Maladies cardiovasculaires et hypertension artérielle

La transition épidémiologique ?

Publié le 16/06/2016
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Crédit photo : PHANIE

En 1971, Omran a formulé la théorie de la « transition épidémiologique » pour expliquer les changements dans le temps des causes de décès : tout en se développant et en se modernisant, les sociétés humaines connaissent un « changement dans les causes de mortalité et de maladie » (1).

La première transition épidémiologique a eu lieu il y a environ 1 000 ans. Elle a amené le monde à la deuxième étape celle du recul des pandémies, liée à l'évolution de la recherche et de la production de nourriture. À cette époque, l'espérance de vie atteint 40 ans d'âge. La deuxième transition épidémiologique, conduisant à la troisième étape, a eu lieu au XXesiècle allongeant l'espérance de vie moyenne à plus de 50 ans ; la cause principale de mortalité passe alors des maladies infectieuses aux maladies dégénératives.

Épidémiologie cardiovasculaire : les trois dernières décennies

Les maladies cardiovasculaires représentent la principale cause de décès dans le monde. Néanmoins, les taux de décès d'origine cardiovasculaire, ajustés au sexe et à l'âge, ont diminué régulièrement depuis les trois ou quatre dernières décennies. L'amélioration de la mortalité cardiovasculaire dans le monde industrialisé est en relation avec trois phénomènes majeurs différents :

- tout d'abord, il y a une meilleure prévention primaire en raison d’un meilleur dépistage et d’un meilleur traitement des facteurs de risque cardiovasculaire ;

- de plus, nous observons un traitement plus efficace des premiers événements cardiovasculaires résultant en une grande réduction de la létalité ;

- enfin, il y a aussi une meilleure prévention secondaire avec une plus large utilisation de traitements dont l'efficacité est démontrée.

L'hypertension artérielle, un facteur de risque majeur

L'hypertension artérielle est un important pourvoyeur de maladie coronaire, d'accident vasculaire cérébral, de trouble du rythme, d’insuffisance cardiaque, d’insuffisance rénale et de démence. Dans les trois dernières décennies, nous avons observé une réduction de la mortalité par accident vasculaire cérébral et par infarctus. L’allongement de l’espérance de vie donne donc la « possibilité » de développer des maladies cardiovasculaires « terminales » (ainsi que des cancers), telles que l’arythmie, l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale et la démence. De nouvelles stratégies thérapeutiques devraient tenir compte de cette « transition épidémiologique » dans l'hypertension artérielle (2).

Du prêt à porter à la haute couture

Nous avons donc besoin de développer de nouvelles stratégies de réduction des risques, afin de diminuer le fardeau de ces maladies cardiovasculaires dégénératives. Nous proposons six nouvelles pistes (2) :

Au cours des premières années de l'hypertension, ne faudrait-il pas proposer des objectifs thérapeutiques tensionnels plus ambitieux ? Plusieurs études ont montré que la réduction rapide de la pression sanguine était préférable à la temporisation. Sur quel paramètre de la pression artérielle devrait-on se concentrer ? Il est maintenant bien accepté que la composante systolique doit être privilégiée chez les sujets âgés.

Par ailleurs, quelle devrait être la place de la mesure de la pression artérielle centrale ? Pourquoi ne pas décider du choix de l’antihypertenseur en fonction du type de maladies à prévenir ? Par exemple, les bloqueurs du système rénine-angiotensine-aldostérone peuvent probablement prévenir la fibrillation atriale au-delà de la réduction de la pression artérielle ; les diurétiques thiazidiques et les antagonistes des canaux calciques semblent être supérieurs à des comparateurs pour la prévention de la démence.

Les combinaisons d’antihypertenseurs devraient être utilisées plus fréquemment. En plus d'atteindre plus facilement et rapidement les objectifs de la pression artérielle, ces combinaisons peuvent associer leurs capacités de prévention spécifiques (le cas échéant), au-delà de la réduction de la pression artérielle.

Notre sixième nouvelle stratégie proposée concerne la temporalité du traitement antihypertenseur. Les systèmes hormonaux ne sont pas constants tout au long de la vie. Les médicaments interférant avec ces systèmes n’auront donc pas d’efficacité similaire tout au long de la vie de l’hypertendu.

En conclusion, à partir du concept de la transition épidémiologique, on peut observer, depuis les dernières décennies, les évolutions des causes de décès d'origine cardiovasculaire, les maladies cardiovasculaires au stade terminal (fibrillation atriale, insuffisance rénale, démence et insuffisance cardiaque) étant de plus en plus fréquentes par rapport à la maladie coronarienne et cérébrovasculaire. L’hypertension artérielle étant le facteur de risque cardiovasculaire commun le plus répandu de toutes ces maladies, les modifications des stratégies thérapeutiques antihypertensives auraient le plus d'impact sur leur survenue, et donc sur l’amélioration de l’espérance de vie.

Hôtel-Dieu, université Paris-Descartes (Paris)

(1) Omran AR. The epidemiologic transition. A theory of the epidemiology of population change. Milbank Mem Fund Q 1971;49:509–38

(2) Blacher J et al. Lancet 2016 Feb 5. pii: S0140-6736(16)00002-7. doi: 10.1016/S0140-6736(16)00002-7

Pr Jacques Blacher

Source : Bilan Spécialiste