Les cheveux dressés en étoile au-dessus de sa tête, la jeune maman garde les yeux rivés sur sa petite fille de dix-neuf mois, sous perfusion. « Elle a de la fièvre et des maux de ventre, et elle n’arrive plus à manger », explique Korotimi Ouédraogo, assise sur son lit d’hôpital.
« Lundi on a fait un examen de sang, ça n’a rien donné. Hier on a fait les urines et ils ont trouvé des leucocytes. Depuis on a commencé le traitement. » La pédiatrie du centre de référence de Séguénégua, dans le nord-est du Burkina Faso, accueille de nombreux patients. Dans la cour, des hommes attendent en silence sur un banc, devant une chambre. Le soleil frappe fort mais ne ralentit pas le ballet du personnel en blouse blanche. « Je n’ai rien payé pour tout ça, précise d’une voix posée et reconnaissante Korotimi Ouédraogo. Sans ça, je n’aurai pas eu les moyens. Je suis une jeune enseignante, le papa est commerçant. Nous n’aurions pas pu tout payer. »
Les analyses, la perfusion, les médicaments, c’est Terre des hommes qui les a payés.
Depuis 2008, cette ONG mène, en partenariat avec les autorités sanitaires de l’Etat, un programme d’exemption de paiement. Un programme qui permet aux femmes enceintes du district et à leurs enfants de moins de cinq ans de bénéficier de soins médicaux sans avoir à débourser un seul franc. « C’est un système de tiers-payant, explique le Noël Zonon, pédiatre et chef de projet pour Terre des hommes. Nous prenons en charge le coût des prestations, ce qui permet au centre de santé de continuer sa gestion et de suivre ses procédures normalement. Nous n’intervenons qu’à la sortie, pour payer à la place des parents. »
Eviter les détournements
L’action de Terre des hommes ne se limite cependant pas à signer des chèques. L’organisation soutient les services de santé en place dans le district, pour améliorer les prestations : « nous avons voulu nous intégrer au système sanitaire en place explique le Dr Zonon, pas nous substituer. Nous avons donc formé le personnel des centres, mis en place des ères de lavage à disposition des mères, ou encore installé des systèmes d’évacuation pour certains déchets comme les liquides organiques. » Une organisation minutieuse a également été instaurée afin de réduire les risques de malversations : « nous vérifions les factures, la qualité des ordonnances, et nous versons le règlement directement sur des comptes bancaires. Chaque centre de santé en a un, pour éviter les détournements. »
Le village de Kossouka, à douze kilomètres de Séguénéga, abrite l’un des vingt-trois CSPS (centre de santé et de promotion sociale) du district. C’est dans ce centre que se rendent les habitants du village de Kossouka mais aussi ceux des villages environnants, plus éloignés. Ces habitants, Momouni Salgo a l’habitude d’aller à leur rencontre. « Je vais dans les villages à la recherche d’enfants malades et je les affecte au centre de santé le plus proche, raconte le jeune agent de santé communautaire, visiblement passionné par son travail. Il n’y a pas un village de la commune dans lequel je ne sois pas allé. Avant, il était très difficile de convaincre les mamans de partir au centre de santé, témoigne Momouni Salgo. Elles ne pouvaient pas payer les soins, ni les médicaments. Alors, la plupart du temps, elles préféraient traiter leurs enfants avec des feuilles. Mais depuis que les soins sont gratuits, les choses ont changé, et quand je conseille à une maman d’aller au centre, elle m’écoute ! Au début ce n’était pas facile, elles ne me croyaient pas ! Mais aujourd’hui les comportements ont changé.»
