Pour chaque femme, une consultation de prévention cardio-gynécologique à l’âge de 50 ans ! L’idée, défendue de longue date par le Pr Claire Mounier-Véhier, cheffe du service de médecine vasculaire et hypertension artérielle à l’Institut Cœur Poumon du CHU de Lille et cofondatrice du fonds de dotation Agir pour le cœur des femmes, à l’origine des Bus du cœur, convainc de plus en plus de soignants, de décideurs et de payeurs. « À la ménopause, le risque métabolique et vasculaire s’envole. Or, à cet âge et plusieurs années après, les femmes n’ont pas tant d’occasions de faire le point sur leur santé cardiovasculaire, regrette la cardiologue. Ce bilan est réalisé lors de la première prescription de pilule, éventuellement après une grossesse. Mais ensuite, on se soucie encore trop peu du risque cardiovasculaire (CV) de la femme. Difficile de se défaire du stéréotype de l’infarctus du myocarde chez l’homme mûr et enveloppé. Or, année après année, la progression des maladies cardiovasculaires chez les femmes se confirme. »
Celles-ci tuent 200 femmes par jour et sont désormais la première cause de mortalité féminine en France et en Europe, avec six fois plus de décès que par cancer du sein.
En cause, les symptômes « atypiques » de l’événement CV, passés sous silence ou négligés par les intéressées et leur médecin (oppression thoracique mais aussi tableau digestif, douleurs à l’estomac ou à la mâchoire, palpitations et grosse fatigue, essoufflement à l’effort) ; la sous-estimation des facteurs de risque cardiovasculaires spécifiquement féminins (contraception combinée, grossesse et diabète gestationnel, ménopause notamment précoce, endométriose, syndrome des ovaires polykystiques, migraine avec aura, prééclampsie, cancer du sein traité par chimio et radiothérapie…) et l’exposition de plus en plus tôt aux facteurs traditionnels (26,5 % des femmes fumaient en 2019, 17,4 % étaient obèses et 23,9 % en surpoids). Ainsi, à âge égal, les hommes ont moins de facteurs de risque CV et plus de 80 % des femmes en cumulent au moins deux après 45 ans.
Un tournant dès la périménopause
À la fois anti-agrégants plaquettaires, vasorelaxants et antiprolifératifs, « les œstrogènes naturels favorisent le métabolisme du cholestérol et protègent du diabète. Cependant, le fait d’être obèse et diabétique amoindrit cet effet protecteur », avertit le Pr Claire Mounier-Véhier. Celui-ci disparaît aussi progressivement à la périménopause, dès 45 ans au fur et à mesure que s’installe le risque métabolique. À cela s’ajoutent plusieurs paramètres en défaveur des femmes : un diamètre artériel moindre que chez les hommes et des artères plus sensibles aux effets toxiques du tabac, du cholestérol, du diabète mais aussi du stress. De plus, chez la femme, les plaques d’athérome sont plus « vulnérables » car propices à l’ulcération, à la rupture et à la dissection.
Plus de 900 vies sauvées en un an
Le Bus du cœur, initiative d’Agir pour le cœur des femmes, sillonne depuis 2020 la France à la rencontre des femmes en situation de vulnérabilité, en partenariat avec les services sociaux des mairies, les Cpam locales et les professionnels de santé du territoire, pour repérer celles à haut risque CV, métabolique et gynécologique. Les résultats de la tournée 2021 confirment le bien-fondé de l’initiative. En effet, sur 10 656 femmes dépistées dans cinq villes de France (Lille, La Rochelle, Avignon, Marseille, Saint-Etienne), 90 % des participantes cumulent au moins deux facteurs de risque CV et métaboliques, 43 % au moins deux facteurs de risque gynéco-obstétricaux et au moins deux facteurs de risque CV, 40 % plus de deux facteurs de risque psychosociaux (stress, dépression), et une femme sur trois est sédentaire. 40 % ont une PA ≥ 140/90 mmHg. L’HTA a été découverte à cette occasion dans 34 % des cas. 70 % des femmes n’ont pas de suivi cardiologique et 30 % pas de suivi gynécologique. Au cours du dépistage, ces femmes se voient proposer des rendez-vous de cardiologie, d’angiologie et/ou de gynécologie. L’objectif est de sauver 10 000 vies en cinq ans. « Nous estimons à ce jour avoir sauvé la vie de plus de 900 femmes », s’enthousiasment Claire Mounier-Véhier et Thierry Drilhon, les cofondateurs.
