L’épidémie a bousculé le rythme de tous les professionnels de santé, et notamment celui des libéraux récemment installés. Mais, selon les conditions matérielles et les convictions de chacun, les psychiatres libéraux ont répondu différemment aux enjeux sanitaires et financiers du confinement. Ces trois professionnels ont opté pour différentes stratégies et en tirent les leçons.
Un outil pourt garder du lien...
« La téléconsultation devait offrir rapidement, lors du confinement, le meilleur rapport bénéfices-risques pour les patients, dans le sens de la poursuite d’un suivi c’est-à-dire du maintien du lien. Je n’en avais aucune idée préalable et j’ai dû en faire un outil quotidien en un temps très court », explique le Dr Adeline Metten, installée depuis trois ans à Reims. Ce changement impose de passer par les outils numériques et réduit les temps entre les consultations. La psychiatre dédiait auparavant ces derniers aux démarches administratives, repoussées alors en fin de journée.
Le Dr Metten s’est appuyée sur la situation exceptionnelle et la téléconsultation pour travailler de nouvelles pistes avec ses patients : « Après un temps d’habituation lié aussi au temps de sidération, le travail fut enrichissant. L’intime et les limites ont été sollicités à un point qu’il aurait été difficile de solliciter dans une situation plus « neutre », il me semble. »
Malgré cet intérêt, son activité a fortement baissé. Mais la psychiatre s’y retrouve : « J’ai peu de charges, pas d’emprunt, ni d’assurance coûteuse. Avec les dédommagements de la sécurité sociale, j’ai dû basculer de revenus libéraux vers des démarches administratives mais je n’ai pas subi de perte nette de patients », dit-elle avec philosophie.
Pour le futur, le Dr Metten est « assez tentée » de continuer la téléconsultation pour des patients temporairement à l’étranger, qui auraient du mal à se dégager du temps ou à sortir de chez eux. Pour ces derniers, « la téléconsultation est un outil de travail, qui ne vient pas remplacer le travail psychothérapeutique en cabinet mais dont il peut être dommage de se passer, dans des circonstances d’éloignement dûs à des évènements de vie par exemple», tranche-t-elle.
Uniquement pour les urgences…
À l’inverse, le Dr Philippe Goetz n’utilise dorénavant la téléconsultation que pour des dépannages ou pour des patients qui viennent de loin. Pendant le confinement, ce psychiatre, installé en cabinet à Strasbourg, a choisi la téléconsultation uniquement pour les urgences. « Elle a été salvatrice et a permis de sauver les meubles. La téléconsultation est bien pratique mais uniquement pour les actions pratiques. Pour la thérapie, je décalais les rendez-vous », raconte-t-il.
En cause : la virtualité du rapport à distance qui l’empêche de travailler normalement. « La téléconsultation émousse la relation à l’autre et l’entretien perd en qualité. Un de mes patients ne savait plus quoi me dire face à l’écran. J’ai aussi eu l’impression d’être intrusif. Normalement, c’est tout une démarche pour le patient de venir au cabinet », détaille le Dr Goetz.
Le psychiatre a vu son chiffre d’affaires hebdomadaire baisser de 50 % pendant le confinement. « Mais c’est une perte ponctuelle, assure-t-il. Je prendrai moins de vacances. 80 % des patients souhaitaient revenir au cabinet après le confinement et les consultations ont repris comme avant. »
... ou pour des motifs exceptionnels
Le Dr Thierry Toussaint, exerçant à Paris, a maintenu le cadre habituel de ses consultations en cabinet au maximum, dès le début du confinement. « Je souhaitais soutenir mes patients en m’adaptant à eux. Ils choisissaient ce qu’ils préféraient, des consultations en présentiel ou à distance », précise-t-il. Il a eu peu de demandes de téléconsultation : quelques unes par semaine. Au cabinet, le médecin appliquait rigoureusement les gestes barrières et désinfectait plusieurs fois par jours poignées et chaises.
Le Dr Toussaint admet que cette option n’a pas été la plus judicieuse pour ses finances mais l’assume : « Je suis prêt à perdre de l’argent pour avoir l’impression de travailler de manière cohérente », dit-il. Le nombre de ses consultations a été divisé par deux pendant le confinement.
Il explique son choix par souci professionnel et position personnelle : « J’ai du mal à considérer que l’on travaille aussi bien en téléconsultation qu’en présentiel. Ma concentration n’est pas la même. Cette méthode change le positionnement du patient et du professionnel. » Concrètement, les outils de communication à distance filtrent certains détails comportementaux : « Ces outils sont faits pour se parler. On ne peut pas détourner le regard et les silences sont moins supportables. » Au final, le Dr Toussaint souhaite réserver la téléconsultation à des occasions exceptionnelles, lors de vacances de ses patients par exemple, comme il le faisait avant l’épidémie.
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