Décision de fin de vie d’un tétraplégique au CHU de Reims

Une loi n’a pas vocation à tout régler, expliquent les soignants

Publié le 21/05/2013
Article réservé aux abonnés
1379412065433796_IMG_105286_HR.jpg

1379412065433796_IMG_105286_HR.jpg
Crédit photo : S TOUBON

« LA LOI LEONETTI, je la connais sur le bout des doigts, je l’enseigne, je la pratique », explique au « Quotidien » le Dr Éric Kariger, chef du service médecine palliative et soins depuis 1997 et chef du pôle « Autonomie et santé » du CHU Reims depuis 2007. Malgré son expérience, le Dr Kariger reconnaît avoir eu une interprétation « restrictive » de la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rendu le 11 mai dernier une ordonnance qui suspend la décision prise par son équipe, après une procédure collégiale comme le veut la loi, d’arrêt de l’alimentation artificielle chez un patient de 37 ans suivi dans le service depuis 5 ans. Le juge des référés s’appuie sur le Code de déontologie médicale (art. 37) qui exige que la famille soit informée de la décision de mettre en œuvre cette procédure collégiale et sur les fondements de la loi Leonetti qui prévoit que si une personne n’est plus en capacité d’exprimer sa volonté, toute décision susceptible d’engager son pronostic vital doit être prise à l’issue d’une discussion collégiale associant plusieurs médecins ainsi que l’équipe de soins et prenant en compte l’avis de la famille.

« J’accepte ce reproche et je respecte la chose jugée. J’ai moi-même, le soir même repris progressivement l’alimentation et majoré l’hydratation », indique le Dr Kariger. S’il reconnaît l’erreur et « s’il assume toute sa responsabilité », il pense que dans ce cas précis, la situation était particulièrement difficile dans un contexte familial conflictuel.

Le patient, âgé aujourd’hui de 37 ans, tétraplégique à la suite d’un accident de moto avec traumatisme crânien survenu en 2008, est suivi dans le service depuis 5 ans après une prise en charge en réanimation. « Vincent a également été suivi plusieurs fois en centre d’éveil et de rééducation à Berck. Nous le suivons en unité pauci-relationnelle. Le pronostic est pessimiste sur le plan neurologique et fonctionnel », souligne le chef de service. À la demande des parents, « une expertise est même réalisée en Belgique dans un excellent centre qui confirme l’état pauci-relationnel, conscience minimale plus », poursuit-il. Des séances d’orthophonie sont mises en place pour tenter d’établir un mode de communication fiable mais sans succès. Depuis 3 ans, le patient est accompagné par une équipe soignante qui le connaît bien. Sa femme et sa fille viennent régulièrement le voir. « L’épouse était notre référente », relève le Dr Kariger.

Au début de l’année 2013, le comportement du patient se modifie. « Il est plus agité, plus opposant avec des mouvements moteurs au moment des soins. Il tournait la tête quand on le rasait ou avait des crispations plus importantes lors des changes alors qu’il s’était laissé faire jusque-là », décrit le médecin. Un comportement inhabituel chez ce type de patients qui, explique le praticien, « sont considérés comme non souffrants pour eux-mêmes ». Le doute s’installe dans l’équipe. Après avoir éliminé une cause médicale, l’hypothèse est avancée que le patient tente de manifester « une certaine inacceptation de son état ». Une procédure collégiale est alors engagée avec plusieurs médecins dont un médecin extérieur au service, référent éthique au CHU et l’équipe. Le malade n’avait pas désigné de personne de confiance. « L’épouse était notre référente. C’était pour nous la personne de confiance même si elle ne l’était pas juridiquement. La jurisprudence nous donne raison », précise le Dr Kariger. L’équipe ne disposait pas non plus de directives anticpées mais le patient qui était infirmier psychiatrique avait plusieurs fois exprimé qu’une vie végétative n’avait pour lui pas de sens, ce que confirment la femme et un frère proche de lui.

« En accord avec sa femme qui l’accompagne quotidiennement depuis l’accident nous avons collégialement décidé le 10 avril que le maintien des soins d’hydratation et d’alimentation constituait dans ce contexte une obstination déraisonnable », a-t-il indiqué.

La mère du patient est prévenue avant l’arrêt des traitements « qu’une procédure collégiale a été lancée qui pouvait aboutir à un arrêt d’alimentation pour laisser partir Vincent naturellement bien sûr avec un accompagnement pour éviter qu’il ne meure de faim ou de soif », précise le Dr Kariger. Elle exprime alors clairement son opposition et demande d’en discuter avec le père de Vincent, lui-même médecin à la retraite. L’alimentation est arrêtée avant que les deux parents ne soient revus par l’équipe soignante. « J’assume toute la responsabilité de cet arrêt mis en œuvre avant que les parents aient été précisément informés. C’est une erreur mais la procédure avait été longue et l’équipe pensait que c’était le bon moment. J’ai ensuite informé les autres membres de la famille », 8 frères et sœurs de 2 unions différentes. Dans les faits, c’est l’un des frères qui s’aperçoit que Vincent n’était plus alimenté. Les parents après avoir cherché eux-mêmes à arrêter la procédure font appel à un avocat, Jérôme Triomphe, qui finira par saisir le juge des référés. L’objectif aujourd’hui est « de dépassionner les choses et de continuer humblement à faire au mieux notre travail », conclut le Dr Kariger. L’équipe attend toutefois les résultats de la plainte déposée par la famille pour assassinat et non assistance à personne en danger, une procédure actuellement au stade de l’instruction.

Directives anticipées et personne de confiance.

Selon l’observatoire de la fin de fin, cette affaire constitue « un cas concret d’application de la Loi Leonetti » et que la décision du juge des référés précise. « Cette affaire pose de bonnes questions, estime Lucas Morin coordonnateur de l’Observatoire. En particulier dans un cas comme celui-là où un adulte n’est pas en capacité d’exprimer sa volonté, quel membre de la famille faut-il prévenir, les parents, les enfants. Jusqu’où va la famille ? ». Jean Leonetti est aussi de cet avis. « Il s’agit d’un problème de forme et non d’un problème de fond », précise-t-il. L’auteur de la loi souligne également : « une fois de plus, l’on constate que lorsqu’il n’existe pas de « directives anticipées et qu’aucune personne de confiance n’a été désignée... le processus décisionnel est rendu plus difficile ». Un point sur lequel insiste aussi la société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Jean Leonetti, dans la proposition de loi qu’il a déposé le 27 février dernier visant à compléter sa loi de 2005 a d’ailleurs souhaité que les directives anticipées deviennent opposables pour renforcer la prise de décision.

Quant à modifier la loi pour la rendre plus précise, le député UMP assure que non : « Nous savons bien que le sujet complexe de la fin de vie touche à l’intime de chacun et que... la démarche décisionnelle est toujours délicate. C’est par le dialogue et dans la recherche d’un consensus plus que dans la précision de dispositions législatives ou réglementaires supplémentaires » que de telles décisions doivent être prises.

Pour le Dr Éric Kariger cela ne fait aucun doute : « La loi Leonetti est très équilibrée, elle est aussi parfaite que pourrait l’être une loi et par essence, une loi ne peut pas tout régler et elle n’a pas vocation à tout régler ».

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 9243