À la ménopause, le déficit progressif en œstrogènes est associé à une période de transition métabolique et vasculaire : en à peine 5 ans après la ménopause, les femmes subissent de plein fouet la carence œstrogénique et vont développer un risque vasculaire en 10 ans environ. Encore plus que chez les hommes, leurs artères peuvent se rigidifier à vitesse grand V, donnant une hypertension systolique très sévère, souvent nocturne et favorisant les AVC ou encore une dissection aortique. « Le syndrome métabolique de la ménopause est un véritable accélérateur de la maladie vasculaire athéromateuse », résume Claire Mounier-Véhier, avec une prise de poids androïde, favorisant l’insulinorésistance, la diminution du HDL-cholestérol et l’augmentation du LDL-cholestérol ainsi qu’une inflammation systémique. « Or la période de la périménopause, situation à haut risque cardiovasculaire spécifique, n’est pas encore intégrée comme telle par les professionnels de santé et les femmes elles-mêmes, souligne la cardiologue. Ces dernières restent sous-dépistées, sous-traitées et sans véritable suivi coordonné cardio-gynécologique. »
Une expérimentation lancée dans les Hauts-de-France
Une prévention efficace nécessite d’identifier précocement les femmes à risque modéré à très élevé relevant d’interventions spécifiques. D’où l’idée d’une consultation dédiée à 50 ans. Une expérimentation Article 51, calquée sur le parcours de santé du CHU de Lille « Cœur, artères et femmes » et les Bus du cœur, est sur le point de débuter dans les Hauts-de-France. Il s’agit de mettre en œuvre une consultation longue qui permette le dépistage en soins primaires des facteurs de risques cardiovasculaires chez la femme à l’entrée dans la ménopause et de proposer si besoin, via une téléconsultation cardiologique, un bilan cardiovasculaire personnalisé.
Le suivi au long cours du risque CV sera assuré par le généraliste ou gynécologue adresseur. L’expérimentation sera initialement conduite en collaboration avec des médecins généralistes membres de l’Association régionale de cardiologie Nord-Pas-de-Calais. 2 160 femmes âgées de 45 à 54 ans sont attendues dans cette consultation de prévention. L’idée est d’étendre cette expérimentation au territoire national.
« Une consultation longue cardiovasculaire systématique permettrait de dépister les femmes souvent hors du système de soins, comme celles ciblées par les Bus du cœur, mais également celles chez qui on continue d’ignorer la présence de facteurs de risque », argumente le Pr Mounier-Véhier. Par exemple, selon les chiffres des Bus du cœur 2021, elles sont 73 % à avoir une obésité abdominale (périmètre abdominal ≥ 88 cm) en dépit d’un IMC normal. Autre exemple, parmi celles ayant une contraception avec œstrogènes de synthèse, 76 % ont au moins une contre-indication à leur prescription (âge > 35 ans, IMC > 30 kg/m2, tabagisme actif).
Un consensus d’experts dédié
En 2018, la Société française d’HTA a élaboré un consensus d’experts du risque cardiovasculaire de la femme (« HTA, Hormones et femmes », www.agirpourlecoeurdesfemmes.com) et conseille, dans une optique de dépistage, de prendre en compte la consommation de tabac, l’IMC, la circonférence abdominale, le diabète, la glycémie à jeun, la dyslipidémie, les antécédents CV familiaux précoces, l’altération de la fonction rénale et la détection d’une protéinurie. Les experts incitent par ailleurs à évaluer la sédentarité, le stress psycho-social (dépression, stress, troubles de l’humeur), la contraception avec des œstrogènes de synthèse, l’âge de la ménopause, la consommation d’alcool, les antécédents personnels de migraines avec aura, d’HTA de la grossesse (HTA gravidique, prééclampsie…), de retard de croissance intra-utérin ou de diabète gestationnel. Ils suggèrent de dépister un syndrome d’apnées du sommeil. « Il ne faut pas oublier les femmes qui ont subi une radio-chimiothérapie pour cancer du sein ou broncho-pulmonaire, prévient le Pr Mounier-Véhier, qui accélère le vieillissement cardiaque et coronaire. »
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