Addiction

« Aider quelqu’un qui veut sortir de son alcoolisme est possible »

Par
Publié le 25/10/2021
Article réservé aux abonnés

Dans un essai entrecoupé de récits de vies hantées par l’alcool, le Dr Jean-Pierre Aubert, généraliste et ancien professeur de médecine générale, livre ses réflexions sur la prise en charge des patients alcoolodépendants au cabinet.

Crédit photo : DR

Pourquoi ce livre ?

Dr Jean-Pierre Aubert : J’ai commencé à écrire il y a 20 ans, alors que j’encadrais un interne dans mon cabinet. Un jour, il m’a confié qu’il ne savait « jamais quoi dire » aux malades de l’alcool, avec lesquels il n’arrivait pas à dépasser la simple question de la consommation « avez-vous bu aujourd’hui ? ». J’ai alors décidé de noter les discussions que j’avais avec mes patients, afin de fournir aux jeunes médecins des exemples de dialogue, de les inviter à accueillir ces patients, et de leur montrer qu’aider quelqu’un qui veut sortir de son alcoolisme est possible. Partager ce que j’ai appris auprès de mes patients me semblait d’autant plus important que nous, soignants, détestons généralement les malades de l’alcool, du fait de nos mauvais souvenirs de garde. Or ce rejet conduit à orienter directement vers le secteur spécialisé, insuffisant pour prendre en charge les quatre millions de Français concernés.

Vous décrivez de longs échanges. Les généralistes ont-ils assez de temps pour les malades de l’alcool ?

Dr J. -P. A. : Ces longues conversations se sont étendues sur plusieurs consultations. De plus, je ne suis pas présent de la même manière à toutes les étapes du parcours de soins. Par exemple, au moment du sevrage, je propose des consultations courtes tous les deux jours. Car si le sevrage n’est pas compliqué en lui-même, il nécessite un renforcement positif très fort. « Vous ne vous croyiez pas capable d’arrêter de boire mais vous y parvenez très bien ! » Après cela, je vois les patients moins fréquemment, mais plus longtemps. Pendant ce post-sevrage, il s’agit de prévenir, prévoir et gérer les épisodes de réalcoolisation, qui surviennent dans 100 % des cas et abîment la confiance en soi au point de compromettre la sobriété. L’enjeu est de limiter leur durée et de les analyser avec les patients afin qu’ils ne se reproduisent pas. Pour ce faire, j’incite les malades à revenir rapidement : je leur donne mon numéro et leur demande de m’appeler dès le lendemain.

Quand orienter ?

Dr J. -P. A. : Le généraliste n’est pas le docteur total de l’homme total. Le secteur spécialisé est absolument nécessaire dans différents cas. D’abord quand, face à des éléments magiques ou persécutifs, on suspecte une psychose, car l’alcool modifiant la sémiologie, il est difficile ne serait-ce que de poser un diagnostic clair. Le repérage d’une potentielle bipolarité requiert également l’aide d’un psychiatre, notamment pour l’introduction de thymo­régulateurs. Je fais aussi appel à un tiers lorsque je sens que l’entourage du patient devient trop envahissant et tente de m’impliquer dans une situation de conflit. Enfin, il faut disposer d’un bon réseau d’aide sociale. Les associations d’anciens buveurs sont aussi précieuses.

Propos recueillis par Irène Lacamp

Histoires d’alcool. Peut-on en parler à son médecin ? Éditions du Cerf, 251 pages, 20 euros


Source : Le Généraliste