Insuffisance rénale chronique

Faut-il individualiser le traitement de l’anémie ?

Publié le 21/04/2011
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LA RÉPONSE à la question de l’individualisation du traitement de l’anémie chez l’insuffisant rénal chronique n’est pas univoque, étant à la fois négative et positive. « Négative, car les recommandations dont nous disposons fixent la même cible thérapeutique pour tous les patients : un taux d’hémoglobine compris entre 11 et 12 g/dl, sans dépasser 13 g/dl de façon intentionnelle », précise le Pr Gilbert Deray.

Ces chiffres sont issus de quatre études princeps : TREAT (1), CREATE (2), CHOIR (3), menées chez des patients en insuffisance rénale chronique non dialysés, et l’étude de Besarab (4) publiée en 1998, qui portait sur des patients dialysés.

Aucune de ces quatre études n’a montré de bénéfice à normaliser l’hémoglobine ou l’hématocrite. « Et deux d’entre elles montrent une augmentation du risque cardio-vasculaire chez les patients inclus dans un groupe visant à normaliser l’hémoglobine ou l’hématocrite » ajoute le Pr Deray (voir encadré).

Pour mémoire, dans l’étude américaine CHOIR, plus de 1 400 patients avaient été traités en ouvert avec une cible de taux d’hémoglobine de 11,3 g/dl ou de 13,5 g/dl. L’étude avait été interrompue après un délai de suivi moyen de 16 mois en raison d’un excès d’événements cardio-vasculaires (infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux [AVC], hospitalisations pour insuffisance cardiaque) dans le groupe « normalisé ».

L’étude de Besarab, plus ancienne, avait comparé deux groupes de 600 patients, traités par agents stimulants de l’érythropoïèse (ASE) avec un objectif d’hématocrite de 42 % versus 30 %. Au terme de 29 mois, l’étude avait été arrêtée du fait d’un excès de décès et d’infarctus du myocarde non fatals dans le groupe visant à normaliser l’hématocrite.

Toutefois, ces résultats globaux masquent des disparités et l’on peut distinguer en fait deux grands types de patients : ceux qui sont résistants aux ASE et ceux qui ne le sont pas.

Lorsque la cible n’est pas atteinte.

Dans l’essai CHOIR et dans l’étude de Besarab, l’augmentation de la morbi-mortalité a été observée chez les patients du groupe visant à normaliser l’hémoglobine, mais qui n’avaient pas atteint la cible. Dans ce cadre, « ce n’est pas le niveau d’hémoglobine qui est en cause, mais l’administration de fortes doses d’ASE sans qu’elles ne permettent pour autant la normalisation de l’hémoglobine. Et les analyses montrent que ces patients sont ceux qui présentent le plus de comorbidités », indique le Pr Deray.

Ces données soulignent donc que chez le patient résistant, il ne faut pas augmenter les doses d’ASE (pas plus de 25 000 unités/semaine ou équivalent en microg) pour atteindre les cibles et qu’il est préférable de traiter les comorbidités.

« Une attention particulière sera portée en cas d’antécédents d’AVC, car il est possible que le risque d’AVC soit augmenté si le traitement vise à normaliser l’hémoglobine », estime le Pr Deray, qui souligne que sur le plan pratique, il est essentiel, chez tous les patients, de dépister et traiter toutes les comorbidités qui induisent une résistance aux ASE, en particulier la carence martiale. Il n’est pas inutile de rappeler les valeurs cibles du coefficient de saturation de la transferrine (supérieure à 20 %) et de la ferritinémie (supérieure à 200 ng/ml).

D’après un entretien avec le Pr Gilbert Deray, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.

(1) Pfeffer MA et coll. « A trial of darbepoetin alfa in type 2 diabetes and chronic kidney disease ».N Engl J Med. 2009 Nov 19;361(21):2019-32. Epub 2009 Oct 30.

(2) Drüeke TB et coll. « Normalization of hemoglobin level in patients with chronic kidney disease and anemia ». N Engl J Med. 2006 Nov 16;355(20):2071-84.

(3) Singh AK et coll. « Correction of anemia with epoetin alfa in chronic kidney disease ».N Engl J Med. 2006 Nov 16;355(20):2085-98.

(4) Besarab A et coll. « The effects of normal as compared with low hematocrit values in patients with cardiac disease who are receiving hemodialysis and epoetin ». N Engl J Med. 1998 Aug 27;339(9):584-90.

 Dr ISABELLE HOPPENOT

Source : Bilan spécialistes