Pr Florence Askenazy (pédopsychiatre) : « L'état des parents, un facteur déterminant du TSPT chez l'enfant  »

Publié le 08/12/2023
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Le 14 juillet 2016, la Pr Florence Askenazy(1), professeure de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, a reçu les premières victimes de l'attentat de la promenade des Anglais, au sein de l'hôpital pour enfants de Lenval à Nice, où elle est cheffe de service. Six mois plus tard, le 1 er janvier 2017, ouvrait le Centre d'évaluation pédiatrique du psychotraumatisme, dédié aux enfants et à leurs parents.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Vous avez conduit une étude de cohorte au sein du centre d'évaluation pédiatrique du psychotraumatisme, créé à la suite de l'attaque de la promenade des Anglais. Quels sont les premiers résultats ?

Pr FLORENCE ASKENAZY : L'attentat du 14 juillet 2016 a tué 86 personnes, dont 15 enfants, blessé plus de 500 victimes et traumatisé des milliers d'individus.

Nous avons suivi les enfants touchés et leurs proches. Trois ans après la création du centre, plus de 4 700 consultations ont été menées. Nous continuons aujourd’hui à recevoir de nouveaux patients, notamment en lien avec l’actualité qui peut réactiver des angoisses chez certains. Les participants à l’étude, tous âgés de moins de 18 ans, ont été recrutés entre le 21 novembre 2017 et le 22 novembre 2019. Ils étaient répartis en trois classes d’âges : 0-6 ans, 7-12 ans et 13-18 ans.

Sur les 270 jeunes inclus dans la cohorte (parmi les 1 217 mineurs enregistrés après l'attaque), 167 ont un trouble de stress post-traumatique (TSPT), soit 62 %, 212 des troubles anxieux (79 %) et 23 des troubles dépressifs sévères (9 %). Près de 18 % présentent des troubles de l’impulsion et 33 % des troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité. Dans les troubles anxieux, on retrouve : des phobies spécifiques (56 %), une anxiété de séparation (29 %), des troubles anxieux généralisés (21 %), des troubles anxieux sociaux (6 %) et des troubles obsessionnels compulsifs (1 %). Certains cumulent plusieurs types de troubles.

Comment interprétez-vous ces résultats ?

L’un des enseignements principaux de cette étude publiée dans le JAMA (2), est que contrairement aux troubles anxieux, qui se répartissent spécifiquement en fonction des tranches d’âge, le stress post-traumatique est présent dans toutes les classes d’âge. La littérature montre une corrélation forte entre l’âge et les troubles anxieux, ces derniers étant particulièrement présents dans les populations de moins de 12 ans. Le TSPT, lui, n’est pas âge dépendant. Les études utilisant le référentiel DSM-5 montrent un taux élevé de TSPT chez les enfants et les jeunes après des attaques terroristes.

D’autres enseignements peuvent être tirés de nos travaux. L’état des parents est un des facteurs de protection ou de risque les plus importants pour le développement de TSPT chez l’enfant, l’adolescent ou le jeune adulte. D'où l'importance de les inclure dans le soin et de développer des centres référents du psychotrauma qui accueillent les enfants et leurs parents. Ces centres se développent partout en France, il y a un progrès et une réelle prise de conscience, mais certains territoires ne sont pas du tout pourvus. Il reste encore du chemin ; notamment, pour implémenter une stratégie nationale de recherche clinique au sein de ces centres, au bénéfice du plus grand nombre de citoyens.

Quels sont, selon vous, les axes d’amélioration et les priorités ?

Dans l’urgence, nous sommes relativement bien organisés en France, mais sur le long terme, c’est plus compliqué. L’accès aux soins est une difficulté majeure. Il manque une sensibilisation de la population générale et des programmes simples de formation des citoyens, à l’école, avec des éléments de prévention autour du psychotrauma. Les enseignants pourraient être plus massivement sensibilisés au repérage des premiers signes d’un trouble de stress post-traumatique, ce dont pourraient aussi bénéficier les élèves et leurs parents, avec des programmes de selfcare. Cela permettrait de reconnaître les signes d’appel, en particulier les somatisations souvent inaperçues.

Et bien entendu, il faut développer le plus de formations possible pour les médecins et tous les professionnels de santé de première ligne. Soutenir les programmes d’aide aux soignants est essentiel pour limiter le risque de traumatisme vicariant (« l’usure par compassion »), car ils sont particulièrement exposés aux risques de burn-out et d’épuisement dans le psychotrauma.

On estime que plus de 32 millions d’enfants dans le monde ont été affectés directement par des urgences humanitaires complexes (guerres, terrorisme, catastrophes naturelles…) ces derniers mois. L’épigénétique nous montre que les traumas peuvent se transmettre d’une génération à l’autre. Un trauma court-circuite la pensée et peut entraver le développement harmonieux de l’enfant. Non soigné, il accroît les risques de santé tout au long de sa vie.

TSPT : les quatre symptômes cardinaux
Le trouble de stress post-traumatique est un ensemble de symptômes, selon la Pr Florence Askenazy, professeure de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, cheffe de service à l'Hôpital pour enfants (CHU) de Lenval à Nice. Ils sont regroupés sous forme de quatre grandes caractéristiques symptomatiques, nécessaires pour porter le diagnostic : reviviscences de l’événement, conduites d’évitement cognitif ou émotionnel, altération de la cognition ou de l’humeur et suractivation neurovégétative.
Le premier critère du diagnostic est l’exposition à un événement potentiellement traumatique. Il existe deux grands types de trauma : ceux qui renvoient à un événement unique (accident de la route sans séquelles physiques, prise d’otage, catastrophe naturelle…) et ceux renvoyant à un événement prolongé ou répété (agressions sexuelles, maltraitance, guerre…). Les premiers s’accompagnent d’omissions sur des détails de l’événement et de perceptions erronées (hallucination visuelle ou distorsion temporelle).
Les seconds s’accompagnent d’un sentiment de honte ou de culpabilité très important. Le DSM-5 (1) propose une définition précise de ce trouble : « exposition à la mort ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à des violences sexuelles selon les modalités suivantes : exposition directe ou exposition en tant que témoin direct ou par le récit, quand l’événement traumatique concerne un proche ou en tant que professionnels intervenants dans la prise en charge de situations traumatiques ».
Dans la CIM-11 de l’Organisation mondiale de la santé (2), la définition est plus ouverte : « exposition à un événement menaçant ou terrifiant ou bien à une série d’événements de ce type ». La précision du DSM est un progrès mais aussi une limite, tandis que la classification de l'OMS ouvre vers un diagnostic plus large.

(1) Le psychotrauma de l’enfant – Comprendre et soigner, éditions First, avril 2023
(2) Askenazy et al, JAMA, fev 2023. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2022.55472

Propos recueillis par Nejma Lechevallier

Source : Le Quotidien du médecin