Les psychiatres salariés, et non seulement les libéraux, pourront-ils bientôt présenter des devis pour réaliser des expertises complexes ? La question se pose désormais, après que le Conseil d’État a annulé un arrêté daté du 7 septembre 2021, qui autorisait les seuls libéraux à être rémunérés sur présentation d’un devis, dans la limite d’un plafond de 750 euros hors taxe, pour une expertise complexe. La haute instance a estimé, dans sa décision publiée au Journal officiel (J.O.) ce 12 septembre, qu’il y avait une inégalité par rapport aux autres psychiatres (les collaborateurs occasionnels du service public, ou Cosp, majoritairement des praticiens hospitaliers) qui n’ont pas cette possibilité. Le Conseil d’État a été saisi par le Dr Jean-François Paul, praticien hospitalier, expert près la cour d'appel de Paris et membre du bureau du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), qui se réjouit de cette décision.
Le 7 septembre 2021, le gouvernement avait fait paraître au J.O. deux arrêtés revalorisant les expertises psychiatriques des libéraux – qui représentent un quart voire un tiers des experts. « Le premier arrêté visait à réparer une inégalité : les Cosp touchaient jusqu’à présent la même somme d’argent que les libéraux, qui devaient eux payer les cotisations sociales (Urssaf, Carmf… ) sur ce montant. Cette première décision revalorise davantage le montant des expertises pour les libéraux afin qu’ils touchent la même chose que les Cosp une fois les cotisations sociales acquittées », décrypte pour Le Quotidien le Dr Laurent Layet, président de la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d'appel (Cnepca). Aussi le Conseil d’État a-t-il refusé d’annuler cet arrêté, estimant qu’il ne méconnaissait pas le principe d’égalité.
C’est en revanche le second arrêté, qui prévoyait que seuls les libéraux pouvaient être rémunérés sur présentation d’un devis plafonné à 750 euros pour une expertise complexe, que la haute instance annule, au motif qu’il y a bien « une différence de traitement » qui porte atteinte au principe d'égalité. Le Conseil d’État récuse l’argument avancé par le garde des Sceaux, selon lequel « la complexité des expertises litigieuses exclurait par principe qu'elles puissent être confiées, compte tenu des obligations de service qui leur incombent, aux praticiens hospitaliers ou aux médecins salariés des établissements privés de santé ». De même, il rejette l’argument selon lequel la rémunération sur devis autoriserait les Cosp à déterminer eux-mêmes le montant des cotisations sociales mises à la charge de l’employeur et donc de l’État ; « la juridiction qui commande l'expertise reste à même de discuter le devis qui lui est présenté », souligne-t-il.
À noter : « compte tenu des effets excessifs » qu’aurait une annulation immédiate, le Conseil d’État donne un délai de quatre mois aux ministères de la Justice et de l’Économie (tous deux signataires des arrêtés) pour proposer des mesures rectificatives.
Manque d’attractivité, crise démographique
« Cette censure du Conseil d’État représente la suite logique face à l’iniquité et à l’entêtement du ministère de la Justice à vouloir introduire des mesures discriminatoires visant à favoriser l’exercice dans le cadre du statut libéral au détriment de celui de collaborateurs occasionnels du service public », a réagi le SPH dans un communiqué. Le syndicat demande un accès de l’ensemble des experts psychiatres à ce mode de tarification indépendamment de leur statut.
« En tant que Compagnie nationale, nous avons demandé à la direction des services judiciaires comment elle comptait rétablir l’égalité : plus de devis pour aucun expert ? Ou la possibilité pour tous, libéraux et Cosp, d’en présenter ? Je n’ai pas de réponse. J’ose espérer qu’on ne peut enlever un droit qui a été accordé », explique le Dr Laurent Layet.
L’expert agréé près de la cour d’appel de Nîmes insiste sur l’importance de valoriser ces expertises hors normes. « Il n’y a aucune mesure en termes de charge de travail entre une expertise pour une garde à vue (où l’examen peut être sommaire, conclu en un rapport de deux feuillets écrits à la main), ou une autre diligentée par l’instruction avec un dossier de 3 000 pages où il faut revoir plusieurs fois la personne », explique-t-il. L’arrêté de 2021 a d’ailleurs simplifié les conditions de l’accès aux expertises hors norme. Cette dernière doit répondre au moins à un des deux critères suivants : la mission d’expertise doit comporter des questions inhabituelles nécessitant des recherches spécifiques ; et /ou être ordonnée dans une procédure complexe ou s’inscrivant dans un contexte particulier. Auparavant, trois conditions (dont un déplacement géographique de 200 km par rapport à la résidence de l’expert ) devaient être réunies de manière cumulative, au grand dam des experts.
Plus largement, l’ensemble des experts psychiatres, SPH comme Cnepca, plaide pour des mesures incitatives pour rendre la pratique plus attrayante, alors que la démographie de la profession décline. En 2021, 356 experts psychiatres étaient inscrits sur les listes des cours d’appel, selon le ministère de la Justice.
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