Dr Céline Gréco (hôpital Necker) : «  Les médecins ont des difficultés à oser penser qu’un enfant puisse être victime de maltraitances »

Par
Publié le 19/11/2021
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : DR

Depuis avril, la Fondation des Hôpitaux (opération Pièces Jaunes) a initié dans sept hôpitaux des unités mobiles de repérage, de dépistage, de diagnostic et de suivi des enfants victimes de maltraitance. À l’occasion de la Journée nationale de prévention des abus sur les enfants le 20 novembre, la Dr Céline Gréco, pédiatre à l’hôpital Necker, coordinatrice du dispositif et auteure sous le pseudo de Céline Raphaël de « La démesure », présente l’initiative et ses ambitions.

LE QUOTIDIEN : Quels constats ont motivé la création de ces équipes mobiles pour le repérage et la prise en charge des enfants victimes de maltraitances physiques, psychologiques et sexuelles ?

Dr CÉLINE GRÉCO : Le premier est la difficulté de repérer ces enfants. Même si on progresse, on reste autour de 5 % de signalements venant du corps médical. C’est une carence importante à l’hôpital mais aussi en ville. Les médecins ont encore des difficultés à simplement oser penser qu’un enfant puisse être victime de maltraitances.

Le deuxième constat concerne la prise en charge. Après le repérage, on observe une carence dans la prise en charge de leur santé physique et psychique. Parmi les enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), moins de 30 % bénéficient d’un bilan de santé à l’admission dans le dispositif. Et parmi ceux en ayant bénéficié, moins de 10 % auront un suivi médical. Ce sont donc des enfants avec des carences bien supérieures à ceux de la population générale, mais qui sont moins bien suivis sur les plans physique et psychologique.

Une fois adultes, ils développent pourtant des séquelles majeures. On estime que les enfants qui ont été victimes de violences perdent 20 ans d’espérance de vie, souffrent 3 fois plus de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte, 4 fois plus de diabète, 3 fois plus de maladies respiratoires et 12 fois plus de dépression et de tentative de suicide. Ces données issues notamment d’enquêtes menées auprès d'enfants de l’ASE montrent une vie adulte très altérée du fait des violences subies et non prises en charge. On ne peut plus oublier ces enfants qui deviendront les adultes de demain.

En quoi consiste le dispositif ?

L’idée est de répondre à ces deux problématiques en améliorant le repérage de ces enfants et la prise en charge médicale. Pour l’instant, cinq équipes mobiles ont été créées à Paris et en Île-de-France (dans les hôpitaux Robert-Debré, Necker, Trousseau, Jean-Verdier et Kremlin-Bicêtre). Deux autres sont à Brest et Grenoble. La Fondation des Hôpitaux qui finance le dispositif envisage d’élargir ces équipes pour couvrir l’ensemble des régions, DOM-TOM compris.

Ces équipes sont composées d’un médecin, spécialisé en protection de l’enfance, une psychologue ou une infirmière puéricultrice également formée, et une assistante sociale. L’objectif est d’abord, en intra-hospitalier, de se faire connaître de tous les services, de pouvoir participer au staff des services quand un cas est suspecté ou détecté et d’aider les équipes à diagnostiquer.

Elles apportent leur expertise pour le diagnostic qui reste difficile à poser. À Necker, par exemple, des enfants sont atteints de pathologies chroniques, de maladies rares et il est difficile de soupçonner des maltraitances chez ces enfants qui souffrent déjà. On sait pourtant que la maladie ou le handicap sont des facteurs de risque de violences. Quand les parents ont un enfant qui ne correspond pas à ce qu’ils attendaient, cela crée un risque de violences, d’autant plus difficile à identifier que les médecins peinent à considérer ces parents comme potentiellement maltraitants.

Les équipes assurent également la prise de contact avec les instances judiciaires ?

Les équipes accompagnent également si nécessaire la rédaction des signalements. Elles rencontrent les familles, mettent en place des aides, etc. L’idée est vraiment de repérer plus tôt pour éviter les placements en travaillant avec les parents sur des aspects éducatifs, psychologiques, etc. Quand c’est possible, il s’agit de mettre en place tout ce qu’il faut autour de la famille pour la soutenir et éviter que les dangers ne deviennent de réelles maltraitances qui conduiraient à un placement. Quand la situation est déjà catastrophique avec des maltraitances avérées, il faut en revanche faire le nécessaire pour protéger l’enfant.

En Île-de-France, l’ambition est que ces équipes puissent intervenir dans l’ensemble des établissements du territoire, mais qu’elles soient aussi un relais de la ville. Pour un médecin isolé dans son cabinet, il est très compliqué d’oser penser que les parents en face d’eux, qu’ils peuvent connaître depuis longtemps, sont auteurs de violences ou de maltraitances. Ils peuvent par exemple craindre des représailles de la famille. Aussi, effectuer seul un signalement ou une information préoccupante n’est pas aisé. Ça doit être un travail d’équipe. On souhaite ainsi que les pédiatres, généralistes de ville, de même que les établissements scolaires, puissent nous adresser ces enfants.

Qu’en est-il de la prise en charge ?

Après le repérage, il s’agit bien sûr d’organiser la prise en charge médicale. En Île-de-France, le but est de constituer un réseau de soins entre la ville et l’hôpital pour que tous les enfants repérés bénéficient d’un bilan de santé physique et psychique, avant d’être inscrits dans un parcours de soins.

Trois parcours sont définis. Le premier, pour les enfants repérés tôt et qui vont plutôt bien, consiste en un suivi simple. Le deuxième s’adresse à ceux qui ont besoin d’un suivi plus poussé par des spécialistes en ville, par un psychologue par exemple. Le dernier porte sur les enfants à la santé très altérée et qui nécessitent une prise en charge spécialisée à l’hôpital. L’idée est donc d’organiser un hôpital de jour et de faire venir les spécialistes au chevet de l’enfant, dans un souci d’optimisation de sa prise en charge.

Que peuvent entreprendre les médecins pour améliorer leurs capacités de repérage ?

Il existe des signes spécifiques de maltraitance que savent repérer les médecins formés à cette clinique des violences. La présence d’hématomes, de brûlures, de fractures est un indice. Une fracture chez un enfant qui ne marche pas encore doit alerter par exemple, même s’il est nécessaire d’éliminer les diagnostics différentiels.

Les troubles du comportement ne sont bien sûr pas spécifiques mais participent à un faisceau d’arguments. L’important est de ne pas rester seul. Quand il y a un doute, il faut se rapprocher des compétences disponibles, notamment présentes dans les Unités d’accueil pédiatriques Enfants en Danger (UAPED).

Comment aborder ces questions avec les parents ?

Il y a de ce point de vue un effort de formation à entreprendre sur la clinique de la violence. Les internes restent mal formés. De plus en plus, des jeux de rôle sont mis en place, notamment pour les consultations d’annonce où on apprend à dire à un patient qu’il est atteint d’une maladie grave. C’est une piste pour apprendre à parler avec la famille. Quand la démarche est trop difficile, il faut passer la main aux professionnels formés.

Les parents ne sont pas bourreaux par plaisir. La majorité ne souhaite pas faire volontairement mal à son enfant. Il s’agit plus souvent de parents paumés qui parfois ont été victimes de violences et n’ont pas le mode d’emploi pour éduquer leur enfant. Mais, ils sont accessibles à la discussion, au travail psychologique ou social.


Source : lequotidiendumedecin.fr