Bientôt 9 milliards d'humains à nourrir

L'entomophagie s'invite dans nos pratiques alimentaires

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Publié le 02/11/2017
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entomophagie

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Crédit photo : PHANIE

En 2030 ce sont 9 milliards de personnes que la planète devra nourrir. Face à la pollution des sols, au surpâturage et au manque de surfaces cultivables, de nouvelles solutions sont nécessaires. L’une d’elles pourrait être l’entomophagie.

Celle-ci est déjà pratiquée : « 2 086 espèces d’insectes sont consommées par environ 3 071 groupes ethniques dans 130 pays du monde », assure l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) dans un avis datant de 2015. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), dans son rapport « Edible insects » datant de 2013, « les insectes complètent les régimes alimentaires d'environ 2 milliards de personnes et ont toujours fait partie de l'alimentation humaine. » Sans parler de la consommation non intentionnelle, évaluée « entre 500 g et un kilogramme de fragments d’insectes, notamment dans les produits fabriqués à base de farine, chocolat, fruits et légumes », poursuit l’ANSES.

Riches en protéines et respectueux de l’environnement

Les partisans de l’entomophagie vantent les mérites d’une alimentation à base d’insectes. « Ils sont riches en protéines, leur élevage dégage moins de gaz à effet de serre que celui d’autres animaux (10 à 100 fois moins que l’élevage de porc), génère moins de déchets, et nécessite moins d’espace », indique Samir Mezdour, chercheur en sciences des aliments et procédés agroalimentaires à AgroParistech. « Les insectes pourraient même constituer des bioconvertisseurs des sous-produits et coproduits de l’agriculture, en les utilisant comme nourriture, pour les transformer en une source plus noble de protéines. » C’est ce que fait une société, Cycle Farms, qui utilise la mouche soldat noire, nourrie à partir de biodéchets végétaux, pour produire farine, huile et compost, destinés aux élevages piscicoles. La FAO renchérit dans son rapport que « les insectes sont partout et se reproduisent rapidement. Ils présentent des taux de croissance et de conversion alimentaire élevés et ont un faible impact sur l'environnement pendant tout leur cycle de vie. Ils sont nutritifs, avec une teneur élevée en protéines, matières grasses et minéraux. »

Des risques mal identifiés

Cependant, l’ANSES fait part de son inquiétude face aux risques possibles – et surtout à leur méconnaissance. Dans son avis portant sur la « valorisation des insectes dans l’alimentation et l’état des lieux des connaissances scientifiques sur les risques sanitaires en lien avec la consommation des insectes », l’Agence a abordé les questions relatives aux dangers sanitaires (biologiques, physiques, chimiques, allergiques, etc.) chez les insectes et produits à base d’insectes.

Elle précise que ces dangers peuvent être de deux grands types, « spécifiques à l'espèce : présence de dangers microbiens ou d’origine microbienne, de corps étrangers, de substances toxiques (intrinsèques ou bioaccumulés), de substances anti-nutritionnelles ou d’allergènes ; liés aux pratiques d'élevage (alimentation, médicaments vétérinaires), de transformation ou encore aux conditions de conservation et de transport. » Et elle recommande entre autres d’accentuer l’effort de recherche sur ces thématiques.

La FAO, plus enthousiaste, signale qu’il « n'y aucun cas connu de transmission de maladies ou de parasites aux humains par la consommation d'insectes (à condition que ces derniers soient manipulés dans les mêmes conditions d'hygiène que tout autre aliment). Il peut y avoir des cas d'allergies, comparables, néanmoins, aux allergies aux crustacés. Par rapport aux mammifères et aux oiseaux, les insectes peuvent poser moins de risques de transmission d'infections zoonotiques pour les humains, le bétail et la faune, bien que ce sujet exige davantage de recherche. »

Pour le Pr Michel Federighi, de l’École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Oniris de Nantes, « on va un peu trop vite et sans analyse des dangers ». Ce spécialiste estime que, même si les insectes ne semblent pas pouvoir constituer un réservoir de pathogènes pour l’homme, et que le danger biologique semble donc assez limité, les autres risques (allergique ou autres) doivent être pris en compte.

Alimentation humaine et surtout animale

En France, les insectes sont envisagés pour l’alimentation humaine. Ils doivent passer par la procédure dite « novel food ». Celle-ci va changer, pour aller vers une simplification (diminution des délais et des coûts) à partir du 1er janvier 2018. Mais pour l’instant, « aucun insecte, ni dérivé d’insecte, ne peut être mis sur le marché pour l’alimentation humaine en conformité stricte avec la réglementation actuellement en vigueur », précise l’ANSES. En revanche, ils ont été autorisés tout récemment dans l’aquaculture et pourraient l’être prochainement pour le poulet.

Mais de quels insectes parle-t-on au juste ? Parmi les 2 000 espèces qui sont consommées dans le monde, seules quelques-unes attirent vraiment l’attention des industriels, car elles se prêtent davantage à l’élevage de masse, généralement sous leur forme larvaire. Le ténébrion meunier (Tenebrio molitor), la mouche soldat (Hermetia illucens) et la mouche domestique (Musca domestica) sont au premier plan.

Fabienne Rigal

Source : Le Quotidien du médecin: 9615