Grippe A(H1N1)v : Les accusations contre les experts

La DG de l’Institut Pasteur monte au créneau

Publié le 27/01/2010
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Crédit photo : AFP

LE QUOTIDIEN - Qu’en est-il des liens existant entre des chercheurs de l’Institut Pasteur spécialisés sur les virus grippaux et les fabricants de vaccins ou d’antiviraux ?

Pr ALICE DAUTRY - Aucun des deux chercheurs qui ont été nommés, contrairement à ce qui a été rapporté, n’est ou n’a été « rémunéré » par l’industrie. Le Pr Jean-Claude Manuguerra (responsable de la cellule biologique d’intervention d’urgence) est rémunéré exclusivement par nous, le Pr Sylvie van der Werf est rémunérée conjointement par nous et par l’université Paris-VII. Le laboratoire du premier n’a passé à ce jour aucun contrat avec l’industrie, celui de la seconde a conclu un accord avec GSK, mais pour des travaux sur le sras qui représentent 2 % de son budget.

En tant qu’experts de l’OMS, ont-ils déclaré des conflits d’intérêt ?

Le Pr Manuguerra a spécifié qu’il était intervenu en mars 2009 dans le cadre d’un colloque de cliniciens canadiens pour lequel son déplacement et un défraiement de 2 000 euros ont été financés par Roche. Le Pr van der Werf a déclaré sa participation à des essais cliniques sur le Tamiflu, pour lesquels Roche a fourni les médicaments mais sans verser de rémunération. C’est tout.

ATTENTION À UN CLIMAT DE SUSPICION QUI DEVIENDRAIT PARALYSANT

Concrètement, ont-ils collaboré avec l’industrie dans le cadre de leurs travaux sur la pandémie grippale A(H1N1)v ?

L’un et l’autre ont travaillé jour et nuit depuis le 27 avril pour mettre au point en quinze jours le nouveau diagnostic ; compte tenu de la demande internationale, ils ont eu besoin d’un second appareil pour mettre au point leur application, appareil d’un coût de 60 000 euros. C’est Roche qui l’a mis à disposition pour faire face au contexte d’urgence où nous nous trouvions.

Les règles qui garantissent l’indépendance des chercheurs doivent-elles être renforcées ?

Je ne me prononcerai pas pour les chercheurs autres que ceux qui collaborent à l’Institut Pasteur. Pour notre part, nous venons d’élaborer sous la direction de notre comité d’éthique, présidé par le Pr Jean-Pierre Changeux, avec le prix Nobel de médecine 2008, le Pr Françoise Barré-Sinoussi, une charte d’éthique qui a été signée en octobre 2009. Nous y rappelons les grands principes auxquels nous sommes attachés, à l’interface entre la recherche, la santé publique, la médecine, l’enseignement et les personnes malades. Nous y affirmons l’importance de la liberté de la recherche scientifique ainsi que la nécessité de l’inscrire dans un cadre rigoureux, doté d’un comité de vigilance, d’un code de déontologie scientifique et d’un comité de veille déontologique. Cette démarche est primordiale pour une institution comme la nôtre, dont l’image doit être absolument respectée. Notre réputation a été acquise par des décennies de travaux et des générations de chercheurs et elle ne saurait être entachée par des tissus de mensonges, alors que nous sommes en compétition au plus niveau mondial, avec des centres de recherches comme Harvard.

Allez-vous porter plainte contre les journaux qui vous mettent en cause ?

J’ai été très choquée par ces attaques. Mais il ne faudrait pas leur faire trop d’honneur. Nous avons d’autres priorités budgétaires que les frais de justice.

Quelle est la part de l’industrie privée dans le budget de Pasteur ?

Elle représente 2 %. En ce qui concerne la grippe A, nous n’avons pas actuellement conclu de partenariat privé. Pour la grippe saisonnière, nous travaillons ensemble de longue date. Chaque année nous prévenons les industriels sept mois à l’avance, quand il s’agit de définir le virus pour mettre au point le vaccin.

Quel avenir voyez-vous au partenariat public-privé en matière de recherche ?

La coopération de l’ensemble des acteurs, chacun dans son rôle, sans empiéter sur d’autre domaine que le sien, est primordiale : États, ONG, organismes indépendants, firmes industrielles, pour combattre les maladies émergentes et les maladies négligées, et bien sûr les grandes pandémies, le partage d’expérience, la coalition des moyens de financement de recherche de prévention et de formation sur le terrain sont la clé. J’appelle personnellement à la mobilisation de tous les acteurs internationaux au sein des programmes communs pour résoudre les problèmes de santé.

Des défis économiques majeurs doivent aussi être relevés avec la recherche, qui est source d’innovations et de création d’emplois dans un contexte de très haut niveau technologique, en dehors du cadre académique. Les chercheurs, quel que soit l’endroit où se trouve leur laboratoire, se battent au quotidien pour apporter les bienfaits de leurs découvertes à l’ensemble de l’humanité. Nous devons unir tous nos efforts pour l’amélioration de la santé publique mondiale. Aujourd’hui, nous souffrons d’être trop divisés pour traiter des problèmes très complexes.

Comment accueillez-vous la perspective de la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la pandémie grippale ?

Je suis favorable à une mise à plat des informations.

Jugez-vous souhaitable de renforcer les règles de transparence actuelles ?

Peut-être faut-il être plus précis dans les déclarations de conflits d’intérêt et les procédures de contrôle. En même temps, il faut être vigilant, le climat de suspicion ne doit pas devenir paralysant.

 PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8696