LE VIRUS MUTANT de la grippe n’en finit pas de faire débat. Alerté par une communication du Pr Ron Fournier lors du Congrès de l’ESWI (European scientific working group on influenza), l’Agence américaine pour la biosécurité (NSABB, National science advisory board for biosecurity) s’est tout de suite inquiétée d’une éventuelle utilisation des données à des fins de bioterrorisme. Au centre Erasmus de Rotterdam, l’équipe du Pr Fournier a en effet a réussi à introduire plusieurs mutations dans le génome du virus H5N1, ce qui a permis d’obtenir une souche hautement contagieuse capable de se transmettre d’homme à homme. Les données devaient être publiées dans la revue américaine « Science ». L’équipe de Rotterdam n’était pas la seule. Des chercheurs de l’Université du Wisconsin (Nord) sont également parvenus à un résultat similaire. Eux aussi s’apprêtaient à publier dans la revue britannique « Nature ».
Le 30 novembre dernier, le NSABB demandait officiellement aux deux revues « d’effacer des détails portant sur la méthodologie scientifique et les mutations spécifiques du virus » avant toute publication. Les deux revues se disaient prêtes à examiner la manière la plus adéquate de publier les résultats sans compromettre la santé publique ni la recherche.
Vent de protestation.
Toutefois, la décision du NSABB soulevait un vent de protestation dans la communauté scientifique qui y voyait un premier pas vers une censure scientifique. Si pour de « fallacieuses inquiétudes sur le risque de terrorisme, des petits groupes auto désignés commencent à censurer, cela entachera toute la communication scientifique », soulignait par exemple John Oxford (London Queen Mary’s school of medicine). Un autre chercheur de l’Université de Columbia indiquait sur son blog que cette décision créait « un précédent pour censurer de futurs résultats expérimentaux ».
L’accusation de censure était tout de suite rejetée par Anthony Fauci, directeur de l’Institut national américain des maladies infectieuses (NIAID), institut qui figure parmi les promoteurs des travaux du Pr Fouchier. « Il ne s’agit absolument pas de censure puisqu’un chercheur légitime désirant par exemple développer un vaccin ou travaillant pour l’Institut Pasteur obtiendra ces informations », indiquait-il. Antony Fauci reconnaissait aussi que « de nombreux scientifiques ne sont pas d’accord avec le comité du NSABB ». Il faut donc « ré-examiner la raison de cette décision de manière à ce qu’on puisse tous d’une façon transparente parvenir à élaborer des directives concrètes sur ce qui doit être pris en considération dans ce type de recherche ».
Le moratoire de 60 jours décidé par une quarantaine de chercheurs dont les deux investigateurs Ron Fournier mais aussi Yoshiriro Kawaoka de l’équipe du Wisconsin, donne le temps de ce réexamen. Le Pr Fournier dans un entretien accordé à « Science », explique avoir été surpris de la décision « sans précédent » de l’agence de biosécurité américaine. « Le NSABB que les risques étaient plus nombreux que les bénéfices ; maintenant beaucoup pensent que dans ce cas, nous ne devrions pas du tout faire ce type de recherche du tout. C’est une réponse logique. Mais la communauté des infectiologues n’est pas d’accord avec cela ». Le chercheur explique que le risque de bioterrorisme est dans ce cas limité : « les bioterroristes ne peuvent pas fabriquer un tel virus. Il est trop complexe ». Il s’agit, Selon lui, d’insister sur les bénéfices d’une telle recherche en termes de santé publique, ce qu’a peu fait le NSABB.
Partage des connaissances.
En France, le Pr Jean-Claude Ameisen, président du comité d’éthique de l’INSERM partage cette opinion. « L’idée d’un moratoire et d’une réflexion internationale est une bonne idée », explique-t-il au « Quotidien ». « J’étais inquiet de la précipitation avec laquelle de nouvelles modalités de publication allaient se mettre en place sans qu’il y ait vraiment eu de réflexion collective », poursuit-il. Chercheur mais aussi spécialiste de l’éthique, il souligne : « quand des questions importantes se posent et qu’on n’est pas dans une situation d’urgence, il est urgent de prendre le temps de réfléchir ». Dans les années 1970, lors de la conférence d’Asilomar (Californie), des scientifiques avaient aussi appelé à un moratoire sur les manipulations génétiques car ils craignaient que des bactéries modifiées ne se répandent dans l’environnement. Le Pr Ameisen rappelle que lors de cette conférence réunissant une centaine de chercheurs, jamais il n’a été question de limiter la diffusion des études. « Le partage des connaissances constitue une des valeurs de la science », souligne-t-il. Si le temps de la réflexion lui semble nécessaire et même indispensable - notamment pour s’assurer du niveau de sécurité des laboratoires qui se lancent dans des études de ce type -, limiter la publication des données est, selon lui, totalement contre productif et dangereux. « Suivant les époques et les régimes la notion de ce qui est une information dangereuse diffère et en général, pas au bénéfice des sociétés », précise-t-il. Une telle évaluation ne peut être, selon lui, réalisée que « par des instances internationales qui ont les compétences biologiques, médicales et sociétales et qui n’ont pas comme seul point de focale, la biosécurité ». L’OMS (Organisation mondiale de la santé), « plus raisonnable en matière de sécurité », pourrait être cette instance, de l’avis du Dr Jean-Claude Manuguerra, virologue, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence à l’Institut Pasteur. S’il le juge légitime notamment pour rassurer les populations, il met en garde contre la surenchère réglementaire. « Ne congelons pas la science », conclut-il.
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