (ou pas) ce premier repas de la journée. Le fait que les enfants doivent déjeuner le matin s'impose comme une évidence aux parents enquêtés : « Pour les parents des classes populaires, le fait qu'un enfant doit prendre un petit-déjeuner correspond à une norme extrêmement légitime, même lorsque leurs conditions de travail rendent cette prise très compliquée. En revanche, s'ils s'organisent pour que leur enfant déjeune le matin, ils sont nombreux à ne pas le prendre eux-mêmes, reproduisant ainsi le comportement de leurs propres parents », affirme Marie Plessz, chercheuse à l'Inra.

Que les gens mangent ou pas le matin, ils en rendent compte comme d’un impératif physiologique, qu’ils relient à des sensations corporelles telles que la faim ou l’écœurement : « je ne peux pas faire un pas devant l’autre sans déjeuner », indique une coiffeuse tandis qu’une autre enquêtée affirme « ça ne veut pas passer. Je déjeune jamais ». « Pourtant, les statistiques de l'Anses (enquête Inca 2) montrent que le fait de petit-déjeuner (ou pas) est très lié aux caractéristiques sociales des Français. Ainsi, un quart des adultes ne prennent pas de déjeuner le matin, et ce sont plutôt des hommes, jeunes, de classe populaire, mais aussi des mères de familles monoparentales », constate Marie Plessz.

Charge mentale

L'étude montre aussi que les mères de famille réalisent un important travail pour inculquer à leur enfant la norme du petit-déjeuner. « C'est une norme qu'elles voient comme quelque chose de technique (d'important pour la santé), mais aussi, comme une responsabilité morale. Car elles sont conscientes qu'elles peuvent être jugées par les institutions éducatives (crèches, écoles), à travers le rythme alimentaire incorporé par leur enfant, note Marie Plessz. Or pour les femmes des classes populaires qui ne font pas toujours carrière, être un "bon parent" est une source importante de reconnaissance sociale ».

Lorsque les mères ne peuvent pas être à la maison au moment du petit-déjeuner, elles déploient des stratégies pour faire en sorte que leur enfant puisse quand même prendre ce repas en famille. La veille au soir, elles disposent sur la table de la salle à manger les aliments que leur enfant devra prendre le lendemain au petit-déjeuner. Elles veillent, davantage que les pères, à ce que ce repas matinal soit composé de produits équilibrés. « Certaines déposent leur enfant chez leur propre mère afin que celui-ci puisse prendre son petit-déjeuner en famille », assure Marie Plessz.

(1) Le Pape M.C. et Plessz M.. 2017. C’est l’heure du petit-déjeuner ? Rythme des repas, incorporation et classe sociale. L'Année sociologique 67 : 73

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Nutrition