« Je n’hésite plus »
Le centre de santé de Kossouka est composé de plusieurs petits bâtiments. Le premier, c’est la maternité, où l’on entre en passant par une petite terrasse qui fait office de salle d’attente. Une quinzaine de femmes patiente, avec ou sans bébé. Les unes sont là pour récupérer des sachets de farine nutritive, les autres pour une consultation prénatale, certaines enfin ne font qu’accompagner. « Avant, elles n’étaient pas aussi nombreuses, témoigne l’infirmier-chef de poste, Adama Sandwidi. Le nombre des patientes a été multiplié par deux et même par trois selon les périodes. » Ce matin-là, deux femmes ont « commencé le travail ». Elles sont accompagnées par une accoucheuse traditionnelle du village qui, à en juger par les plaisanteries échangées avec l’infirmier-chef de poste, sont des habitués du coin. Pendant la nuit, deux bébés sont déjà nés. « Aujourd’hui, les femmes enceintes viennent consulter à la moindre douleur, et elles accouchent presque toutes ici. Avant, elles accouchaient souvent chez elle. Maintenant, cela n’arrive quasiment plus. »
Zalissa Sawadogo a donné naissance au petit Mickaelou il y a quatre ans. « Je l’emmène souvent au centre de santé, assure la mère en essuyant la bouche de son bébé, jusqu’à trois fois dans l’année. S’il est malade, s’il a de la fièvre… dès qu’il a quelque chose, je l’emmène ici. » Mais avec ses enfants précédents, ceux qui sont nés avant la mise en place du programme de gratuité, ce n’étais pas le cas. « Avant, se souvient Zalissa Sawadogo, j’avais peur de venir au centre. Je savais qu’on allait me dire de payer des médicaments. Un jour, mon enfant avait des maux de ventre et la diarrhée. J’ai attendu trois jours avant de me décider à venir, et lorsque j’ai reçu l’ordonnance du médecin, je n’ai pu payer que la moitié des médicaments prescrits. A présent je n’hésite plus. Je sais que tout sera payé et c’est un vrai soulagement. »
Le Dr Zabré Paténéma, est le responsable du CMA (centre médical avec antenne chirurgicale) du district de Séguénégua. « Nous constatons qu’avec le système d’exemption de paiement, les familles fréquentent beaucoup plus les centres, pose d’emblée le Dr Paténéma. La barrière financière, qui était un problème pour les familles, est levée. La fréquentation des centres est devenue une habitude pour les ménages. Avant, beaucoup d’enfants étaient malades et mouraient à domicile, parce que les parents ne pouvaient pas les emmener au centre de santé. Aujourd’hui, c’est devenu très rare, parce que les parents savent qu’ils n’auront rien à payer. Parfois, pour les plus démunis, même les frais de carburant sont pris en charge ! » Comment cette intervention d’une ONG internationale dans le fonctionnement du système de santé burkinabé est-elle perçue par le personnel de santé ? La réponse du Dr Zabré Patenema est catégorique : « tout se passe en bonne entente. Cela a même amélioré le fonctionnement de nos structures, parce que l’argent rentre davantage que lorsque les familles devaient payer. Aujourd’hui, notre difficulté, c’est plutôt que la charge de travail a augmenté ! Mais avec le temps, nous nous adaptons. »
Plaidoyer auprès de l’Etat
Des programmes d’exemption de paiement comme celui-ci ont été mené dans sept des soixante-trois districts du pays. Deux par Terre des hommes, les autres par d’autres organisations internationales. Objectif : soigner bien sûr, et démontrer que cette gratuité des soins est soutenable, viable, et que c’est même une politique publique que le gouvernement pourrait mener directement. « Ce programme est un succès, s’enthousiasme le Dr Zonon, de Terre des hommes, qui mène également des activités de plaidoyer auprès des autorités. Nous avons pu voir que lorsque la barrière financière était levée, les gens étaient capable de parcourir plus de vingt-cinq kilomètres pour venir se faire soigner ! Nous avons donc rencontré des parlementaires et nous leur avons expliqué le bien-fondé de cette stratégie. »
Selon les calculs de Terre des hommes, la prise en charge d’un enfant revient à 2700 FCFA par an et par enfant, environ quatre euros. Si l’action devait être menée à l’échelle nationale, l’Etat devrait dépenser 10 milliards de FCFA par an, quinze millions d’euros, pour soigner tous les enfants de moins de cinq ans du Burkina Faso. « Nous sommes convaincus que l’Etat burkinabé est aujourd’hui capable de prendre ce coût en charge, de soulager les mères et de permettre aux enfants de venir se faire soigner dans les centres de santé, martèle le Dr Zonon. Au départ, les cadres du ministère de la Santé n’étaient pas convaincus, ils estimaient que ce qui est gratuit n’est pas sérieux, mais au bout de quelques années de mise en œuvre, nous avons fait tomber beaucoup de résistances. Ce coût est dérisoire, l’Etat peut le soutenir, et préparer un avenir plus radieux pour tout le pays. »
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