IRAK, DARFOUR, Colombie, mais aussi Afghanistan, ou Pakistan : sur tous les fronts, les acteurs humanitaires sont devenus les cibles des preneurs d’otages. Dans le cadre du débat organisé pour la troisième édition d’Humani’Book*, « La captivité, rançon de l’engagement humanitaire », l’ancien président de Médecins du Monde, Pierre Micheletti, plantera cet inquiétant décor en évoquant l’enlèvement dont furent victimes en 2008 deux volontaires de son association, un Hollandais et un Japonais, en Ethiopie. « Nous avions fait le choix de négocier nous-mêmes avec les kidnappeurs, sans passer par les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, témoigne-t-il. Les pourparlers avaient été tour à tour financiers et politiques, avec des groupes qui s’étaient échangé les ôtages. La libération a pu être obtenue après trois mois sous haute tension. » Officiellement, aucune rançon n’a été versée, comme c’est la règle. Ajoutés aux violences des guerres, de tels kidnappings augmentent ce que le Dr Micheletti appelle « l’insécurité perceptuelle » : une évaluation subjective des risques qui conduit les décideurs humanitaires à s’adapter, ou à renoncer, comme c’est actuellement le cas en Syrie, avec l’enfer inaccessible de Homs. Comme l’explique le Dr Marie-Pierre Allié, présidente de MSF, « La médecine est utlisée dans ce pays comme une arme de persécution, les médecins sont pourchassés et courent le risque d’être arrêtés et torturés » («le Quotidien » du 23 février). La base de donnée créée en 2000 par un groupe de chercheurs anglo-américains (Non-govern organs overseas development institute) enregistre cependant un niveau de risque plutôt stable, si l’on excepte les pays du « top 5 » (Irak, Afghanistan, Soudan, Tchad et Sri Lanka), avec 6 actes violents par an pour 10 000 acteurs humanitaires présents sur le terrain. Selon ces données épidémiologiques mondiales, les personnels locaux sont cinq fois plus exposés que les expatriés.
Des équipes prises pour cibles.
Toutefois, l’évolution des courbes du risque humanitaire au cours de la dernière décennie diffère selon les acteurs : si elles sont à la baisse pour le CICR et restent relativement stables pour les personnels onusiens, elles accusent une nette hausse pour les ONG. Selon le rapport publié par MSF, les équipes médicales de ces associations seraient délibérément prises pour cibles, au mépris des règles qui régissent les conventions internationales. Dans ce contexte, la France, berceau du sans-frontiérisme, voit émerger une situation inédite : « Paradoxalement, le risque d’une violence délibérée à l’égard des expatriés des ONG françaises est devenu non négligeable, constate le Dr Micheletti. Là où la France s’est engagée militairement (pays du Sahel, Côte d’Ivoire, Afghanistan), l’exposition de ses ressortissants humanitaires, par contiguïté, est telle qu’il faut envisager leur retrait pur et simple.»
Le Comité international de la Croix Rouge a forgé un néologisme pudique pour désigner cette situation : « l’affectabilité », selon la nationalité. Le CICR considère ainsi depuis plusieurs années que les expatriés venus des Etats-Unis ont une affectabilité quasiment nulle. Il pourrait bientôt porter le même jugement sur les Français.
Les ONG françaises ne sauraient rester indifférentes à cette situation nouvelle. Au nom du principe de réalité et de précaution, elles limitent leurs engagements sur certains territoires, comme en Syrie. « Alors que se restreint l’espace humanitaire, elles doivent veiller à clarifier leur positionnement, insiste l’ancien président de MDM, pour couper court aux dangereuses confusions entre leurs engagements et une certaine politique étrangère, à laquelle elles ne sauraient participer.»
*Cinéma Nouveau Latina, 20, r. du Temple, 75004 Paris, vendredi 9, 19 h- 22 h débat sur la captivité, samedi 10, 15 h-19 h, présence de 30 auteurs. Entrée libre.
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